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INTERVIEW

LES AMANDIERS

Valeria Bruni Tedeschi, Vassili Schneider, Léna Garrel et Sarah Henochsberg

Réalisatrice et scénariste, acteur et actrices

En déplacement au festival Lumière 2022 pour présenter en avant-première son nouveau film, « Les Amandiers« , Valeria Bruni-Tedeschi et quelques-uns de ses acteurs et actrices nous ont accordé un entretien pour revenir sur cette production remplie de fantômes du passé.

Entretien Interview Rencontre Valeria Bruni-Tedeschi, Vassili Schneider, Léna Garrel et Sarah Henochsberg réalisatrice et scénariste, acteur et actrices du film Les Amandiers
© Ad Vitam

Un film fait de bribes de souvenirs et de témoignages

Actrice ayant fait une partie de son cursus aux cours de théâtre de l’École des Amandiers de Nanterre, Valeria Bruni-Tedeschi a cherché à réaliser de « petits portraits des anciens élèves », d’abord à partir de « descriptions écrites sans dialogue » puis grâce à une « collecte de témoignages de ses anciens camarades ». Ils lui ont permis de « préciser les souvenirs et de les rendre plus succulents ». Pour elle, « les détails rendent les souvenirs plus cinématographiques » et, avec ce film, ce sont de ces souvenirs que naît le cinéma. Malgré l’inspiration de son vécu, elle souligne que « toute cette matière a été transformée en fiction ».

Pour elle, le cinéma est « magique », car il permet de retrouver le « plaisir enfantin » de « parler à des gens qui ne sont plus là, à les faire revivre et leur permettre de parler » encore. Par ce film, elle donne corps au passé et à ceux qui l’habitent. Elle insiste sur le fait que « ce n’est pas faire venir des fantômes. C’est convoquer des gens qui ne sont plus là ». Pour autant, ce film n’est pas un hommage, car elle tenait à parler des défauts de chacun : « c’est bien les défauts, ça fait partie de nous, car si on ne parle que des qualités ça devient vite ennuyeux et ce n’est pas très fidèle. Il faut parler des défauts quand on fait un film ».

Du film à la réalité

Dans la réalité, ils étaient 19 aux Amandiers, mais Valeria Bruni-Tedeschi a décidé de réduire leur nombre à 12, car « on n’arrivait pas à raconter 19. Même si elle a eu l’idée d’en sélectionner 19 et de dire à 5 d’entre eux « il n’y a pas de scènes pour vous, vous existez comme vous voulez », elle n’a pas voulu réaliser son idée. Pour les 12 incarnés, le but était « de faire vivre ces fantômes » avec les acteurs et qu’ils apprennent à « les comprendre ».

Malgré son désir de reconstruire ses souvenirs à l’écran, Valeria Bruni-Tedeschi n’a en aucun cas voulu enfermer ses personnages dans des personnes réelles : « je ne voulais en aucun cas qu’elle se sente Agnès Jaoui, qu’il se sente Vincent Pérez ou qu’elle se sente Laura Benson… Que Sofiane se sente enfermé par Thierry, que Nadia se sente bloquée par moi. D’ailleurs ce n’était pas vraiment eux, c’était des mélanges de plusieurs personnes ». Le seul personnage inventé est celui de Suzanne, car elle avait « envie de parler de ceux qui ratent. J’aime parler de l’échec plus que de la victoire. J’avais envie de parler de quelqu’un qui s’éloigne en pleurant ». Grâce à ce personnage elle peut dire des phrases que, elle, voulait dire comme « ce théâtre était le centre de l’Europe ».

Pour New-York, « j’ai eu envie de mélanger mes souvenirs et de parler d’elle dans l’école, car Susan Batson est quelqu’un qui a été décisif dans ma vie. Puis j’avais envie de parler de la méthode de Strasberg, qui n’est pas très à la mode en France. Nous à l’époque de Nanterre, Chéreau nous avait fait goûter à la méthode et je voulais raconter que cette école était innovatrice. Je voulais parler de cet exercice I’m aware car je trouve que c’est un exercice incroyable, c’est comme un mot magique ».

Comment immerger de jeunes acteurs dans les années 80 ?

Pour plonger ses acteurs et ses actrices dans les années 80, Valeria Bruni-Tedeschi a utilisé plusieurs techniques : « je leur ai beaucoup parlé. Je leur ai raconté des choses, des souvenirs même physiques, des détails. On a aussi fait des projections de films. Puis l’utilisation des vêtements, de la cabine téléphonique, des cigarettes, des mots… ont fait qu’ils étaient eux-mêmes, modernes d’aujourd’hui, dans une époque autre ». Cette immersion par le cinéma (films ou documentaires), est revenue à plusieurs reprises dans l’entretien. Selon les jeunes acteurs, c’est par la projection de films, comme "Une femme sous influence" (John Cassavetes, 1976), qu’ils ont pu s’approprier pleinement leurs personnages, même si toutes ces représentations ont pris le temps de « s’infuser » en eux.

Raconter le danger des années 80 : la peur de la maladie et de l’overdose

Si acteur et actrices se sont accordés à dire que la jeunesse des années 80 et celle d’aujourd’hui n’étaient pas si éloignées (« j’étais moi-même dans des habits d’époque » précise Vassili Schneider), ils ont néanmoins souligné une mise en danger différente de la jeunesse : « la jeunesse des années 80 était constamment en danger à cause du sida, à cause de la drogue. C’est une sensation de danger qu’on ne connaît pas du tout aujourd’hui » (Vassili Schneider).

Omniprésente dans le film, la peur de la mort liée au SIDA ou à la drogue a dû être expliquée aux acteurs pour le jeu. Valeria Bruni-Tedeschi déclare d’ailleurs : « je devais leur parler de ça, de la peur d’être malade, car le SIDA existe toujours, mais ça n’a plus rien avoir. Nous, nous vivions constamment dans la peur du test et de son résultat. Je devais leur raconter ce que ça voulait dire passer un coup de téléphone pour avoir un résultat. Mon frère [Virginio Bruni-Tedeschi] a attrapé le SIDA dans ces années-là et m’a dit je peux mourir dans trois mois. Après il a vécu encore 15 ans mais il est mort quand même de ça ».

Jouer à Créteil : un choix politique

Le site de Créteil a été choisi car l’école de théâtre des Amandiers était en travaux. Tout le scénario du film avait pourtant été écrit « en pensant à là-bas ». Valeria Bruni-Tedeschi aurait aimé y rejouer, car elle « aime beaucoup l’esthétique de ce théâtre dans ses lignes et dans ses couleurs ». En l’absence de ce lieu, son choix s’est porté sur Créteil, car elle voulait un « théâtre de banlieue ». « C’était important politiquement, car on avait proposé l’Odéon à Chéreau à l’époque et il avait dit non car il avait voulu un théâtre public dans une banlieue de gauche ».

Chéreau…

« Dans le film ce n’est pas Chéreau, c’est un personnage inspiré de Chéreau. Pour le connaître il faut regarder des reportages, même si Louis s’en est inspiré. On n’a pas essayé de faire un biopic. » Même si Chéreau reste un personnage parmi d’autres dans le film, il a une place particulière par son statut. Pour Valeria Bruni-Tedeschi, c’est le personnage qui lui a posé le plus de problèmes, car elle « n’arrivait pas à parler de ses défauts » : « j’ai dû faire une étape exprès pour ça en décidant qu’il fallait critiquer le maître parce que sinon il aurait eu honte lui-même de ne pas être critiqué ». Elle déclare : « c’était le personnage le plus difficile à rendre humain. Il était un peu comme une figure de metteur en scène et c’était vraiment ennuyeux ». C’est son « admiration » pour lui qui a complexifié sa tâche et l’a rendue un peu « timide ».

Et les autres ?

Ce qui est intéressant dans "Les Amandiers", c’est qu’aucun personnage n’est laissé en reste. Il n’y a pas vraiment de personnages principaux et c’était un choix de Valeria Bruni-Tedeschi : « j’avais envie de raconter quelque chose avec chacun ». Si elle confesse un petit regret d’avoir trop coupé les scènes de Vassili, elle exprime aussi sa difficulté d’avoir dû sacrifier certaines actrices lors du montage. « On avait beaucoup de candidats magnifiques qui faisaient des auditions passionnantes et qui n’existent plus. Il y avait une petite Roxanne magnifique qui faisait un poème de Desnos avec un trou de texte et j’ai essayé jusqu’au bout de garder ce moment. J’ai même essayé de le mettre en préambule avant le titre, mais parfois il faut donner une priorité au film et à une scène près on peut perdre le film ».

Le besoin d’avoir le « théâtre chevillé au corps »

Lena Garrel a expliqué que l’esprit très collégial du film est lié à une réalité qui s’est passée sur le tournage : « on a répété comme pour entrer dans une école de théâtre ». La longueur du casting, la sélection, les interrogations liées à la naissance de ce nouveau groupe et surtout le travail, conséquent, fait autour de la pièce de Platonof, ont participé à cet esprit de mettre du théâtre au cinéma. « On ne peut pas dire qu’on a monté Platonof, mais on a essayé. Je leur demandais de travailler et de penser leur personnage dans la pièce de Platonof et j’essayais de tourner des moments beaucoup beaucoup plus longs que ceux que l’on voit dans le film ».

De plus, cet univers de théâtre est proéminent car un point d’honneur a été mis sur le fait que « tout le corps soit dans l’acte de jouer » (Lena Garrel). À propos de son choix de Micha Lescho, Valeria Bruno-Tedeschi a souligné que « c’était important qu’il y ait des gens dans le film, pas tous, qui soient des gens de théâtre. Lena pour moi c’est quelqu’un de théâtre. Elle a commencé avec le théâtre et elle a en elle quelque chose du théâtre. Louis, il a fait vraiment du théâtre avec Luc Bondy. Le théâtre fait partie de son imaginaire. Il faut qu’il y ait un imaginaire du théâtre. » Luc Bondy fait d’ailleurs aussi « partie des fantômes du film ». La directrice opératrice avait mis d’ailleurs dans le bureau de Pierre Romans, le roman Terre étrangère de Luc Bondy (1988) en rappel.

Valeria Bruni-Tedeschi : une « sage-femme » sur le plateau

À la question « est-ce que vous êtes aussi dure que Chéreau en tant que directrice d’artistes ? », Valeria Bruni-Tedeschi a indiqué qu’elle était « plus maternelle », mais qu’une chose les réunissait : « l’amour des acteurs ». Elle insiste sur le fait que, pour elle, « le plus important c’est les acteurs et je veux qu’ils se sentent comme j’aimerais me sentir quand je suis devant un metteur en scène ». Vassili Schneider a souligné, qu’en opposition à d’autres réalisateurs, elle était toujours sur le plateau avec eux : « elle était tout le temps là, elle était à nos pieds, mais elle ne regardait pas l’image ».

Elle explique cela par un conseil qu’elle avait entendu de la part de Kieslowsky : « ne jamais aller au combo ». Pour elle, « il y a quelque chose de très très physique, de charnel, dans le fait de faire une scène. C’est comme un petit accouchement et je ne vois pas comment on peut aider quelqu’un à accoucher dans une autre salle. Moi j’ai l’impression d’être un peu une sage-femme ». Les acteurs la décrivent comme « une voix intérieure » qui les guide lors de la « danse commune » qu’est le film.

Créer une ambiance vintage : le secret de la photographie

Pour la photographie, Valeria Bruni-Tedeschi a fait une totale confiance à Julien Poupard : « Moi je ne suis pas technicienne de cinéma, je suis une actrice qui fait des films. Par contre j’entends, je vois des films et je rencontre de gens. Et c’est la rencontre avec la personne qui fait tout. » Cette importance de la rencontre se joue aussi dans le choix des acteurs car, comme elle l’indique : « quand il a commencé à voir les photos du casting, il est tombé amoureux des jeunes acteurs. Il a eu une passion pour tous et c’est ça qui a fait la grâce de ses images ». A l’intuition et à l’amour des images s’ajoute le choix du numérique, utilisé en format vintage, afin que la réalisatrice puisse « mieux embêter » les acteurs et actrices lors des scènes.

Adam Grassot Envoyer un message au rédacteur

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