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DOSSIERZoom sur un genre

ZOOM SUR UN GENRE : les drames passionnels, thème inépuisable

De tout temps, les drames passionnels ont hanté le cinéma que ce soit à travers les œuvres littéraires d’auteurs comme William Shakespeare ou Carson McCullers ou à travers des scénarios originaux dans lesquels se nichent des ressemblances indéniables. Cet article n’a pas pour vocation de décrire la passion au cinéma (le sujet serait trop vaste) mais les différents chemins de traverse qu’elle peut prendre et ses diverses conséquences. Maris ou femmes trompés, héroïnes pathologiquement malades, obsessions amoureuses, mélanges de haine et d’amour se chevauchent pour dresser un portrait de la passion et des risques qu’elle peut engendrer (crimes, suicides, folies ou prises de conscience de sa propre vulnérabilité). Comme le chantent si bien Les Rita Mitsouko, « Les histoires d’amour finissent mal en général » !

© Cinema International Corporation

L’érotomanie, cette illusion délirante

L’érotomanie (également appelée « syndrome de Clérambault » du nom du premier psychiatre qui l’a définie) est une psychose délirante et obsessionnelle à travers laquelle un individu est persuadé d’être aimé par une autre personne alors qu’il n’en est rien. Celui qui a eu la primauté de s’intéresser au phénomène est Clint Eastwood avec son tout premier film datant de 1971 "Un frisson dans la nuit" ("Play Misty for Me"). Son personnage (car il tient aussi le rôle principal du métrage) est un animateur radio, qui à la malchance de répondre avec trop de bienveillance à une auditrice demandant chaque soir qu’on lui passe le même disque. Celle-ci s’avère être une furie qui s’en prend à l’univers matériel et humain du protagoniste.

Sur le même thème, Adrian Lyne réalisera en 1987 "Liaison fatale" ("Fatal attraction") où c’est cette fois Glenn Close qui harcèle son amant d’un soir, Michael Douglas. Nul doute qu’Adrian Lyne s’est inspiré du film de Clint Eastwood. Mais tandis que la version visible en salles dévoile une fin similaire, la version director’s cut, montre, en revanche, une violence beaucoup plus radicale : la personne malade préférera se suicider que de renoncer à l’objet de ses fantasmes, prouvant par là-même que l’érotomanie est aussi une immense souffrance pour le patient qui la vit.

En France c’est Audrey Tautou (dans "À la folie… pas du tout" de Laëtitia Colombani en 2002) ou Isabelle Carré (dans "Anna M." de Michel Spinosa en 2007) qui vont faire vivre un enfer à leur médecin respectif. Ici encore, on navigue entre crime et suicide, à l’image de "L’Histoire d’Adèle H." de François Truffaut (1975), traitant du parcours de l’une des filles de l’écrivain Victor Hugo, éprise d’un lieutenant et contrainte de finir ses jours à l’asile. Moins connus, "Trauma" de Marc Evans (2004), avec Colin Firth, sortant d’une amnésie ou "Emmène-moi" du déjà cité Michel Spinoza, ébaucheront le sujet sans toutefois faire de la psychose leur sujet principal.

© Warner Bros.

Drames de la jalousie

"Drame de la jalousie", c’est le titre d’une comédie italienne ironique et outrancière d’Ettore Scola portée par un magnifique trio d’acteurs (Monica Vitti, Marcello Mastroianni, Giancarlo Giannini). On y assiste au procès d’un maçon qui tue à l’aide d’une paire de ciseaux la femme infidèle qu’il aimait. Si ici, la drôlerie est de rigueur, on ne compte plus les films dans lesquels le parcours du trio (la femme, l’homme, l’amant ou la maîtresse) finit le plus souvent en drame. Le récit le plus connu est certainement celui de l’écrivain de romans noirs James Cain. Son « The Postman always rings Twice » publié en 1932 et où un couple d’amants décide de tuer le mari gênant influencera au moins quatre réalisateurs : Pierre Chenal en 1939 ("Le Dernier Tournant"), Luchino Visconti ("Ossessione" – "Les Amants diaboliques") en 1943, Tay Garnett en 1946 et Bob Rafelson en 1981 avec les deux "Le facteur sonne toujours deux fois". De ces deux films, le plus réussi est aussi le plus réaliste, c’est-à dire celui réalisé au début des années 80 avec Jack Nicholson et Jessica Lange.

Déjà dans "L’Aurore", le chef-d’œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau en 1927, un homme tentait de supprimer sa femme pour assouvir ses pulsions sexuelles avant de s’en repentir et emmener cette dernière en ville pour lui montrer qu’il l’aime toujours. En 1931, Jean Renoir réalise lui aussi un grand film "La Chienne" dans lequel Michel Simon finira par devenir clochard après le meurtre d’une prostituée. Fritz Lang en fera un remake à l’ambiance plus onirique en 1945 avec "La Rue rouge".

Nous connaissons tous les desseins malsains de Simone Signoret et Paul Meurisse pour tuer d’effroi la femme interprétée par Véra Clouzot dans le film de son mari Henri-Georges Clouzot, "Les Diaboliques" en 1955. Dans son dernier film inachevé intitulé "L’Enfer" (dont on a pu voir quelques images dans le documentaire sorti en 2009 et réalisé par Ruxandra Medea Clouzot et Serge Bromberg), Henri-George Clouzot s’est de nouveau intéressé au phénomène de la jalousie. Néanmoins, Claude Chabrol reprendra le script de Clouzot pour réaliser sa propre version en 1994 avec François Cluzet et Emmanuelle Béart. Résultat : un voyage terrifiant au bout d’une folie sans fin. L’adultère qui tourne mal est d’ailleurs un thème récurrent dans l’œuvre de Chabrol ("Les Noces rouges" en 1973) ou du moins connu Etienne Périer ("Un meurtre est un meurtre" en 1972).

En 1967, c’est au tour de John Huston de se tourner vers la jalousie en adaptant "Reflections in a Golden Eye" de Carson McCullers ("Reflets dans un œil d’or") où le major Penderton, magnifiquement interprété par Marlon Brando en homosexuel refoulé, tue l’homme qu’il croit être l’amant de sa femme et dont il est secrètement épris. Enfin que serait le thème des amours passionnels liés à la jalousie sans les nombreuses adaptations des œuvres de Willliam Shakespeare, notamment "Othello" (on citera les versions de George Cukor en 1947 ou celle d’Orson Welles en 1951) ou "Roméo et Juliette" (Franco Zeffirelli en 1968) et plus récemment "Roméo + Juliette" de Baz Luhrrmann en 1996.

© Carlotta Films

Je t’aime moi non plus

D’autres films, moins nombreux, traitent des relations amour-haine entre deux personnages qui ont, la plupart du temps, des retombées psychologiques désastreuses. C’est le cas dans "Les Larmes amères de Petra von Kant" de Rainer Werner Fassbinder qui, en 1972, conte l’histoire d’une styliste qui quitte sa secrétaire pour s’amouracher d’une jeune fille arriviste avant de se retrouvée seule abandonnée de tous. En 1971, Pierre Granier-Deferre signe son meilleur film, "Le Chat", porté par deux monstres du cinéma français, Simone Signoret et Jean Gabin. Réunissant un couple qui s’est beaucoup aimé autrefois et se déteste aujourd’hui, le réalisateur montre le drame de l’attachement car lorsque l’un meurt, l’autre n’hésite pas à mettre fin à ses jours.

Plus dur encore, "L’Homme blessé" de Patrice Chéreau décrit les singulières relations entre un homme de dix-huit ans (Jean-Hugues Anglade) et un voyou plus âgé (Vittorio Mezzogiorno) dont la rencontre se soldera par un meurtre nourri de haine mais aussi d’amour. En 1990, Jacques Doillon livrera sa libre adaptation de "L’Éternel Mari" de Dostoïevski dans "La Vengeance d’une femme" en nous plongeant dans les violentes arcanes de l’humiliation, de la manipulation et de l’harcèlement psychologique entre une femme dont le mari est mort (Isabelle Huppert) et la maitresse de ce dernier (Béatrice Dalle dans l’un de ses plus beaux rôles). Au final, un suicide et la victoire de la machination sur la sincérité. Enfin, en 1986, Bertrand Blier met en scène avec le sens de la provocation qui le caractérise, un trio (le couple et l’étranger au centre de tous les désirs) qui va lentement se perdre dans un jeu nourri de compétition sexuelle et de cruauté dans ce « Putain de film ! »* qu’est "Tenue de soirée".

© Acteurs Auteurs Associés (AAA)

Le drame passionnel : une histoire sans fin

On ne compte plus les œuvres de grands réalisateurs qui ont pour dénominateur commun la passion liée à la destinée tragique de ses personnages. Hormis les films déjà cités, on peut également noter "Sunset Boulevard" - "Boulevard du crépuscule" de Billy Wilder (1950), "Senso" de Luchino Visconti (1954), "El" - "Tourments" de Luis Bunuel (1953), "La Sirène du Mississippi" (1969) et "La Femme d’à coté" (1981) de François Truffaut, "Mes nuits sont plus belles que vos jours" (1989) du sous-estimé Andrzej Zulawski ou bien encore l’incontournable "L’Empire des sens" de Nagisa Oshima (1976).

Plus récemment, Atom Egoyan transformait la "Nathalie..." d’Anne Fontaine en une "Chloé" passablement dérangée, Bertrand Tavernier remettait au goût du jour "La Princesse de Montpensier" d’après la nouvelle de Madame de La Fayette, Philippe Garrel faisait revivre le spectre tourmenté de Laura Smet dans "La Frontière de l’aube" tandis que les frères Larrieu et Christoph Hochhäusler contaient chacun de leur coté (les uns avec "Les Derniers Jours du monde", l’autre avec "Sous toi, la ville") des histoires d’amour sur fond d’apocalypse. "Bright Star" de Jane Campion, "Two Lovers" de James Gray ou "Nuits d’ivresse printanière" de Lou Ye laissent néanmoins entrevoir une vision de la passion moins tragique.

Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons constaté, les drames passionnels ont la dent dure et leurs constantes actualisations sur grand écran prouvent qu’ils n’ont pas dit leurs derniers mots.

 

Informations

* « Putain de film ! » était la « tagline » qu’on pouvait lire sur l’affiche de "Tenue de soirée" lors de sa sortie, « tagline » que l’on doit à Serge Gainsbourg qui en composa la musique.

Christophe Hachez Envoyer un message au rédacteur

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