CHALLENGERS

Un film de Luca Guadagnino

Balle(s) de match(s)

C’est durant leurs études qu’Art et Patrick tombent amoureux de la même femme : Tashi, jeune joueuse de tennis à l’avenir professionnel tout tracé… Des années plus tard, les deux hommes – l’un lancé vers les sommets, l’autre animé par la revanche – s’affrontent en finale d’un tournoi de tennis, avec Tashi dans les tribunes. Celle-ci, devenue épouse-coach du premier et objet de conquête du second, sait à quel point ce match est décisif en vue de clore pour de bon tant d’années de tensions et de croisements entre eux…

Alors, est-ce mieux que "La Plus belle victoire" ? On pouvait évidemment songer à la rom-com plutôt mignonne de Richard Loncraine en admirant les premières images du nouveau film de Luca Guadagnino, mais force est de constater qu’on avait tort. On pouvait également s’imaginer face à une nouvelle déclinaison de romance toxique sur fond de compétition sportive (avec un zeste d’érotisme queer pour pimenter le tie break), mais on visait sans doute un peu trop haut. C’est que les 2h10 de "Challengers" ont tôt fait de casser tout espoir d’une dramaturgie fouillée et adulte pour nous inviter à opérer un retour direct vers les enjeux les plus bidons de nos vieilles sitcoms télévisées pour teenagers. En effet, tout tient ici sur une énième réitération d’un cas de rivalité sportive et amoureuse (une femme convoitée par deux hommes), laquelle ne sert qu’à alimenter une triangulaire de l’égocentrisme force 5 avec trois individus assez mal caractérisés qui ne cessent de se renvoyer la balle (rires) d’une scène à l’autre. Ou comment faire mine de fouiller le concept finalement assez vaste de « compétition » (par action ou par procuration) pour le réduire au niveau d’un banal concours de bites avec une femme en guise de trophée et un érotisme pasteurisé pour nostalgiques de "Melrose Place".

Dès lors, histoire de dynamiser du néant émotionnel par tous les moyens possibles, Guadagnino sort l’artillerie lourde. De la narration éclatée en mode "La Môme" qui effectue non-stop des allers-retours chronologiques sans que cela ne vienne enrichir quoi que ce soit. Des ralentis gratuits et artificiels sur des acteurs glam qui prennent la pose comme dans un mauvais Xavier Dolan. De la musique techno pulsative qui sait faire booster nos BPM (merci Trent Reznor !) mais que Guadagnino n’en finit pas de coller aléatoirement sur des séquences qui auraient tout aussi bien fonctionné sans. De la frime visuelle à fond les ballons pendant les matchs de tennis (effet de vue subjective, gouttes de sueur qui dégoulinent sur la caméra, balle de tennis qui nous frôle à deux centimètres…). Une tripotée de cadrages fixes dignes d’une pub pour Décathlon, avec tout ce que cela suppose de placements de produits dans chaque recoin du cadre. Sans oublier la (grosse) cerise sur le gâteau : une symbolique maousse à se rouler par terre, allant de la tempête-tornade qui menace de tout envoyer en l’air (no comment) jusqu’à la dégustation de churros en guise d’accélérateur de tension homo-érotique (autant dire qu’on est loin de la subtilité de "Call me by your name" !).

On aurait aussi pu espérer meilleure concrétisation pour le premier vrai grand rôle de Zendaya – ici également productrice de la chose. À vrai dire, tout porte à croire que la jeune actrice révélée par la série "Euphoria" souhaitait prendre ici ses marques de néo-Jennifer Lawrence (c’est tout juste si elle ne calque pas systématiquement son jeu sur le sien) sans se rendre compte qu’elle joue à peine mieux que Jennifer Lopez (c’est la seule présence physique qui tend ici à supplanter l’ambiguïté). Ce qui rend le film agréable à défaut de le sauver réellement tient dans de rares scènes où le smash visuel et narratif de Guadagnino ne se mange pas le filet. Ainsi donc, pour un interminable climax final qui étire sur quinze minutes chrono ce qui ne dure qu’une minute dans un vrai match, on aura quand même droit à quelques mises au point conflictuelles en plan-séquence qui apportent du rythme au récit, de l’électricité dans les rapports humains et un semblant de matière dramatique à travailler pour les protagonistes. Ce n’est pas grand-chose en soi, mais ce sont là des instants forts que l’on garde tout de même en mémoire en sortie de projo – signe qu’une certaine forme de vibration persiste sous la surface du véhicule publicitaire.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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