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INTERVIEW

EVA

C’est dans les bureaux des Reflets du cinéma ibérique et latino-américain que l’attaché de, presse du festival, Benoît Laplanche Servigne nous présente au jeune Kike Maillo, réalisateur espagnol dont le premier long métrage, « Eva », conte fantastique situé dans un futur proche et réa…

© Wild Bunch Distribution

C'est dans les bureaux des Reflets du cinéma ibérique et latino-américain que l'attaché de, presse du festival, Benoît Laplanche Servigne nous présente au jeune Kike Maillo, réalisateur espagnol dont le premier long métrage, « Eva », conte fantastique situé dans un futur proche et réaliste, sort en salle ce 21 mars. L'entretien durera une quarantaine de minutes, mêlant joyeusement espagnol et français, le tutoiement étant comme toujours en Espagne, mais rarement en France, de rigueur. Compte rendu.

Journaliste :
Votre film a été présenté dans de nombreux festivals : Venise, Gérardmer, Sitges... aujourd'hui aux Reflets du cinéma ibérique et latino-américain. Comment avez-vous vécu ce long parcours ?

Kike Maillo :
Aller à Venise a été une grande surprise, parce que le festival donnait soudain au film une image de sérieux. Il le sortait d'une classification « série B » ou « science fiction » et pouvait faire que des gens qui n'y seraient pas allés soient tout à coup intéressés. Pour Sitges, c'est différent, c'est un peu comme travailler à la maison, la ville étant située à côté de Barcelone. Je savais qu'il y aurait des proches, des gens qui ne te font pas de cadeaux et sont finalement très critiques. C'était agréable de faire l'ouverture. Globalement, on a essayé d'aller au plus de festivals possible. Mais depuis septembre dernier, je n'ai pas assez de recul, je suis sans arrêt en train de parler du film. J'ai du accorder presque 300 interviews. Il faudra laisser passer un peu de temps, une année, et après on verra. Pour l'instant, c'est un premier film, et il est important de l'accompagner.

Journaliste :
Cela a-t-il été facile de trouver un distributeur français, et plus généralement des financeurs ?

Kike Maillo :
Quand on veut faire un film de ce genre, cela est difficile. D'abord parce que cela ne se fait pas souvent et ensuite parce qu'il y a un problème de mentalité. Pour convaincre, nous avons dû faire quelque chose qui ne se fait pas : une démo filmée. Nous avons tourné en Andorre pour montrer le cadre, l'ambiance du film. Le film a eu ainsi un parcours atypique. Les institutions, les télévisions et Wild Bunch international ont voulu s'impliquer dans le projet, ainsi qu'une maison de production française. Rapidement, Wild Bunch l'a vendu dans de nombreux pays, avant même la fin du montage. Puis ils ont racheté les droits au distributeur français auquel ils l'avaient vendu, pour l'exploiter eux-mêmes. Celui-ci a gagné de l'argent sans rien faire (rires). Aujourd'hui, les rares territoires à ne pas avoir acquis le film sont notamment le Japon et la Scandinavie...

Journaliste :
Votre projet comporte une composante romantique et une composante science-fiction. Il y en a une que vous préférez ?

Kike Maillo :
Si tu aimes « Terminator 2 » et « La Leçon de piano », on ne te demande pas de choisir... En tout cas, j'aurais du mal à faire un film sans les sentiments... Tout commence et finit avec cela.

Journaliste :
Le film a reçu de nombreux prix, dont 2 ou 3 Goyas (il confirme qu'il s'agit de 3), notamment pour les effets spéciaux et l'acteur de second rôle Lluis Homar (« Étreintes brisées »)... Comment avez-vous réussi à convaincre un acteur de premier plan comme Lluis d'accepter ce rôle de robot ?

Kike Maillo :
C'est le rôle pour lequel on avait le plus peur, car il pouvait tomber rapidement dans le ridicule. Lluis Homar a commencé sa carrière au théâtre à l'âge de 19 ans, dans un registre de pièces dites « intellectuelles ». Sa carrière au cinéma est plutôt récente. Cela lui a plu qu'on lui propose quelque chose d'aussi radicalement différent. Il m'a dit que c'était le rôle qui lui avait donné le plus de satisfaction en le moins de temps. Car même si le rôle n'est pas très long, c'est sans doute un de ceux qu'il a dû répéter le plus, notamment pour travailler les mimiques...

Journaliste :
Pourquoi avoir tourné en Suisse et non en Espagne, dans les Pyrénées par exemple ?

Kike Maillo :
Il fallait que le cadre soit dépaysant, car on ne voulait pas du type de paysage que l'on connaît en Espagne, celui de villages de haute montagne. Nous souhaitions nous éloigner des toitures de pisé et des murs en pierre pour restituer une ville non pas d'altitude mais de plaine, avec une image universitaire. C'était une idée de cité de la connaissance, un peu comme Boston. On a tout de même fait des repérages en Argentine, avec quelques villes de plaine, mais la production locale ne fonctionnait pas. Finalement, nous avons eu une bonne surprise en Suisse, en trouvant un lieu en dehors des Alpes, au nord, quasiment à la frontière française.

Journaliste :
Vous vouliez rendre un certain rétrofuturisme...

Kike Maillo :
En effet. On ne voulait pas d'un futur high tech, mais plutôt quelque chose qui évoque les années 70, empreintes d'une certaine nostalgie de l'enfance (lui était petit à cette époque-là). Cela se retrouve dans le design des véhicules et des costumes, ainsi que dans la construction des machines. Cela crée une ambiance plus familière, que l'on reconnaît. On peut se dire : « ce peut-être chez moi ».

Journaliste :
Dans l'ensemble, le film adopte un ton optimiste. La tristesse ne vient pas du futur mais des gens, de la vie...

Kike Maillo :
Je ne voulais pas criminaliser le futur ou les robots. Cela est trop facile de dire que l'avenir sera pire. On a tous peur du changement. Dans le futur, je crois que l'on aura une vie avec plus de qualité, plus de temps pour nous, pour les loisirs... Mais ce qui restera de toute façon, ce sont les sentiments, les interrogations du type : on m'aime ? On me respecte ? Quelle est ma place dans le monde ? Etc.

Journaliste :
Quelle a été l'influence de « A.I. » de Spielberg et des écrits d'Isaac Asimov sur le film ?

Kike Maillo :
On ne fait pas beaucoup de films de robots. Automatiquement, vous pensez à « Blade runner », « A.I. » ou « I, robot ». Et si vous rajoutez la petite fille, vous vous dirigez forcément vers « A.I. ». Cela fait partie de nos repères.
Dans mon film, tout le point de vue est porté par l'humain, sur la capacité à oublier qu'en face de nous on a une machine. Surtout si l’on veut créer un lien, une relation. Dans « A.I. », ce point de vue va très loin. Il laisse penser que viendra un jour où les machines seront tellement évoluées qu'elles seront capables d'avoir des sentiments. Personnellement, je n'y crois pas. Ce seront toujours des personnages, elles jouent des rôles, nous trompent, nous imitent. Ce ne sont que des reflets.
Pour Asimov, c'est en effet une référence qui permet de mieux comprendre le postulat du film. Mes robots correspondent à la seconde loi d'Asimov (voir Les trois lois de la robotique). Ce sont des machines sociales qui ne font que nous accompagner. Max nous aide à la maison, mais il n'est pas possible de créer un lien avec lui. Il va faire ce qu'on lui demande. Mais il est incapable de dire non, contrairement à ce que ferait un ami. C'est capacité à dire non, à marquer des limites, c'est ce qui engendre le respect. Max est ainsi un peu à l'égal du chat dans le film. Savoir dire « non », c'est remettre en cause la deuxième loi d'Asimov, être conscient qu'il faut gagner le respect de l'autre...

Journaliste :
Vous avez voulu que les effets spéciaux restent très discrets, en intégrant les robots comme des éléments de la vie de tout les jours...

Kike Maillo :
Nous voulions faire une proposition d'un futur réaliste. Il fallait créer une ambiance de chaleur au niveau des maisons, pour mieux faire ressortir le froid extérieur. Ici, la technologie fait partie du décor, on ne la montre pas spécialement. C'est un peu comme si on nous filmait pendant cette interview. Il n'y aurait aucune raison pour insérer, entre un plan de vous et de moi, un gros plan sur le magnétophone.

Journaliste :
D'où est venue l'idée d'une représentation de la personnalité comme dans le générique de début, par des sortes de bulles de verre, liées entre elles dans l'espace ?

Kike Maillo :
Ceci vient d'une science nommée la « phrénologie », datant du début du XIXe siècle, qui affirme que chaque partie du cerveau est affectée à une capacité ou un sentiment : savoir distinguer les couleurs, la gentillesse, l'empathie... On peut ainsi poser des pièces, les agrandir, les mettre en relation, pour créer la personnalité du robot. Nous avons pris de ce fait des modèles de pièces mécaniques de cette époque, pour créer cette représentation. Un peu comme des cristaux de neige...

Journaliste :
Avez-vous déjà des idées pour votre prochain film ?

Kike Maillo :
J'ai des pistes côté fantasy, avec un récit dans l'espace, ou sur les états de conscience altérés... voire une comédie musicale (rires, car il nous avoue qu'il s'agit d'une plaisanterie avec les acteurs du film...).

Propos recueilis par Olivier Bachelard, Frédéric Wullschleger et François Rey

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