Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

INTERVIEW

LA TRESSE

Laetitia Colombani

C’est dans les salons de l’hôtel Novotel Confluence, quelques mois après que l’on ait pu découvrir son film, « La Tresse« , adapté de son propre roman, que Laetitia Colombani, de retour à la réalisation a accepté d’échanger avec quelques journalistes. L’occasion d’aborder ce voyage de 6 mois entre trois pays contrastés et les influences qui ont marqué son parcours, de « Babel » à Jane Campion, en passant par « The Hours« . C’est parti pour un riche échange de plus d’une heure.

Entretien Interview Rencontre
© SND

Journaliste :
Pourquoi avoir fait le choix de l'anglais pour la partie québecoise qui se déroule à Montréal ?

Laetitia Colombani :
J'étais bien consciente que le fait de passer d'une partie à une autre, c'était une petite gymnastique pour le spectateur. Et donc l'anglais, tout le monde parlait l'anglais, alors que tout le monde ne parle pas le français. Donc ça permettait d'élargir un petit peu plus les choses à l'international pour le film.

Adapter son propre roman

Journaliste :
J'ai une question par rapport au choix de mettre en scène son propre roman. Quelle était l'idée derrière tout ça ? Est-ce que c'était vraiment nécessaire pour vous d'être à la réalisation de ce film ? Et pas seulement la production, comme ça se fait parfois. Je pense à Gaël Faye pour "Petit Pays" qui avait confié la réalisation, mais avait quand même un droit de regard...

L.C. :
En réalité, moi, j'étais réalisatrice avant de devenir écrivain. J'ai fait des études à l'école Louis Lumière. Ma formation initiale, c'est le cinéma. J'ai réalisé deux longs-métrages, en 2002 et en 2008. Je pensais pas, quand j'ai écrit cette histoire sous forme de roman, je ne pensais pas l'adapter, en faire un film un jour. Je me suis même dit que si j'écrivais un scénario qui se passe en inde, en italie, au canada, vous me direz : c'est trop cher, c'est trop ambitieux, c'est trop compliqué, etc. Mais au moins, avec le roman, on a une liberté complète.

Et c'est vrai que quand le roman est paru, des producteurs sont venus me trouver, pour me proposer de l'adapter. Et donc s'est posé pour moi la question de la réalisation. J'ai eu un moment de vertige, en me disant : ah bon, mais il pourrait y avoir un film... En me demandant d'une part, si je serais capable de me lancer dans cette aventure, parce que ça voulait dire aller tourner aux quatre coins du monde, dans des langues que je ne maîtrise pas. Donc, il y avait un côté très nouveau pour moi. Et en même temps, je me suis dit que si je ne réalisais pas le film, je prenais le risque quelque part, que le projet trahisse le roman. en tout cas qu'il serve une vision très différente.

Un metteur en scène, réalisateur, s'approprie un texte, et c'est bien normal. Et là je me suis dit : « est-ce que je suis prête à le céder à quelqu'un d'autre ? » Et la réponse était non. J'avais envie, si un film exister, j'avais envie que ce film soit vraiment très fidèle. Et donc, c'est pour ça que je me suis dit que j'allais réaliser moi-même et me lancer dans cette aventure.

Un construction du film en tresse, fidèle au roman

Journaliste :
Du coup pour la construction du film, cette alternance finalement systématique, sauf à un moment à la fin, qui toujours l'Inde, puis l'Italie, puis le Canada, cela correspond à la construction du livre ?

L.C. :
Oui, c'est très très fidèle. C'est vraiment la construction du livre et c'est vrai qu'au montage... C'est un film qui a demandé un grand travail de montage puisque, effectivement, l'entrelacement des trois parties devait être, sur le plan visuel aussi, assez dynamique. Donc, on a travaillé sur les transitions beaucoup au montage, mais je tenais absolument à ce que la structure en tresse du roman soit celle du film.

Le roman comme liberté d'écriture

Journaliste :
Justement, est-ce vous vous êtes mise à écrire des livres, pour répondre à une frustration du fait que c'est peut-être devenu difficile de faire des films ?

L.C. :
Oui, très clairement. J'avais une frustration parce qu'au cinéma, les films mettent beaucoup de temps à se monter. Il faut convaincre la terre entière : les acteurs, les agents, les producteurs, les distributeurs, les chaînes de télévision, etc. Et quand on met le mot fin à la fin d'un scénario, le début du parcours du combattant commence. En fait, il y a en général deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, voire plus... Et, à un moment donné, j'avais l'impression, de ne plus avancer dans le cinéma. J'avais des projets qui peinaient à voir le jour. Et je me suis dit que, finalement, si le milieu du cinéma était un peu bloqué. Et bien, j'allais explorer d'autres expériences, d'autres aventures.

Je crois que ce qui me constitue c'est l'écriture. J'ai toujours aimé écrire. C'est vrai que j'ai écrit très longtemps pour le cinéma. Et puis je me suis dit : mais il y a pas que le cinéma dans la vie. J'ai aussi écrit du coup pour la scène, pour le théâtre, et puis je me suis dit : « pourquoi pas écrire un roman ? » c'est ce qui m'a séduit, c'est la liberté. Et donc, je pensais pas, quand j'ai écrit ce livre, revenir au cinéma. En réalité, j'avais un peu fait en quelque sorte le deuil de ma carrière de réalisatrice. Donc j'ai été d'autant plus surprise, finalement, quand les producteurs sont venus me trouver.

C'était mon premier roman. J'imaginais pas ce qu'il aurait cet accueil-là. Je n'imaginais absolument pas qu'il puisse avoir du succès. Donc, ça a été une surprise, et en même temps, je me suis dit : mais c'est comme le cinéma revient, comme un boomerang. Et j'aime passionnément faire des films. J'aime être sur les plateaux, j'aime être avec les équipes. Ça a été un bonheur pour moi vraiment de pouvoir réaliser ce film.

Un projet d’adaptation en chasse un autre

Journaliste :
Je crois même que vous aviez d'autres projets d'adaptation...

L.C. :
Oui, absolument. J'avais projet d'adapter "Le baiser dans la nuque" d'Hugo Boris, qui est depuis devenu un ami. Et d'ailleurs, Hugo, il vient du cinéma, puisqu'il a fait l'école Louis Lumière, comme moi, et il est devenu écrivain. Donc, c'est quelqu'un qui est très polymorphe comme ça. Et en fait, quand j'ai écrit le roman, j'ai demandé conseil à hugo et il m'a dit : contacte mon éditrice chez Grasset. Et c'est grâce à hugo que j'ai pu trouver une éditrice. Finalement, nos parcours dans le cinéma et en littérature, sont très imbriqués, en fait.

Et je crois aussi que ça, c'est quelque chose qui me constitue. Je crois aussi que j'ai dans mes influence, il y a des films et des livres. Tout ça est très lié, dans ma vie et dans ma formation.

Des influences dans des films sur des destins croisés

Journaliste :
Justement quand vous dites que vous avez été très influencée, est-ce que vous avez quelques exemples ? Parce que forcément [votre film] rappelle quelques films, de destins croisés, comme par exemple "Babel"...

L.C. :
Oui, complètement. Je me souviens, quand j'ai vu "Babel" au cinéma, à sa sortie, ça devait être en 2004, j'ai adoré. J'adore Iñarritu, j'adore tous ses films, surtout les premiers, qui sont construits aussi sur de multiples points de vue. Ça m'a toujours beaucoup plu. Dans mon premier film, "A la folie, pas du tout", je jouais déjà avec deux points de vue différents sur la même histoire. Et quand j'ai vu "Babel", je me souviens très bien m'être dit : j'adore cette idée de tresser comme ça avec des destins dans le monde, mais un jour, mon rêve, ce serait de faire un "Babel" au féminin.

Et quelque part cette histoire, quand j'ai eu l'idée d'écrire ce roman, je crois que j'avais vraiment cette influence-là de "Babel", toujours en tête. Et l'autre film qui m'a beaucoup influencée, c'est "The Hours", avec Meryl Streep, Nicole Kidman, Julianne Moore, sur Virginia. Woolf, qui est construit aussi sur des points de vue différents. Mais là, ce sont trois époques différentes.

Je dirais que ce sont les deux films, vraiment, qui m'ont influencée. Avant d'être un film "The Hours", c'est aussi un roman de Michael Cunningham, c'est mon roman de chevet. C'est un roman j'ai lu plein de fois et que j'adore, qui est construit comme le film. Donc, ces influences-là, elles ont été très très présentes au moment de l'écriture du roman et au moment de la préparation du film.

Et puis, après pour moi, le film qui est le film que je place au-dessus de tous les autres, mon film culte, c'est "La leçon de piano" de Jane Campion. Et là, je me souviens, je venais d'avoir mon bac quand j'ai vu ce film qui m'a complètement bouleversée. Là, je me suis dit : en fait, quelle incroyable façon de parler des femmes, d'écrire des personnages féminins, des personnages fort singuliers... Visuellement, c'est un film qui ne ressemble à aucun autre, avec une violence et en même temps une poésie, une sensualité. Pour moi ce film il a tout et je crois que de c'est ce film aussi que m'est venue mon envie de parler des femmes aussi, d'écrire des personnages de femmes.

Journaliste :
Vous étiez au Festival Lumière à l'occasion de la remise du Prix Lumière à Jane Campion ?

L.C.:
Je n'étais pas au festival lumière. J'ai vu qu'elle venait présenter "The Power of the Dog". J'étais à paris, je l'ai vu à paris. Je suis une fan de Jane Campion et je suis en lien avec elle depuis très longtemps, depuis vingt ans maintenant. On est devenues amis.J'ai voyagé dans le monde pour lui montrer mon premier film "A la folie, pas du tout". Et c'est quelqu'un qui est, au-delà d'être une très grande cinéaste, humainement qui est extrêmement généreux. Elle a lu le roman en anglais. Elle m'avait envoyé un mail très enthousiaste en me disant : mais oui, vas-y, fais un film [...]. Avant le tournage de l'adresse, j'ai revisionné plusieurs interviews de Jane Campion, justement, où elle parle de son métier de cinéaste, où elle parle des femmes. Et c'est très inspirant.

La thématique de la transmission au cœur du film

Journaliste :
Est-ce que dans les points communs avec ces trois femmes, il y a l'idée d'aller contrôler les carcans- et aussi de transmission : ce qu'on veut transmettre, ou se que l'on ne veut pas transmettre ?

L.C.:
Oui, vous avez raison, le thème de la transmission, c'est vraiment un thème que j'ai voulu décliner quelque part dans les trois versants du film. Parce que en Inde, toute la problématique du personnage, c'est : je ne veux pas transmettre ce métier, je ne veux pas transmettre cette vie, je veux que ma fille ait une vie meilleure. Dans la partie italienne, la problématique est vraiment : est-ce que évoluer, c'est trahir ? Est-ce qu'en changeant l'atelier, Julia va trahir son père ou pas ? Parce qu'elle est l'héritière de ce savoir-faire, de cet artisanat, de cet atelier familial. Et quelque part, la transmission. Elle est aussi au cœur de la partie canadienne.

C'est pour ça que, par rapport au roman, j'ai voulu développer beaucoup le personnage de la fille de Sarah Cohen, de Ann. Elle existe plus dans le film que dans le livre, parce que, à travers cette maladie qui est le cancer du sein, on comprend que la grand-mère, que la mère de Sarah, est décédée de cette maladie, elle-même très malade. Et il y a aussi quelque part dans cette révolte du personnage, dans cette envie de se dire « stop, en fait, je vais guérir », « je ne vais pas me laisser mourir », « je vais guérir ». Dans cette partie, il y a aussi cette idée de transmission. Qu'est-ce qu'on transmet ? Quelle vision de la femme elle va transmettre ? Est-ce qu'elle va se battre pour essayer de guérir, ou est-ce qu'elle va se laisser complètement couler ? On finit le film sur sa fille...

Un travail sur les regards et les attitudes

Journaliste :
Dans le film je trouve que les enfants soient un peu plus suiveurs, alors que dans le livre, justement, ils ont un rôle et ça passe beaucoup par le regard. Je voulais Savoir comment vous avez travaillé en fait cette place ? Et en fait même parfois, des enfants, comme par exemple lors de la petite bataille avant de prendre le train, la fille veut récupérer la poupée et la mère dit « lâche la poupée » c'est pas si grave... C'est là où l'enfant prend aussi le rôle qui prend dessus dans toute cette traversée... Comment avez-vous travaillé ces nouveaux personnages ?

L.C.:
En fait, la petite indienne, pour le coup, elle n'était pas nouvelle, puisqu'elle est au cœur du roman. Et c'est le point de départ pour moi. C'est aussi pour ça que le roman s'appelle "La tresse". C'est le point de départ de toute l'histoire, c'est le « non » qu'elle dit au « brahmane », au tout début du film. Il lui demande de balayer devant les autres et la petite dit: « non ». Elle n'a pas voulu faire, elle refuse de le faire. Et finalement c'est cette attitude de cette petite qui va être déterminante, puisque c'est ce qui lui vaut des coups, et c'est ce qui fait dire à la mère : on va s'en aller, on peut plus vivre ici, on va partir ailleurs. Ou pour moi, ce « non » de la petite fille, c'est l'élément déclencheur de toute cette histoire.

Et même si ce personnage ne parle pas beaucoup, effectivement, les regards étaient très importants. Quand j'ai écrit cette partie indienne j'imaginais quelque chose de très visuel. Cette partie raconte finalement la vie de Smita, qui est une femme qui n'a pas été à l'école. C'est pas une femme qui est dans les mots, contrairement à la grande avocate canadienne qui maîtrise le langage, c'est même son outil de travail, on peut dire à au tribunal. Smita n'est pas dans l'explication, n'est pas dans les mots. Il y a peu de dialogues en fait entre elle et sa fille, mais le lien est très fort et ça, effectivement, je pouvais le montrer par les attitudes et par le regard.

Et la petite fille que j'ai choisie pour interpréter Lalita, c'est une petite fille des rues, qui mendiait pour manger, qui dormait sous un morceau de tôle ondulée avec sa famille. Je voulais vraiment une petite intouchable. Je ne voulais pas du tout une enfant actrice, je voulais une enfant qui ait en elle ça justement, cette puissance et cette intensité, ce regard qu'ont les enfants. J'ai pu rencontrer en Inde cette petite. Elle a une histoire tout à fait incroyable. Et aujourd'hui, sa vie a changé, elle a pu: rentrer à l'école, c'était son rêve. Elle vit maintenant dans un foyer d'accueil pour enfants des rues. J'ai raconté dans un journal de bord le voyage de "La tresse". J'ai raconté toute mon aventure, et notamment l'histoire de cette petite fille. Et cette rencontre-là, ça a été très fort pour moi. Quelque part, quand j'ai vu cette petite (on a vu plus d'une centaine d'enfants), elle avait ce regard. Elle avait un regard d'une intensité incroyable et je me suis dit : elle a pas besoin de parler.

La situation peu enviable des intouchables

Journaliste :
Est-ce que vous vous êtes beaucoup documenté sur la société indienne justement, par rapport notamment à ces intouchables ? Et est-ce que ça a évolué ?

L.C. :
Alors malheureusement... Oui, je me suis beaucoup documentée. J'ai beaucoup voyagé en inde, j'ai rencontré beaucoup de monde dans des villages et beaucoup parlé, avec des gens, des hommes, des femmes, des enfants de la communauté intouchable. J'ai tissé des liens assez forts, j'ai des amis proches aujourd'hui là-bas. J'ai des liens que j'ai conservés. Ils m'ont confié ce qu'ils vivaient, au quotidien et malheureusement, non, les choses n'évoluent pas. Alors, dans les grandes villes, elles évoluent d'avantage. Dans les villages, elles n'évoluent pas du tout.

J'ai vu un jour un documentaire sur un coiffeur, dans une petite ville dans le nord du pays, qui disait qu'il préférerait mourir que de laisser un intouchable entrer dans son salon de coiffure, parce qu'alors toute sa famille serait déshonorée. Et quand on entend ce genre de témoignage en 2023, évidemment, ça nous paraît tout à fait effarant, comme vision de pensée. Mais comme me disait une petite jeune fille de quinze ans qui allait dans une école pour les intouchables : « ah, mais toi, tu viens d'un pays où on parle de liberté, d'égalité ». Elle me disait : « ce sont des mots qui n'existent pas ici, qui ne veulent rien dire ». La fraternité, oui, elle me dit, il peut y en avoir, mais l'égalité, certainement pas.

Et je crois qu'il n'y a pas d'autres exemples au monde de société où la discrimination est instituée à si grande échelle, institutionnalisée et acceptée de cette manière-là. c'est vrai que les intouchables, encore aujourd'hui, sont complètement maltraités, sont mis à part, sont vraiment rejetés et puis asservis. Et ça malheureusement, tous les liens que j'ai pu tisser dans cette communauté vont dans ce sens. Ils me disent que non, ça n'évolue pas.

J'ai des amis qui m'ont envoyé il y a quelques mois un article de journal. Il y a un maître d'école qui a battu à mort un petit élève intouchable. L'enfant est décédé, un petit garçon de dix ans, qui a été battue à mort par son maître. Donc, les mauvais traitements à l'école, c'est quelque chose qui est une réalité. Et sur les enfants intouchables, c'est malheureusement quotidien, c'est courant, oui.

Effectivement, ce qui est révoltant pour nous aussi, c'est de se dire pourquoi personne ne se révolte, pourquoi ? Il y a ponctuellement des révoltes, mais très rarement. Et il y a, je crois, dans la philosophie indienne, cette idée de réincarnation de toute façon. Et cette idée que la vie prochaine sera meilleure et que si on est dans cette vie-là, c'est qu'il y a une raison; si on est dans cette condition-là, c'est qu'il y a une raison, c'est quelque chose qu'on a fait avant. L'idée d'expier aussi est très forte là-bas. Donc, il y a une forme de résignation, qui pour nous, occidentaux, nous paraît étonnante parce qu'on raisonne... on est dans la recherche du bonheur, on est en recherche du bien-être. Et c'est pas du tout le cas là-bas. Donc, c'est vrai que c'est vraiment un autre monde, où on assiste à des choses qui sont pour nous extrêmement révoltantes.

Des changements de pays et de manière de travailler

Journaliste :
Est-ce que vous avez l'impression que vous avez tourné trois films différents ? Peut-être pour combler cette absence de film que vous avez depuis quelques années...

L.C. :
C'est exactement l'impression que j'ai eue. Je me suis dit : « waouh, là, je rattrape quinze ans loin des plateaux ». J'avais tourné un peu comme comédienne, mais pas comme réalisatrice. Et je me suis dit c'est comme si je réalisais trois films différents, puisque j'ai tourné sur trois territoires avec trois équipes différentes, avec quelques personnes, comment chef, opérateur, ingénieur du son, assistant, qui m'ont suivi sur les trois pays. Mais sinon, c'était des équipes complètement différentes, locales et des manières de travailler aussi très différentes.

Le tournage au Canada, c'était beaucoup plus un tournage à l'américaine, avec les syndicats, les conditions de tournage, etc. En inde, c'était encore une autre manière de travailler. En Italie, c'était plus européen, mais aussi très différent. Donc, j'ai eu l'impression de rattraper complètement quinze ans loin des plateaux et puis d'avoir un concentré d'action pendant six mois. Le tournage s'est étalé sur six mois. Ça a été d'une grande intensité et ça a été passionnant et j'ai appris. J'ai appris énormément.

Journaliste :
Justement, qu'est ce qui a été plus difficile ?

L.C. :
Alors, pour moi, ce qui a été le plus difficile, je dois dire, c'est de passer d'un pays à l'autre, sans transition. Parce que, d'un seul coup... - j'ai commencé par l'Inde - j'étais donc en inde Dans un tournage très intense avec des conditions... Si certains d'entre vous connaissent un petit peu l'Inde, c'est un pays intense, c'est un pays fort, c'est un pays où il y a Du bruit tout le temps du monde, partout et en même temps. J'avais une équipe gigantesque avec deux cents personnes, mais avec un dynamisme professionnel très grand, et plus de trente huit degrés, etc. J'étais dans cette histoire indienne, et sans transition, je suis rentrée, j'ai pris cinq jours à paris, et je suis repartie.

À Montréal, je me suis retrouvée en pleine tempête de neige alors que je venais du sud de l'Inde. Et d'un seul coup de devoir - l'exercice intellectuel en fait - plonger... réaliser comme vous disiez, un autre film, quasiment, mais sans aucune transition. Et puis j'ai d'autres acteurs, une autre équipe, une autre façon de faire. Intellectuellement et artistiquement c'était passionnant,

mais c'était dur. C'est ce qui m'a paru le plus dur. Il m'a fallu un temps, me dire: « ok, on a fait ça en amont, maintenant je dois m'immerger ». Et puis, les enjeux des personnages sont différents. Et l'ambiance aussi.

Journaliste :
C'est la partie la plus feutrée...

L.C. :

oui, complètement, une ambiance totalement différente, et là aussi, j'avais une super équipe et tout. Mais voilà, ça a été ce, disons, cet exercice artistique et intellectuel qui a été compliqué pour moi. Et après, sur l'Italie, c'était encore tout autre chose. Ça a été dur pour moi à gérer sur le début de l'Italie : c'était la fatigue. Parce que j'avais déjà quatre mois très intenses et c'était la fin. Entre-temps, j'ai attrapé le Covid... et on était en pleine vague Omicron. Donc, ce qui a été dur c'était de tenir aussi. Puis un tournage, c'est à la fois une course de vitesse chaque jour et, en même temps, un marathon sur six mois. Mais en même temps, je me suis sentie très portée parce que j'avais vraiment des équipes et des comédiens très motivés, et les comédiennes, notamment, qui ont les rôles principaux, elles ont tout. Elles ont adoré cette histoire et elles ont toutes été complètement investies, passionnées. Elles se sont vraiment données à mille pour cent. Je me suis aussi senti porté par cette énergie là, dans les moments où moi j'étais un peu fatiguée.

Un casting de quatre femmes très contrastées

Journaliste :
Comment s'est réalisé justement le casting ? Est-ce que vous aviez repéré certaines personnes . Je pense par exemple à Giulia, qui est dans la série de Cédric Klapisch ("Salade Grecque")...

L.C. :
Non, parce que la série n'était pas encore sortie à l'époque. Donc, en fait, pour les trois, à chaque fois, on a travaillé avec des directeurs de casting dans les trois pays et j'avais aussi quelqu'un en France, un directeur de casting qui m'aidait aussi à faire des choix et à ce que ce soit harmonieux sur les trois parties.

Par exemple, en Inde, la comédienne qui incarne Smita, Mia Maelzer est une comédienne de théâtre, qui fait très peu de films, mais beaucoup de scène. Et elle a cet investissement des comédiens de théâtre, comme ça. La petite, c'est du casting sauvage dans la rue, pour la trouver. Pour la partie italienne, c'est la directrice de casting italienne qui m'a proposé beaucoup de jeunes comédiennes, beaucoup de jeunes actrices, en m'envoyant des bandes démo, des photos. Et quand j'ai vu Fotinì Peluso - j'ai vu un extrait d'un film dans lequel elle avait joué - , ça a été immédiat. J'ai eu ça aussi pour Mia, qui incarne Smita, et toutes les comédiennes que j'ai vu, je me suis dit : « elle a l'intensité ». Il fallait quelqu'un qui ait cette intensité-là.

Et pour Kim Raver au canada, c'est un rôle de Sarah qu'on a longtemps cherché. Au départ, on a plutôt cherché dans les comédiennes connues au cinéma. Et puis, son agent nous a contactés en disant : "j'ai eu vent du projet, Kim joue beaucoup dans "Grey's Anatomy", depuis dix ans, elle fait beaucoup de séries, mais elle a envie de faire du cinéma et elle a adoré l'histoire". Donc, il a organisé une rencontre et on a vraiment été connectées tout de suite. Elle a complètement compris qui était ce personnage, en fait. L'écartèlement entre la vie professionnelle la vie familiale, elle l'a immédiatement compris parce que elle-même, elle est mère de famille, elle s'occupe énormément ses fils. C'est une femme qui a toujours mené sa carrière de comédienne, qui a toujours beaucoup travaillé dans les séries, et en même temps, c'est elle qui va chercher son dernier fils à la compétition basket, qui l'emmène au lycée le matin, etc. Elle est dans la vraie vie. C'est quelqu'un qui est très ancré dans la vie courante, donc elle connaît ça. Elle m'a dit qu'elle sait très bien ce que c'est que de passer la nuit entière avec un bébé malade et de devoir paraître fraîche, dispo et sexy le lendemain matin sur un plateau. Donc, elle a eu cette compréhension du script qui a fait qu'on s'est tout de suite super bien entendues, et elle s'est investie énormément dans ce rôle. Je crois qu'elle avait envie de défendre ce rôle-là.

Des personnages de romans qui prennent visages

Journaliste :
Quand vous écrivez un roman, est-ce que, comme le lecteur, vous vous imaginez des visages ou est-ce que vous arrivez à vous affranchir de cela ?

L.C. :
En fait, ça m'aide d'imaginer des visages, mème des acteurs, des actrices, quand j'écris un roman. Pas du tout pour que ça devienne réel, mais pour moi, pour visualiser le personnage. Et ensuite ce que j'essaye de faire au casting, c'est de retrouver ce qui était essentiel. Pour Smita j'ai toujours visualisé une femme petite, très menue, avec un regard très intense. J'avais cette idée qu'elle était très fragile physiquement, mais qu'elle avait cette force de caractère qui transparaissait, et que j'ai complètement trouvée chez Mia.

C'est drôle, pour le rôle de Sarah Cohen, le personnage au départ dans le roman, j'imaginais une femme élégante, fine, blonde, avec des cheveux dégradés, comme ça. Donc, je voulais qu'elle dégage de l'élégance et, en même temps, que ce soit une maman, qu'elle ait un côté qui ne soit pas froid, papier glacé, parce que, bien sûr, elle montre un masque. Au cabinet d'avocats, elle est l'avocate brillante et tout, mais intérieurement, elle a cette fragilité, cet écartèlement. Donc je voulais vraiment qu'on sente qu'il y a une humanité dans ce personnage aussi. Et quand j'ai rencontré Kim, elle a un côté extrêmement chaleureux dans la vie. Elle est belle et élégante, mais elle a ce côté très chaleureux, donc elle avait l'humanité que je recherchais. Et puis Giulia, je la visualisais peut-être moins à l'écriture du roman. Pour moi elle était solaire. Je voulais un personnage qui soit solaire. Elle est belle, mais elle ne sait pas qu'elle est belle. Elle est fraîche, elle est pas du tout surfaite, elle est pas du tout sophistiquée. Elle est belle au naturel et, et c'est ça qui m'a guidé quand j'ai vu Fortini et je me suis dit : « bah, elle a tout ça ».

Des couleurs loin d'être anodines

Journaliste :
J'ai l'impression, par rapport à l'écriture du livre, que bien sûr il y a la musique... Mais aussi l'image, avec des choix importants esthétiques. J'ai relevé qu'il y avait une volonté d'y mettre du bleu pour l'Italie, du rouge pour l'Inde, et plutôt du blanc pour le Canada. A la fin d'ailleurs, Giulia porte un ruban rouge, Sarag une écharpe rouge... elles sont liées par la couleur. Qu'est-ce qui vous a guidé dans ces choix ?

L.C. :
Mais en fait, avant d'écrire le roman, je suis allé suivre une Master class avec Guillermo Arriaga, qui était le scénariste d'Inarritu, et qui est notamment le scénariste de "Babel"... Il donnait une Masterclass à londres, et il a expliqué que quand il travaillait, il aimait associer ses personnages à un élément. A l'écriture du roman, j'ai associé Smita à la terre, la boue, la fange, Giulia à l'eau, et le personnage de Sarah au vert, à la glace ou à quelque chose de froid... Et quelque part, quand vous parlez des couleurs qu'on retrouve... j'en ai parlé à mon chef opérateur au début du travail. Je lui ai dit : "je voudrais, de façon subtile, garder cette association de Smita à la terre, Giulia à l'élément marin, à l'eau, et puis Sarah... Et donc il a travaillé selon ces directions là et on retrouve des dominantes de couleur. Mais on ne voulait pas non plus en faire un systématisme, on voulait que ça reste subtil. Et je voulais aussi qu'il y ait un petit lien, cette couleur rouge à la fin qui est sur les trois, et qui lie les trois parties, pour symboliser ce lien entre les trois personnages.

Et pour la musique, j'en écoute beaucoup. J'adore Ludovic Ludovico Einaudi, je l'écoute beaucoup quand j'écris mes romans. Et c'était un rêve de travailler avec lui. Et quand Marc (Missonnier), mon producteur, m'a demandé avec qui je voulais travailler, très naturellement j'ai dit : « ah, Einaudi ». Il travaille très peu pour le cinéma. Il fait des concerts dans le monde entier. Il est débordé. J'ai décidé de lui écrire. J'ai écrit une lettre, en lui envoyant le roman en italien. Après, je me suis dit: "je sais, comme une bouteille à la mer, on verra". Je n'ai pas eu de réponse pendant six mois et au bout de six mois, il m'a répondu et il m'a dit: « j'ai adoré le livre, voyons-nous pour en parler ». Et il a accepté.

C'est vrai que la musique, elle est important dans le film parce qu'elle est une voix à part entière. Dans le roman, il y a des parties poétiques qui lient en fait les trois parties, qui sont comme un fil rouge. Elles n'existent pas dans le film et donc, il fallait, que d'une certaine façon la musique nous emmène d'une partie à une autre, la musique tient ce rôle.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT