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INTERVIEW

ROSALIE

Stéphanie Di Giusto, Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel

réalisatrice-scénariste, actrice et acteur

Rosalie raconte l’histoire romanesque d’une jeune femme qui ne correspond pas aux critères de beauté de la société. Elle va faire de sa différence une force, sa lumière, son humanité. Même si le film se déroule après la guerre de 1870, Rosalie reste un film actuel avec toujours les mêmes problématiques humaines et sociales. Ce film parle d’amour et est amour.

Rencontre passionnante avec la réalisatrice Stéphanie Di Giusto et les Acteurs Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel au Sofitel de Lyon.

Entretien Interview Rencontre
© Gaumont Distribution

La naissance de Rosalie

Stéphanie Di Giusto : Je voulais raconter une histoire d’amour sans condition, c’est ça qui m’intéressait. Je me suis inspirée de Clémentine Delait « femme à barbe » et aussi d’autres femmes atteintes d’hirsutisme : à l’époque il y a en avait beaucoup. J’ai voulu raconter le désir, explorer les sentiments. Le côté « freaks » phénomène de foire ne m’intéresse pas du tout. J’avais cette sensation qu’en racontant une histoire, un destin amoureux avec un personnage aussi particulier, j’allais raconter quelque chose d’encore plus fort que l’Amour. Je crois que ce personnage, Rosalie, interroge l’humanité. Il fallait donc que je m’approprie les sentiments de cette femme.

Des femmes avant-gardistes

Stéphanie Di Giusto : C’est vrai que dans mes deux films, celui-ci et "La danseuse", je parle de femmes fortes, indépendantes et libres. Que ça soit Loïe Fuller, ou ici Clémentine Delait. Ce qui m’intéresse dans les films d’époque c’est de sentir la modernité de ces femmes aux destins aussi particuliers, hors normes et tellement en avance sur leur temps. Ca m’inspire. C’est unique.

Nadia Tereszkiewicz : Je trouve aussi qu’elle est très actuelle dans son combat pour s’affranchir, elle a une volonté de vivre sa vie comme elle le souhaite et de ne pas être dépendante des codes de la société. Elle souhaite également s’épanouir en tant que femme. Elle est différente par son aspect physique mais aussi elle est très cultivée, elle lit, elle a même sa propre religion. Elle croit en la « Vierge forte » qui a réellement existée, la vierge barbue.

Stéphanie Di Giusto : Pour l’histoire de la «Vierge forte » c’est qu’elle s’est faite violée par des hommes. Elle a prié Dieu pour qu’on la sauve. Dieu lui a donné une barbe. Ça a fait fuir les violeurs, mais quand elle est retournée au village elle s’est faite brûler vive.

L’enfer c’est les autres

Nadia Tereszkiewicz : On regarde un film d’époque avec ce qu’on est aujourd’hui. C’est à la lumière de notre temps. Et c’est plus simple, je trouve, de faire un film d’époque pour nous ramener encore mieux dans celle d’aujourd’hui, parce qu’on a la distance. Il y a des choses qui ont changé, mais ça reste un combat l’acceptation de la différence. Je pense que si Rosalie avait vécu de nos jours, ça se serait passé de la même façon, elle aurait suscité la curiosité, ça aurait été le buzz du moment pour ensuite être rejetée, lynchée et oubliée... C’est l’effet meute, l’effet de masse hommes ou femmes qui me fait peur, car on choisit un bouc émissaire... Et aujourd’hui on le voit tellement encore avec les réseaux sociaux, c’est fois mille. Le film fait écho à tout ça aussi.

Stéphanie Di Giusto : D’où la scène de chasse au début du film : est-ce que je vais être ce bout de chair donné en pâture à cette meute de chiens ? Dès qu’on sort un peu de la norme, tout d’un coup on est un potentiel danger pour les autres. Et on devient pour les autres responsable de tous les désordres.

Le rôle d’une vie

Nadia Tereszkiewicz : C’était une joie immense de jouer dans ce film. On n’en lit pas tous les jours des rôles comme celui-là. C’est un grand destin. C’est une grande histoire d’amour : il y a quelque chose de romanesque qui me ramenait à la littérature que j’aime tellement. C’est très singulier et intime, et en même temps universel et intemporel. Joie immense quand Stéphanie m’a proposé de passer le casting pour son film. On s’était déjà rencontrées 7 ans avant dans son film "La danseuse", où je ne faisais qu’une silouhette. A l’époque déjà, elle avait réuni dans son film tout ce que j’aimais le plus au monde : la danse, Loïe Fuller, que j’ai étudiée pendant des années, le travail de littérature, le voyage dans le temps… Pour Rosalie, la rencontre s’est faite par hasard dans la rue. On ne s’était pas vues depuis 6 ans. J’ai lu le scénario et j’ai été très touchée par le personnage, son histoire d’amour hors norme. Je me suis identifiée à Rosalie, car elle a des désirs de jeune femme similaires aux miens : celui d’aimer et d’être aimé.

Abel et Rosalie, l’effet miroir

Stéphanie Di Giusto : C’est à travers le regard d’Abel qu’existe Rosalie. Et aussi à travers Rosalie qu’existe Abel. Rosalie va prendre sa force avec l’affirmation de sa barbe et c’est à ce moment-là que les forces s’inversent. Quant à Abel, il ne croit plus du tout en l’amour, en la vie. Il est complètement brisé. D’ailleurs le premier plan qu’on a sur lui, c’est un plan sur un homme qui porte un corset. Il a le corps brisé par la guerre. Rosalie va le mettre à l’épreuve. Elle va le mettre à nu. Grâce à elle, il va libérer son désir et son humanité.

Abel, un personnage complexe

Benoît Magimel : Derrière la vulnérabilité du personnage il y a aussi la force. On est tous complexes et c’est cela qui me plaît. Cet homme brisé avec sa carapace, son armure, blessé de guerre, se reconstruit. J’avais « Voyage au bout de l’enfer » en mémoire comme inspiration parce que je me disais : « quand on revient de la guerre abîmé, quand on a été confronté à l’horreur et quand on revient à son village, il n’y a personne à qui se confier et qui peut réellement comprendre. » C’est pour cela qu’Abel est quelqu’un qui s’enferme et qui ne retrouve plus le sens de la vie qu’il avait auparavant.

Stéphanie Di Giusto : On a beaucoup travaillé avec Benoît sur la taxidermie. Ce sont des artistes qui essaient de redonner vie à des animaux morts. Pour moi c’était une métaphore où Abel pouvait se réapproprier la vie comme il pouvait redonner la vie à des animaux morts. Lui, il était dans sa bulle et c’est Rosalie qui arrive dans son monde et qui fait tout exploser.

Benoît Magimel : Rosalie le décontenance énormément. Abel n’arrive pas à la faire fuir. Elle est toujours de bonne humeur. Il a des tentatives pour la briser, mais elle ne se casse pas comme une brindille.

Nadia Tereszkiewicz : Je trouvais le personnage d’Abel violent, car il la rejette beaucoup. Mais voyant le film avec de la distance, je me suis rendu compte à quel point elle s’imposait et elle était intrusive. Elle prend de la place et elle lui ment dès le début.

Dans l’ordre des choses

Nadia Tereszkiewicz : Ils sont dès le début mariés, certes, mais leur amour et leur amitié ils les construisent au fur et à mesure, avec les épreuves, le temps. Ils ne se sont pas mariés par amour.

Stéphanie Di Giusto : Mon instinct m’avait dit de tourner le film dans l’ordre chronologique. J’avais envie de voir cet amour naître progressivement. Je ne souhaitais donc pas que les comédiens se rencontrent avant le tournage, pour qu’ils se découvrent au fur et à mesure des scènes.

Benoît Magimel : C’était un réel confort de tourner dans l’ordre chronologique et en numérique. Stéphanie laissait tourner la camera pour qu’on ait le temps d’installer les scènes.

Nadia Tereszkiewicz : Benoît a gardé une part de mystère et d’inaccessibilité qui m’a beaucoup aidée pour l’interprétation. Dès qu’on peut utiliser la vérité pour jouer, c’est un luxe. On se rencontrait à travers les scènes qu’on tournait.

Le rapport à la beauté

Nadia Tereszkiewicz : On est dépendant de l’image, on a le regard des autres qui est important, surtout en tant que comédienne. Mais je n’ai vraiment pas pensé à l’aspect physique, à la barbe et aux poils, parce que je savais que Stéphanie allait faire un film qui allait être « beau », dans le sens artistique du terme. Même dans les moments les plus bruts, elle est allée chercher la beauté et on sentait qu’elle avait beaucoup d’amour pour ce personnage. Elle avait une volonté de le sublimer. J’ai adoré participer à ce processus et d’aller chercher une beauté ailleurs. C’était de célébrer une beauté qui est hors norme. Du coup ça ramène à qu’est-ce que la beauté ? La féminité ? Rosalie se sent femme et elle a le droit d’être vue comme telle, d’être désirée et d’avoir du plaisir. Il y a beaucoup de questionnements qui dépassent l’aspect physique.

La transformation physique de Nadia

Stéphanie Di Giusto : C’était difficile de trouver la bonne barbe. C’est la maquilleuse perruquière Mélanie Gerbeaux, obsédée par le poil, qui a trouvé la structure étrange mais désirable pour le personnage de Nadia. On a travaillé pendant trois mois. La maquilleuse était obligée de sur-féminiser sa silhouette pour contrebalancer avec cette barbe. On a travaillé la couleur, la texture... C’était du poil par poil. Chaque poil était collé un à un tous les matins.

Nadia Tereszkiewicz : Je me levais à 3H45 pour aller à la pose des poils. 4 heures de pose en tout par jour. J’avais une playlist que j’écoutais, mais je vous avoue que j’en ai maintenant une overdose notamment de la chanson que j’écoutais tant « Cut the night » d’Araron. C’était la première chanson de ma playlist en plus. Mais blague à part, ce moment de pose de poils était un temps pour rêver aux scènes d’avant, d’après. C’était un beau rituel. Et de toutes façons j’avais confiance en Stéphanie. Je savais que je n’allais pas être ridicule.

Benoît Magimel : Je fuyais le regard en permanence de Nadia. J’ai mis beaucoup de temps à accepter sa barbe. C’était comme Abel. Puis on regarde au-delà des apparences. Cette femme lui veut du bien et lui fait du bien finalement.

Un hymne à l’Amour

Stéphanie Di Giusto : C’est un film sur l’Amour. Il interroge sur, peut-on encore croire en l’amour ? Les deux protagonistes auront-ils encore la force de survivre dans ce monde qui se déshumanise de plus en plus ? Rosalie fait jaillir l’amour, comme un message ultime qui abrase la haine et la différence. Elle croira en la vie et Abel sera là.

Georgy Batrikian Envoyer un message au rédacteur

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