DOSSIERBilan de l'année
LES MEILLEURS FILMS DE 2023 SELON RAPHAËL JULLIEN
L’année cinématographique 2023 aura (enfin) été l’année des femmes triomphantes ! Un grand nombre de femmes cinéastes ont bénéficié d’un accueil critique positif et/ou d’un succès au box-office et/ou de prix récompensant leur travail. On ne peut évidemment pas passer à côté de "Barbie" de Greta Gerwig qui a poussé les discours féministes au sommet en devenant l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma en termes de recettes mondiales (14e à ce jour – seule une femme a fait mieux mais pas toute seule : Jennifer Lee en tant que coréalisatrice de "La Reine des neiges 2"). Il y a peu, on se demandait encore si le féminisme pouvait être vendeur, la réponse est désormais flagrante. Il n’est pas anodin de constater aussi que, parmi les beaux succès du box-office français, figurent "Anatomie d’une chute" de Justine Triet (brillante Palme d’or) et "Je verrai toujours vos visages" de Jeanne Herry, deux longs métrages qui parlent de justice et qui se montrent bien plus capables de porter un regard nouveau sur le sujet que "Le Procès Goldman" de Cédric Kahn, pas inintéressant mais relativement clinique et théâtrale. Notons que François Ozon, cinéaste féministe s’il en est, a aussi traité la justice, et sous le prisme du féminisme, dans le très bon "Mon crime".
Continuons avec les femmes, avec celles dont le travail interroge la mémoire : d’un côté, un premier long métrage qui hante bien après son visionnage, "Aftersun" de Charlotte Wells, de l’autre, deux films qui se font écho en confrontant documentaire et fiction avec des procédés comparables : "Little Girl Blue" de Mona Achache et "Les Filles d’Olfa" de Kaouther Ben Hania. Deux autres films semblent dialoguer à distance, cette fois concernant le désir : "Simple comme Sylvain" de Monia Chokri et "Le Syndrome des amours passées" coréalisé par Ann Sirot et Raphaël Balboni. D’autres réalisatrices travaillent d’ailleurs au sein d’un duo mixte : Baya Kasmi qui réalise seule mais coécrit (comme toujours) avec son compagnon Michel Leclerc pour "Youssef Salem a du succès" qui aborde avec intelligence les thèmes qui leur sont chers (identité multiculturelle, ouverture d’esprit, sincérité, créativité…), Jeanne Aslan qui livre avec Paul Saintillan un premier long sensible et évitant les clichés ("Fifi"), mais aussi Adila Bendimerad aux manettes avec Damien Ounouri pour "La Dernière Reine" dont elle joue aussi le rôle-titre. Chez les nouvelles venues, ne passons pas non plus à côté des Espagnoles Itsaso Arana et Andrea Bagney qui signent des débuts prometteurs, respectivement avec "Les filles vont bien" et "Ramona fait son cinéma". Et saluons également Noémie Lvovsky et sa "Grande Magie", Virginie Verrier et sa "Marinette", ainsi qu’Elizabeth Banks pour son extravaguant "Crazy Bear". En revanche, on tâchera d’oublier le "Jeanne du Barry" de Maïwenn…
Évidemment, 2023 a aussi vu des hommes affirmer un sens aigu de la mise en scène, notamment Thomas Cailley qui a enfin confirmé son talent, sept ans après son premier long (l’excellent "Les Combattants"), en signant l’une des plus grosses claques de l’année : "Le Règne animal". Deuxième long également très réussi pour Erwan Le Duc avec "La Fille de son père". Les plus anciens n’ont pas dit leur dernier mot non plus, à l’image de Steven Spielberg qui a réalisé l’un de ses meilleurs films avec son très autobiographique "The Fabelmans", Wim Wenders avec la précision et la délicatesse de son regard sur la vie d’un Japonais solitaire dans "Perfect Days", ou Aki Kaurismäki qui reste fidèle à lui-même avec ses "Feuilles mortes", tout comme Hayao Miyazaki qui a magnifiquement tiré sa révérence avec "Le Garçon et le Héron". On n’en dira pas tant de Woody Allen, même si son "Coup de chance" ne manque pas d’intérêts. Parmi les expérimentés moins âgés, Quentin Dupieux continue d’étonner avec "Yannick", Christopher Nolan a pulvérisé la notion de biopic avec son spectaculaire "Oppenheimer" (on n’en attendait pas moins de sa part, mais ce n’était pas gagné avec un tel sujet !) et Sam Mendes a réalisé un magnifique portrait de femme sur fond d’hommage au cinéma dans "Empire of Light". Ajoutons le méconnu Ryōta Nakano, qui avait déjà plusieurs longs métrages à son actif mais que la France vient de découvrir avec la tendresse feel-good de son cinquième : "La Famille Asada".
Outre "Le Garçon et le Héron" cité plus haut, l’animation a été à la fête en 2023 : le créatif et émouvant "Interdit aux chiens et aux Italiens", le poétique et « miyazakiesque » "Sirocco et le Royaume des courants d’air", un faux documentaire choupinet intitulé "Marcel le coquillage (avec ses chaussures)", le « chaplinesque » et « tatiesque » "Mon ami Robot", le malicieux "Linda veut du poulet", une beau teen movie romantico-fantastique nommé "Suzume" le dystopique "Mars Express", mais aussi des blockbusters efficaces comme "Super Mario Bros" (du fun pur jus de la part des studios Illumination), "Élémentaire" (une bonne cuvée de Pixar), et dans une moindre mesure "Migration" et "Chicken Run : La Menace nuggets", qui ne sont toutefois pas les meilleurs crus respectifs de Benjamin Renner et des studios Aardman.
Puisque l’on parle de divertissements, signalons quelques autres réussites dans le domaine : le diptyque "Les Trois Mousquetaires" qui montre que la France peut aussi produire une grande fresque épique ; le survitaminé "Pathaan" qui prouve que Bollywood peut rivaliser avec la machine hollywoodienne ; "Donjons et Dragons" qui nous rassure sur la capacité qu’a Hollywood à nous surprendre même quand on ne s’y attend pas ; et même "Indiana Jones et le Cadran de la destinée" qui nous permet de vivre une dernière aventure avec un héros mythique (et non, sous prétexte que ce n’est pas du niveau de la trilogie initiale, on ne peut pas dire que c’est mauvais !).
Si on a parlé de féminisation plus haut, il convient aussi de signaler l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs et actrices, notamment francophones, qui ont percé ou confirmé cette année (voir top thématique plus bas). Si la plupart ont moins de 25 ans, une figure s’est imposée à plus de 30 ans en 2023 : l’omniprésent Raphaël Quenard. Outre le risque d’overdose s’il continue à ce rythme, on espère qu’il ne s’enfermera pas dans un type de rôle (ceux de "Yannick", "Chien de la casse" et "Cash" ont plus d’un point commun, mais sa courte participation à "Je verrai toujours vos visages" montre qu’il a un panel de jeu plus large).
Permettez-moi de conclure avec deux points plus personnels. Tout d’abord, c’est en 2023 que j’ai emmené mes enfants voir leurs premiers films « de grands » au cinéma ("Les Têtes givrées", "Les Trois Mousquetaires", "Indiana Jones"). Ensuite, j’aimerais exprimer ma profonde gratitude envers l’équipe du Ciné Chaplin de Rive-de-Gier, qui me fait confiance depuis l’automne 2022 pour animer les discussions des séances « coup de cœur surprise ». Merci et bonne chance à eux pour cette délicate période qui s’ouvre (rénovation et déplacement provisoire de l’activité au théâtre Jean Dasté).
TOP films
1. "Anatomie d’une chute", de Justine Triet
2. "Le Règne animal", de Thomas Cailley
3. "Aftersun", de Charlotte Wells
4. "The Fabelmans", de Steven Spielberg
5. "La Famille Asada", de Ryōta Nakano
6. "La Fille de son père", d’Erwan Le Duc
7. "Je verrai toujours vos visages", de Jeanne Herry
8. "Interdit aux chiens et aux Italiens", d’Alain Ughetto
9. "Perfect Days", de Wim Wenders
10. "Sirocco et le Royaume des courants d’air", de Benoît Chieux
11. "Barbie", de Greta Gerwig
12. "Mon crime", de François Ozon
13. "Youssef Salem a du succès", de Baya Kasmi
14. "Le Syndrome des amours passées", d’Ann Sirot et Raphaël Balboni
15. "Oppenheimer", de Christopher Nolan
16. "Marcel le coquillage (avec ses chaussures)", de Dean Fleischer-Camp
17. "Fifi", de Jeanne Aslan et Paul Saintillan
18. "Mon ami Robot", de Pablo Berger
19. "Burning Days", d’Emin Alper
20. "Dream Scenario", de Kristoffer Borgli
FLOP films
1. "Les Déguns 2", de Cyrille Droux et Claude Zidi Jr
2. "Monsieur Constant", d’Alan Simon
3. "Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu", de Guillaume Canet
4. "Jung_E", de Yeon Sang-ho
5. "Seule : Les Dossiers Silvercloud", de Jérôme Dassier
6. "Neptune Frost", de Saul Williams et Anisia Uzeyman
7. "65 – La Terre d’avant", de Scott Beck et Bryan Woods
8. "Le Barrage", d’Ali Cherri
9. "Gangsters par alliance", de Tyler Spindel
10. "Chonchon, le plus mignon des cochons", de Mascha Halberstad
TOP réalisatrices- réalisateurs
1. Justine Triet ("Anatomie d’une chute")
2. Charlotte Wells ("Aftersun")
3. Thomas Cailley ("Le Règne animal")
4. Erwan Le Duc ("La Fille de son père")
5. Steven Spielberg ("The Fabelmans")
6. Ann Sirot et Raphaël Balboni ("Le Syndrome des amours passées")
7. Emin Alper ("Burning Days")
8. Ryōta Nakano ("La Famille Asada")
9. Greta Gerwig ("Barbie")
10. Mona Achache ("Little Girl Blue")
TOP actrices
1. Sandra Hüller ("Anatomie d’une chute")
2. Margot Robbie ("Barbie", "Babylon")
3. Céleste Brunnquell ("Fifi", "La Fille de son père")
4. Olivia Colman ("Empire of Light")
5. Michelle Williams ("The Fabelmans")
6. Adèle Exarchopoulos ("Je verrai toujours vos visages", "Le Règne animal", "Voleuses")
7. Marion Cotillard ("Little Girl Blue", "Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu")
8. Penelope Cruz ("L’immensitá")
9. Vimala Pons ("Youssef Salem a du succès", "Vincent doit mourir")
10. Noémie Lvovsky ("La Grande Magie", "Youssef Salem a du succès", "La Fille de son père", "Jeanne du Barry")
TOP acteurs
1. Kōji Yahusho ("Perfect Days")
2. Swann Arlaud ("Anatomie d’une chute", "L’Établi")
3. Nahuel Perez Biscayart ("La Fille de son père")
4. Romain Duris ("Le Règne animal", "Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan"/"Milady")
5. Ryan Gosling ("Barbie")
6. Paul Dano ("The Fabelmans")
7. Paul Mescal ("Aftersun")
8. Lazare Gousseau ("Le Syndrome des amours passées")
9. Louis Garrel ("Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan"/"Milady")
10. Gilles Lellouche ("Je verrai toujours vos visages")
TOP thématique : les meilleures utilisations de chansons préexistantes
1. "Le Règne animal" : "Elle est d’ailleurs" de Pierre Bachelet, écoutée à fond par le père et son fils en roulant la nuit à travers la forêt
2. "Anatomie d’une chute" : la reprise musicale de "P.I.M.P." de 50 Cent par Bacao Rythm & Steel Band, qui envahit l’espace sonore au moment du drame
3. "La Fille de son père" : la comptine "Coucou, hibou", chantée en cœur en plein entretien d’embauche
4. "Aftersun" : "Losing My Religion" de R.E.M., chantée (assez faux) au karaoké par Frankie Corio
5. "Perfect Days" : "I’m Feeling Good" de Nina Simone, écoutée en voiture par Kōji Yahusho dans le bouleversant plan final face caméra
6. "The Killer" : "How Soon Is Now?" des Smiths, qui accompagne les allers-retours avec la vue subjective du tueur
7. "Mon ami Robot" : "September" de Earth, Wind & Fire, qui devient l’hymne d’une amitié après une virée en roller
8. "Youssef Salem a du succès" : "Ya Nas" de Bachar Mar-Khalifé, qui colle bien avec ce que vit le personnage
TOP thématique : une belle brochette de nouveaux talents à l’écran !
1. Céleste Brunnquell ("Fifi", "La Fille de son père")
2. Milo Machado Granet ("Anatomie d’une chute")
3. Frankie Corio ("Aftersun")
4. Raphaël Quenard ("Yannick", "Chiens de la casse", "Cash", "Je verrai toujours vos visages")
5. Paul Kircher ("Le Règne animal")
6. Lourdes Hernández ("Ramona fait son cinéma")
7. Helena Ezquerro ("Les filles vont bien")
8. Diego Calva ("Babylon")
9. Micheal Ward ("Empire of Light")
10. Gabriel LaBelle ("The Fabelmans")
11. Ece Bağcı ("Les Herbes sèches")
12. Luana Giulani ("L’immensitá")
13. Ayumi Roux ("L’Astronaute")
14. Quentin Dolmaire ("Fifi")
15. Dali Bensallah ("Je verrai toujours vos visages", "La Dernière Reine")
16. Billie Blain ("Le Règne animal")
17. Chloe East ("The Fabelmans")
18. Shirel Nataf ("Les Têtes givrées", "Petites", "Fifi")
19. Malonn Lévana ("Les Têtes givrées")
20. Pili Groyne ("Petites")
Révélations de l’année
Charlotte Wells, réalisatrice du créatif et bouleversant "Aftersun".
Pablo Pico, compositeur de la BO de "Sirocco et le Royaume des courants d’air", notamment pour la grâce aérienne du titre "Opéra Sirocco".