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THE KING OF STATEN ISLAND

Un film de Judd Apatow

Do you NEET someone ?

Depuis le décès de son père pompier, alors qu’il n’avait que sept ans, Scott vit perpétuellement au crochet de sa mère Margie et passe le plus clair de son temps à traîner avec ses potes drogués, à fumer de l’herbe et à coucher avec son amie d’enfance. Son seul rêve à 24 ans est d’ouvrir un jour un salon de tatouage. Le jour où sa mère commence à fréquenter un pompier, l’adolescent va se retrouver face à tout ce que le mot « responsabilité » implique…

The king of Staten Island film

Le chapitre Apatow est-il désormais refermé ? C’était bizarrement la question que l’on s’était posé il y a très peu de temps, s’étonnant de l’absence d’un nouveau film du bonhomme depuis la sortie du semi-décevant "Crazy Amy" il y a cinq ans. À croire qu’il n’y avait plus rien à attendre de la part de celui qui avait réussi à voler à John Hughes sa couronne du cinéaste ayant le mieux compris les goûts et les angoisses d’une certaine jeune génération post-2010. C’était mal connaître le brillant réalisateur de "Funny People", moins moralisateur que certains ont pu le prétendre, mais surtout apte à s’imposer en version 2.0 de John Cassavetes, creusant la vérité des êtres et des individus sociaux avec un goût pour l’étirement de la durée et l’autopsie au scalpel des sentiments les plus pressurisés.

Là où "Funny People" faisait remonter à la surface les angoisses d’une star du stand-up persuadée d’être passée à côté de sa vie, là où "40 ans mode d’emploi" transformait la comédie sur les affres de la quarantaine en un drame poignant sur les espoirs brisés de l’individu et du couple, "The King of Staten Island" fait revenir Judd Apatow vers ce fabuleux registre qui fut le sien. Non pas celui de la comédie potache (peut-on sincèrement croire qu’il a déjà cherché à labourer le terrain des frères Farrelly ?) mais celui de la « dramédie » douce-amère, où le rire grince autant qu’il décoince.

Soutenu par son coauteur et acteur principal Pete Davidson (lequel intègre ici le souvenir de son propre père, pompier disparu lors des attentats du 11 septembre 2001), Apatow axe tout son récit sur les angoisses de plus en plus explosives d’une sorte de Tanguy borderline et flemmard à souhait – le terme « NEET » est souvent utilisé pour désigner cette catégorie de stoner pseudo-rebelle. Il se centre ainsi de nouveau sur un prototype d’individu social qui aurait retardé sa finition depuis trop longtemps, et qui compterait sur l’apparence pour se donner une image.

Roi de rien du tout (le titre est un piège), surface blindée d’illustrations diverses qui brouillent les pistes sur sa nature au lieu de l’éclairer (l’ambiguïté du tatouage est ici questionnée : signe distinctif ou acte rebelle ?), incapable de faire le deuil du père (un héros dont il faut suivre l’exemple ou au contraire se démarquer à tout prix ?), le personnage de Scott est un vivier de contradictions fortes et actuelles, très liées à ce mal-être existentiel et à cette difficulté de projection dans l’avenir qui animent une large partie de la galaxie pré-adulte. Là-dessus, le film vise perpétuellement juste dans son approche, riche d’une galerie de personnages épais et complexes qui deviennent immédiatement proches, familiers, vivants, vibrants, aussi libérés dans leur énergie interne que bloqués dans leur schéma intérieur.

Pour autant, si les personnages sont des bijoux de construction dramaturgique, on se montre moins enthousiaste sur certains choix de casting – c’est peut-être là le vrai défaut du film. Pour un cinéaste qui a toujours installé ses protagonistes dans un contexte de pression sociale pour les inviter à aller au-delà des clichés, il est ici assez étonnant de voir Apatow imposer des partitions fonctionnelles et stéréotypées à des acteurs qui ont déjà fait leur beurre dans ce genre de rôles. En vrac, Steve Buscemi singe à nouveau son registre de pré-sexagénaire sensible et bordélique (quoi, vous n’avez toujours pas vu "Ghost World" ?), Marisa Tomei ajoute une nouvelle pièce à sa collection de rôles de MILF sexy et débordées (à noter qu’elle jouait pratiquement le même personnage dans "Cyrus"), et Apatow isole une fois de plus sa fille Maude dans une partition d’ado râleuse et plaintive.

On peut aussi considérer que le cinéaste, même en prenant tout son temps pour creuser ses personnages et ses situations, devrait faire un petit effort dans le chronométrage de ses films – il peine encore à égaler Cassavetes et Kechiche dans ce mariage commun de rythmique du montage et d’épuisement de la durée. Mais en l’état, rien ne nous autorise à croire que Judd Apatow aurait perdu son style et son regard, tous deux d’une justesse imparable.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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