MARILÚ, RENCONTRE AVEC UNE FEMME REMARQUABLE

Un film de Sandrine Dumas

Remarquée et remarquable

De 2016 à 2022, Sandrine Dumas a suivi l’actrice Marilú Marini dans son travail sur les planches. Une vie marquée par goût pour la démesure théâtrale et la passion du jeu, où la scène devient un espace de liberté pure, où les émotions les plus variables et les plus exacerbées prennent corps et chair sous l’impulsion d’un corps qui se livre et se dévoile comme jamais…

Une fois n’est pas coutume, votre serviteur va s’empresser d’évoquer un souvenir de sa propre vie. Il y a déjà plus de vingt ans, à l’occasion de la projection d’un film qui marqua au fer rouge son parcours de cinéphile (en l’occurrence "Trouble Every Day" de Claire Denis), il fut surtout témoin d’une scène en particulier qui lui glaça le sang. À première vue, rien que de très anodin dans la scène en question, caractérisée par un simple dialogue en champ/contrechamp entre deux personnages, et ce au beau milieu d’un film qui accumulait tout de même un grand nombre de scènes sanglantes avec pour fond cette corrélation dérangeante entre désir et cannibalisme. Il n’empêche que cette scène-là resta pendant très longtemps un puissant souvenir d’effroi et d’angoisse, et ce en raison de cette actrice qui donnait alors la réplique à l’acteur Vincent Gallo. Chevelure rousse flashy, regard des plus flippants (avec un œil gauche anormalement grossi au regard de l’œil droit), sourire archi-maléfique, aura de méchante disneyienne (on se serait cru face à la Médusa de "Bernard et Bianca" !) autant que de démon ridé et repoussant… Il aura fallu attendre le générique de fin pour découvrir enfin le nom de cette stupéfiante actrice – une certaine Marilú Marini. Un nom inconnu au bataillon pour l’auteur de ces lignes, et ce en dépit de quelques apparitions chez d’autres cinéastes locaux (d’Ariane Mnouchkine à Jean-Michel Ribes en passant par Pascal Bonitzer). Ce nom resta longtemps dans un coin de la tête, comme ça, sans véritable suite. Jusqu’à l’annonce de la sortie de ce documentaire signé Sandrine Dumas.

Loin de réactiver ce sentiment de peur qui fut le nôtre face au film d’horreur de Claire Denis, le visionnage de la chose permet surtout de mettre en évidence l’immense talent d’une artiste argentine qui, au-delà de faire de son corps et de sa diction un moteur créatif des plus hallucinants (ce qui nous laisse à penser qu’elle aurait pu faire fureur chez Patrice Chéreau), ne cesse de brouiller les pistes dès lors qu’elle se retrouve sur une scène de théâtre. Car cette promotrice d’une certaine forme de « réalisme corporel » n’aura jamais cessé de lire la scène comme un espace de pure liberté, où l’acteur se laisse posséder par un texte et/ou un rôle, à la fois manipulée et manipulatrice d’elle-même. Les nombreux extraits de ses prestations scéniques dessinent ainsi une facilité hors du commun à basculer du drame le plus tragique au burlesque la plus déjantée (avec aussi pas mal de percées du côté de la gouaille ricaneuse et diabolique – on a de nouveau les frissons d’antan qui remontent !), et ce à des fins de communion viscérale avec les comédiens et le public. Autant dire qu’à elle seule, Marilú Marini s’impose moins en sujet du documentaire qu’en véritable épicentre d’une forte démarche créative, prompte à sidérer et à emporter dans son orbite tous ceux – spectateurs ou comédiens – qui s’approcheraient d’un tel génie. On ne s’étonnera donc pas de voir Sandrine Dumas s’employer à la cadrer le plus souvent en gros plan, tant ce visage marqué et ambivalent à plus d’un titre se lit aisément comme un paysage.

On se montrera en revanche un peu moins enthousiaste sur la structure narrative de ce documentaire tourné sur six ans. Le néophyte que l’on peut être face au parcours de Marilú Marini aura tôt fait de se perdre dans un patchwork d’extraits et de captations où le souci de la chronologie semble avoir été bel et bien banni. Se mêlent ainsi des instants de lecture, des travaux précis sur la diction en français, des souvenirs de son statut d’égérie du dramaturge Alfredo Arias et de son enfermement carcéral pendant la dictature argentine, une poignée d’apparitions chez les ex-promoteurs télévisuels de la culture (dont Laure Adler et Philippe Lefait), des rapports chaleureux avec les autres comédiens, etc… La matière est donc là, mais la structure, à savoir cette fameuse colonne vertébrale qui donne du sens et de la construction à un sujet documentaire, pêche par manque de solidité. Était-ce pour se montrer aussi joyeusement chaotique et bordélique que le sujet d’étude du film ? On vous laissera seuls juges.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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