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FIFI

Une tendre et drôle rencontre entre deux solitudes

Sophie, dite « Fifi », vit dans un HLM, au sein d’une famille recomposée, indigente et bruyante. Alors que l’été débute, cette ado de 15 ans rêve de tranquillité. Habituée du système D et des petits larcins, elle saisit alors une opportunité : dérober les clés de la maison d’une ancienne amie de collège, dont la famille va partir en vacances pour plusieurs semaines…

Fifi film movie

Passé par divers festivals depuis 2022, primé à Saint-Sébastien et Angers, "Fifi" est le premier long de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, qui ont pris leur temps pour écrire leur scénario avec minutie. Montrant une famille dysfonctionnelle, l’introduction aurait pu nous conduire tout droit vers un drame social digne des Dardenne. Mais ce film se détache très rapidement de cette possible orientation, refusant misérabilisme et abattement pour proposer une histoire bien plus solaire qu’on ne pourrait le croire initialement, avec une photographie lumineuse (jamais la ville de Nancy ne ressemble aux habituels décors mornes des drames situés dans le Nord de la France) et surtout avec une héroïne qui est immédiatement présentée comme une ado souhaitant échapper à son milieu (géographique et social). Ainsi, quand elle va faire des courses au début du film, tout indique son envie d’un ailleurs paisible : elle enfourche son VTT comme pour vaincre les obstacles et écoute de la musique avec ses écouteurs pour mieux s’évader. D’ailleurs, au fil du film, la musique suggère régulièrement ce désir d’explorer d’autres horizons : outre les mélodies calmes au piano, on entend par exemple une chanson de Mélissa Laveaux en créole ou un titre du groupe somalien Bakaka Band.

Rapidement, Sophie, dite « Fifi », devient une sorte d’intrépide Boucle d’or des temps modernes, qui s’aventure dans une maison qui n’est pas la sienne et qui y prend ses aises, jusqu’à l’arrivée de Stéphane, un étudiant désabusé, un peu ours sur les bords. De fil en aiguille, ces deux êtres solitaires vont s’apprivoiser, formant progressivement un drôle de binôme, quelque part entre la colocation, la complicité fraternelle et l’amour platonique. Tous les codes du couple et de la rencontre amoureuse sont réinterprétés voire détournés de façon tendre et subtile, avec parfois de belles inversions des normes habituelles (comme lorsque Fifi protège Stéphane du froid en lui passant sa veste sur les épaules).

Poussant ces deux jeunes gens à devenir des confidents mutuels, le récit construit une jolie complémentarité, faisant de l’un le miroir de l’autre, par exemple dans leur rapport respectif à la famille : si Stéphane est issu d’une famille aisée, il est tout autant en décalage avec les siens que ne l’est Fifi (quand lui doit débarrasser sa chambre pour que sa mère se serve de la pièce comme atelier, elle doit supporter de dormir dans un lit superposé d’où elle tente vainement de pousser le plafond avec bras et pieds comme pour réclamer un plus grand espace vital). La scène où il lui apprend à jouer une mélodie au piano est symbolique de leurs rapports : ils s’accordent et s’opposent à la fois.

Ne versant jamais dans le pathos, refusant tant la facilité que l'outrance, le film développe une apparente simplicité de mise en scène mais distille des idées manifestement réfléchies jusque dans les petits détails (comme le fait que Fifi s’intéresse au livre "Lettre au père" de Kafka). Généreux et lumineux de bout en bout, précis dans ses dialogues, drôle aussi dans bien des occasions (mention spéciale à la participation hilarante de Laurent Poitrenaux), "Fifi" est aussi porté par un duo magnifique qui participe grandement à la réussite du métrage : Quentin Dolmaire ("Trois souvenirs de ma jeunesse") séduit en jeune homme mélancolique, charitable et poétique, alors que Céleste Brunnquell confirme, après "Les Éblouis" et la série "En thérapie", sa capacité à jouer un panel d’émotions avec un naturel prodigieux. S’il n’y avait pas d’autres qualités dans ce film, il vaudrait le coup rien que pour elle !

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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