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JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES

Un film de Jeanne Herry

Des visages que l’on reverra toujours

Judith, Fanny et Michel sont des professionnels encadrant des dispositifs sécurisés, proposant à des personnes victimes et auteurs de délits de dialoguer ensemble. Tandis que Judith s’occupe de Chloé, victime d’un inceste durant son enfance, Fanny et Michel organisent une mesure de « justice restaurative » entre trois détenus condamnés pour braquage violent et trois personnes ayant été les victimes d’actes similaires. Par le dialogue et la compréhension mutuelle peut ainsi surgir l’espoir d’un avenir meilleur…

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On se souvient avec quel panache Jeanne Herry – fille de Julien Clerc et de Miou-Miou – avait fait son entrée parmi les réalisatrices françaises les plus prometteuses avec "Elle l’adore", combinaison adroite et jouissive de thriller et de comédie où brillait particulièrement sa direction d’acteurs. Essai transformé ensuite avec "Pupille", déjà un cran au-dessus en raison d’une double base fictionnelle et documentaire prompte à accoucher d’une émotion extrêmement forte, et ce en dépit d’un ton souvent assez didactique dans sa description de chaque étape d’un processus d’adoption. De façon criante, "Je verrai toujours vos visages" prolonge bel et bien l’effet "Pupille" au travers d’un autre sujet, en l’occurrence cette fameuse « justice restaurative » qui fut établie en France à partir de l’année 2014. Soit un nouveau concept idéal pour la réalisatrice, visant à confronter des doutes et des certitudes par le biais du dialogue et de l’échange, creusant toujours plus la faille et la fragilité des individus à des fins de compréhension et d’empathie – il y avait ainsi beaucoup à glaner de ces « réunions » entre détenus et victimes autour d’un événement de même nature. Le cinéma de Jeanne Herry, entièrement tourné vers l’humain et porté par le désir d’élaborer des pistes constructives, monte ici en universalité comme en puissance émotionnelle, allant ainsi jusqu’à s’imposer comme l’un des rares à l’heure actuelle dont on peut estimer qu’ils contiennent de quoi rendre tout un chacun – et par extension le monde – meilleur. On exagère ? Vous ferez moins les cyniques en sortant de la salle…

Ce que l’on peut qualifier de didactique derrière les partis pris de Jeanne Herry est ici limité à la scène d’ouverture, trompeuse à souhait parce que basée sur un effet de miroir : ce que l’on prenait pour une séance de dialogue en mode « justice restaurative » n’était en fait qu’une répétition visant à dénicher les fautes du langage, les inexactitudes du dialogue, la faculté d’écoute et la place importante à accorder aux silences (avec en plus cette amusante ressemblance physique entre Denis Podalydès et Jean-Pierre Darroussin). Aucune raison d’en tenir rigueur puisqu’il s’agit ici d’une base de départ à la lisière du documentaire, histoire de poser le sujet et le concept. À partir de là, tout va se résumer à une histoire à double visage sur la réparation et le lien humain, tous deux évoqués et creusés par le partage de sentiments et de témoignages. Disposant en parallèle deux phases de réparation (l’une autour d’un inceste à exorciser, l’autre autour du traumatisme résultant d’un vol ou d’un braquage), Herry ne fait alors pas la moindre faute dans sa succession de monologues et de ping-pong verbal. Sans temps mort, sans bout de gras psychanalytique, sans pédagogie poids lourd, sans démagogie pompeuse et surtout sans la moindre tendance au pathos (les larmes coulent de façon naturelle et jamais forcée), le film ne cesse de susciter des frissons, de parler au cœur et aux angoisses de chacun, de tisser des connexions imperceptibles entre les antagonismes, de mettre en perspective aussi bien la fragilité de l’esprit que la force du pardon, bref de (re)créer du lien humain là où l’on pensait ne plus le voir prendre racine.

Le film ne s’arrête d’ailleurs pas en aussi bon chemin, et avance encore un peu plus loin en surprenant son audience par des ruptures de ton très malines, voire retorses. En témoigne cette maestria à laisser le malaise surgir d’une séquence élaborée sous un angle comique, ou à l’inverse, à créer un décalage quasi loufoque au travers d’une ligne de dialogue plus ou moins glaçante. En témoignent aussi ces petits intermèdes sur de simples moments de vie (un repas en soirée, une bâche à réparer sous la pluie…) qui, à force de strier la narration en s’intercalant entre les scènes de réunion, réussissent à ne jamais faire pièce ajoutée – c’est au travers de ces petites pastilles que la réalisatrice met en avant la force du collectif. Au vu d’une telle force interactive – qui plus est subtilement évolutive – entre des caractères aussi antagonistes mais liés par le même objectif, il nous est d’ailleurs impossible, pour ne pas dire carrément interdit, d’isoler un acteur ou une actrice en particulier. Aucune faute de goût ni déséquilibre au sein du casting : tous se succèdent, égaux et en état de grâce, devant l’axe de la caméra. Ces visages-là nous touchent et nous parlent sur deux heures pleines à craquer, et portent en eux une force incroyable pour faire triompher la résilience. En sortant de la salle, on ne pleure pas. On a juste retrouvé foi et confiance en la nature humaine. C’est un exploit, et pas un petit.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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