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INTERVIEW

PAS DE VAGUES

Teddy Lussi-Modeste et François Civil

réalisateur-scénariste et acteur Distribution

« Pas de vagues« , inspiré d’histoires réelles, raconte l’investissement d’un professeur de français en début de carrière. Idéaliste et passionné, il est malheureusement accusé de harcèlement par certains de ses élèves. La rumeur se répand et le cauchemar commence. Un film qui souligne avec nuances et complexité les lacunes et les injustices de notre système éducatif ainsi que l’importance de la parole.

Rencontre engagée avec le réalisateur Teddy Lussi-Modeste et le comédien François Civil à l’Hotêl Royal de Lyon.

Entretien Interview Rencontre
© Ad Vitam

Inspiré de faits réels

Teddy Lussi-Modeste : Le film est une fiction inspirée de faits réels. Certains des événements me sont arrivés il y a quelques années à moi et à certains de mes collègues. Au fond, ce film est comme un appel à l'aide. Il est urgent de re-sanctuariser l'école. Je reste optimiste quant à l'avenir. Avec Audrey Diwan, ma co-scénariste, on s'est mis à travailler le scénario, et tout de suite le cœur du sujet s'est mis en place : raconter l'histoire d'un professeur qui se retrouve lâché par une institution débordée. Et il fallait que tout aille dans ce sens-là, car un fait divers n'est pas très intéressant en soi : ce qui est important, c'est le point de vue qu'on va avoir sur lui. L'idée, c'était vraiment de parler du malaise du professeur et le film s'inscrit dans ce sujet-là.

Sous tension

TL-M : Nous avons fait le choix d'avoir dans la mise en scène une tension permanente. Audrey Diwan disait sans cesse cette phrase que j'utiliserai pour mes prochains films : « Il faut être obsessionnel avec le sujet. » Chaque scène renvoie au sujet du film : le harcèlement. Et je crois que cela amène de la tension dans toutes les séquences.

Les quatre saisons de Vivaldi

TL-M : Ce morceau de Vivaldi retentit en tant que sonnerie de l'établissement. Il découpe la journée en heures. L'œuvre résonne avec la situation, notamment dans la première scène où la tragédie est lancée. Pour la musique, j'ai travaillé avec Jean-Benoît Dunckel qui est le cofondateur du groupe Air. C'était une de mes idoles de jeunesse, car Air avait composé la musique de "Virgin Suicides". On s'était donné un genre musical, le shoegaze, un mélange de rock et de lyrisme. Jean-Benoît a su parfaitement saisir l'ambiance thriller que je souhaitais. Et il a su montrer les sentiments de solitude que pouvaient ressentir les personnages avec ses compositions.

Un titre engagé

TL-M : Au départ, je souhaitais nommer le film "Cueillez votre jeunesse", mais mon producteur n'aimait pas, car le public n'allait pas forcément le comprendre. Je voulais ce nom car il renvoyait à un film que j'aime beaucoup, "Le Cercle des poètes disparus". Le titre "Pas de vagues" est venu dans les dernières versions d'écriture et c'est en faisant dire au principal du collège : « Pas de vagues » qu'on s'est dit voilà notre titre. Et aussi car ce titre faisait référence au grand mouvement de libération des professeurs en 2010 et qui se poursuit depuis 2018. #pasdevagues

Le choix de François Civil

TL-M : Le choix de François s'est fait en fin d'écriture. C'est au moment des dernières versions du scénario où je me suis dit que j'avais envie de travailler avec lui. J'en ai parlé avec Audrey Diwan. On s'est donc rencontrés et on a parlé du projet. Ensuite je lui ai fait lire le scénario. Je n'aime pas faire lire avant de rencontrer et de parler du projet. J'ai vite réalisé que j'avais très envie de travailler avec cet acteur lumineux pour incarner Julien.

François Civil : Avec Teddy, on a notre agent en commun. J'avais déjà vu ses deux précédents films. J'avais très hâte de le rencontrer. Son histoire, le scénario et le personnage de Julien m'ont intéressé. On s'enlise avec le personnage et chaque scène est lourde de sens et nous éclaire différemment. J'ai trouvé le film d'une grande pertinence. Le personnage est beau, avec son désir d'être aimé qui me parlait beaucoup. Je crois que je n'ai jamais eu un rôle aussi complexe et nuancé. La trajectoire de mon personnage était unique à explorer. Je me suis senti particulièrement investi et habité pendant le tournage. En rentrant chez moi le soir, j'étais encore chargé d'une énergie en rapport à l'histoire, les réflexions continuaient dans ma tête. La fin aussi m'a beaucoup questionné, car elle est abrupte et irrésolue comme le sujet du harcèlement scolaire dans notre société.

Interpréter un enseignant

François Civil : C'est vrai qu'on convoque un peu des sensations, des souvenirs qu'on a pu avoir avec certains de nos professeurs étant élève. Ce que j'avais moi dès le départ, c'était des parents profs. Donc secrètement, j'avais l'envie depuis longtemps de jouer un professeur. Et cela a amené plein de discussions avec mes parents, sur comment ils en sont venus à être profs... Je me suis renseigné sur des détails gestuels. Par exemple, comment on s'assoit sur un bureau, comment on déambule, comment on rend des copies. Et je trouve que c'est un métier passionnant et extrêmement important dans notre société. Le scénario était tellement puissant, que directement j'ai eu l'impression de comprendre mon personnage, et ensuite on a beaucoup discuté avec Teddy et on a peaufiné mon rôle en s'inspirant de choses et d'autres.

Le casting des élèves

TL-M : C'est la directrice de casting Judith Chalier qui s'est chargée de trouver les ados pour composer la classe de 4ème. Nous avons tourné les scènes de classe en dernier, en 10 jours. Je me souviens de la prestation de Toscane Duquesne qui interprète Leslie. Il s'agissait de sa première apparition au cinéma. C'était merveilleux de l'avoir trouvée, car elle habite à deux heures de Paris. C’était un coup de chance de l’avoir, car le film lui doit beaucoup. Judith Chalier m’a fait découvrir des acteurs que je ne connaissais pas. Par exemple Agnès Hurstel, Laura la prof amoureuse de Julien. Ou encore Émilie Incerti-Formentini qui joue Claire. De vraies actrices avec de bonnes propositions.

François et les élèves

Français Civil : J’étais allé à quelques répétitions avec les comédiens ados, mais j’étais assez impressionné, donc je les ai retrouvés plus tard pendant le tournage. C’était extraordinaire de travailler avec eux. Déjà un pur plaisir d’acteur car ils sont frais, forts de propositions et justes dans leur jeu. J’hallucinais de leur niveau d’acting. L’expérience ne fait pas nécessairement de bons acteurs, la preuve ici car pour la majorité ils n’ont pas fait de cinéma. Ils ont fait preuve de bravoure et ils ressentaient une certaine fierté. C’était beau.

L’importance des mots

TL-M : Les mots dans le film ont une grande importance, car ils sont bien souvent mal interprétés. Et c’est cela qui crée des problèmes et des malentendus. En plus, l’importance des mots est quelque chose d’essentiel pour moi en tant que professeur de français car c’est la clé de la réussite sociale.

Chacun sa vérité

TL-M : Dans le scénario, on tenait à ce que nos personnages principaux, Julien et Leslie, ne mentent pas. Leslie croit vraiment que le professeur sort du cadre et la drague. La première fois en lui faisant ce compliment qui la met en lumière, alors qu’elle ne rêve que de périphérie et de discrétion, et la deuxième fois en l’invitant à déjeuner avec d’autres camarades. Le professeur réalise et ressent une sorte de culpabilité, mais il n’est pas responsable de ce qui lui arrive. Pour moi, le film c’est l’histoire de deux victimes. On leur impose de ne pas parler, de ne pas faire de vagues. Ils sont tous les deux dans un engrenage à partir de la phrase du frère « si tu mens Leslie je te tue et si c’est le professeur qui ment c’est lui que je tue ». Et c’est à partir de là que la parole ne peut plus être libérée. Et ils sont pris dans un engrenage.

La foi de la transmission

TL-M : Le personnage de Julien pourrait abandonner, se mettre en maladie ou arrêter l’enseignement. Mais il a toujours cette volonté de transmettre même si c’est difficile, même s’il est menacé de mort. Julien continue, essaie : « Je veux être ce prof qu’on oublie pas, celui qui change une vie, comme celui qui a changé la mienne ».

Georgy Batrikian Envoyer un message au rédacteur

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