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EQUALIZER 3

Un film de Antoine Fuqua

L'Italie selon Denzel : du Kebab et des cartels

Robert McCall est un ancien assassin à la solde du gouvernement des États-Unis. Las de ses activités de tueur professionnel, il décide de se rendre en Italie pour couler ses vieux jours. Mais c’était sans compter sur la présence de la mafia qui est bien décidée à empêcher une retraite douce pour notre cher Robert McCall…

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Le « vigilante movie » est un genre particulier et significatif de tout un pan du cinéma. De "Taxi Driver" en passant par "L'inspecteur Harry" ou encore avec des propositions très radicales comme "La dernière maison sur la gauche" de Wes Craven, ce sous-genre met en scène souvent une affaire de vengeance ou d'un homme lambda qui défend les opprimés. Bien qu'il nous ait donné des classiques instantanés ou ne serait-ce que des bonnes séries B bien troussées, le genre nous a offert également son lot de films d'exploitation bas du front comme plus récemment "Peppermint" de Pierre Morel (2018) ou encore "Death Wish" de Eli Roth (2018). Autant dire qu'il y a à boire et à manger et qu'on ne sait jamais vraiment si on va passer un bon moment ou faire la sieste du siècle.

En 2014, le réalisateur Antoine Fuqua reforme le duo avec Denzel Washington qu'ils avaient créé en 2001 avec "Training Day". Leur projet : dépoussiérer la série emblématique des années 80 "The Equalizer" porté par Eward Woodward. On se retrouvait alors face à un pur produit d'exploitation qui faisait ce qu'on attendait de lui : voir ce bon vieux Denzel Washington casser du malfrat pour défendre la veuve et l'orphelin. Le film était un peu trop long pour son propre bien, mais nous faisait passer un bon moment, notamment grâce à l'investissement de son acteur principal et à quelques séquences de castagne où hémoglobine et ralenti faisaient bon ménage. Mais le système étant ce qu'il est, et au vu du succès de ce premier film, deux suites verront le jour.

On attaque ce troisième chapitre avec une séquence dans un vignoble du Sud de l'Italie, où notre bon vieux Denzel a fait un véritable carnage. Premier problème, et il sera récurrent et significatif de comment ce film a été appréhendé par son équipe, c'est qu'on arrive après la tempête, nous humbles spectateurs. Assis sur une chaise sous la surveillance de deux molosses, notre protagoniste lustre son arme après l'avoir déversée sur à peu près tout et tout le monde dans la maison. Deux-trois tatanes plus tard, notre héros élimine ses geôliers et s'en va prendre un ferry. Pour ce qui est d'iconiser, en une introduction, Robert McCall et ses capacités meurtrières, la question du hors champs est intéressante. On nous ré-introduit le personnage à ce qu'il semblerait être le meilleur de sa forme et en pleine possession de ses moyens. Le souci, comme dit plus haut, c'est que ce procédé se verra être utilisé jusqu'à la confrontation finale contre l'antagoniste du film et sa clique. On aimerait interpréter ce parti pris comme une volonté de transformer dans cet « ultime » volet (soyons prudent) notre justicier comme un fantôme qui tue hors cadre et ne laisse derrière lui que les traces de son passage. Le rapprochement avec l'âge avancé de l'acteur principal aurait pu être un niveau de lecture un peu méta sur l'idée de la disparition progressive, le côté ange de la mort invisible.

Mais ça serait prêter à Antoine Fuqua des intentions qu'il n'a pas et qui ne se retranscrivent pas dans sa mise en scène. Plus technicien à la solde des studios que véritable auteur, le cinéaste s'est fait remarqué avec "Training Day" qui a permi à son interprète de remporter un Oscar, pour ensuite enchaîner des films de commandes parfois réussis (on pense à "Shooter – tireur d'élite" porté par Mark Wahlberg en 2007) parfois bien ratés dans les grandes largeurs avec des discours très nationalistes ("Les Larmes du Soleil" en 2003 avec un gentil Bruce Willis contre les méchants africains). Autant dire que le bonhomme est loin d'être constant et son "Élite de Brooklyn" (2009) passe pour une anomalie, peut être son seul vrai film dit « d'auteur ». Malheureusement pour nous, hormis un premier épisode sympathique on constate que tout ceci a l'air d'être produit à la chaîne, sans réelle passion ni vision.

Nous nous retrouvons alors, encore en 2023, avec une représentation de l'Italie qui n'évite bien entendu pas les clichés, mais pire, ne s'intéresse pas réellement à ce dépaysement, quitte à ne pas le respecter. Quand un plat typique du coin devient une chiche kebab, c'est qu'il y a un réel manque d’investissement de la part de toutes les personnes qui ont participé à ce projet. Tout comme la représentation de la mafia, qui passe par des imageries rappelant plus les cartels de Mexico que les familles siciliennes (un cadavre accroché à sa fenêtre, mais où sommes-nous ?). Tout ceci a bien entendu comme effet de tuer notre immersion, la représentation n'étant finalement pas fidèle au réel.

L'effet se décuple également sur les seuls décors du film que l'on ne cessera de visiter. Entre la place du village (qui semble être un bon décor de studio) et l'appartement du vieux Enzo, on ne voit que trop rarement notre personnage évoluer ailleurs. Hormis des plans de coupes cartes postales tout droit venues d'une banque d'image, jamais ce lieu unique où se trouve notre protagoniste ne sera réellement utilisé. Alors oui, on voit bien papy Denzel monter et descendre quotidiennement les marches qui parsèment ce village à flanc de montagne, mais seulement pour nous symboliser sa convalescence. Pas une seule scène d'action n'utilise ce décor unique et l'on regrette de ne pas avoir vu de courses poursuites dans ces dédales d'escaliers. Autant vous dire que l'action se serait déroulée à Melun qu'on n’aurait pas vu la différence.

Entre l'absence quasi totale de confrontation direct à mains nues entre Robert McCall et ses nouveaux ennemis et la disparition au fur et à mesure de la dramaturgie, le film nous achève avec son rythme inexistant. Tout semble confiné au mouvement statique que ce soit des situations ou du développement de notre personnage principal (on va lui mettre une love interest avec une jeunette pour ne pas du tout l'utiliser ensuite voire l'abandonner complètement). Tout tend vers l'ennui et la désagréable impression d'être passé à côté d'un film d'action, certes un peu bête mais efficace, ne fait que se renforcer. On a cette sensation de ne voir aucune des promesses tenues.

Le prix de la déception ultime revient au « duo » Denzel Washington-Dakota Fanning. Elle incarne une jeune analyste à la CIA qui se voit sollicitée pour des raisons mystérieuses par Robert McCall pour l'accompagner dans sa quête vengeresse. Là encore le coche est loupé : ces deux acteurs sont pour la première fois réunis depuis le choc "Man on Fire" (2004) de Tony Scott, alors autant ne leur donner aucune substance, aucune séquence réellement marquante à jouer ensemble. Leur échange se limite à des coups de téléphones et deux séquences de dialogues en « face à face » filmées de la façon la plus molle et inintéressante au possible. Aucune volonté de la part du metteur en scène d'en faire petit à petit un buddy-movie où Robert finirait par transmettre son savoir et ses aptitudes à une relève plus jeune. Non, ici ce qu'il nous intéresse finalement c'est l'absence d'ambition et de discours intertextuel des œuvres. Cette réunion n'a que pour action le verbe et l'idée géniale de jeune apprentie n'est même pas effleurée. Pour enfoncer le clou, le film nous dévoile la vraie raison de l'implication du personnage de Dakota Fanning par notre protagoniste… après le générique !

[ATTENTION : Spoiler] On apprend alors qu'elle est la fille du couple d'amis de Robert décédé au début du précédent film. Pour nous c'est le point qui nous achève, où nos yeux deviennent rouges et on a alors qu'une envie c'est de se lever pour crier justice. Comment un élément si important ne serait-ce que pour l'implication émotionnelle du spectateur pour un nouveau personnage qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, se retrouve en scène « bonus » et pas dans le film lui-même ? Comment diable est-il possible de se dire que cet élément n'est pas essentiel à l'ancrage du personnage dans nos cœurs de spectateurs et pour ne serait-ce que justifier son temps de présence à l'écran ? Ce petit bout d'information permet beaucoup de choses, mais aussi de tisser un lien tangible avec les films précédents.

Ce dernier acte de trahison est révélateur d'une entreprise qui n'a que faire de la culture qu'il représente et de l'histoire qu'il veut raconter. Alors oui, Denzel Washington est un monstre de charisme, mais il n’est jamais utilisé de façon impactante afin de permettre à ce grand acteur de tirer une révérence digne de ce nom, ou de rendre hommage à ses films d'actions passés. À l'avenir, autant s'inspirer de projets plus malins dans leur approche « fin d'une époque », comme avec "Mr Holmes" de Bill Condon (2015) où l'on retrouvait le célèbre détective sur sa fin de vie, devant faire face à son ultime enquête. Embrassant la décrépitude du corps et de l'esprit de Sherlock avec un Ian McKellen à fleur de peau, c’était là une vraie proposition sur un héros passé, presque déjà devenu fantôme, qui devait faire face à une dernière épreuve. C'est sûr, celà rapporte moins de gros sous-sous mais ce système ne doit-il pas aussi se remettre en question ? Vus les flops à répétition des grandes majors cette année, on est en droit d'espérer qu’un jour dans un monde parfait les projets seront mis en place pour les bonnes raisons et que le kebab devienne le plat national italien. On peut rêver, non ?

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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