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VILAS : UN CLASSEMENT CONTESTÉ

Un film de Matías Gueilburt

¡ Viva Vilas !

L’Argentin Guillermo Vilas est l’un des meilleurs joueurs de tennis de sa génération. Pourtant, malgré ses résultats, l’ATP ne l’a jamais classé à la première place mondiale. Alors que le joueur a toujours protesté contre cette injustice, le journaliste argentin Eduardo Puppo s’est emparé de la question pour démontrer, chiffres à l’appui, qu’il a bien été le meilleur pendant plusieurs semaines…

Sortie le 27 octobre 2020 sur Netflix

On pourrait penser que "Vilas : un classement contesté" joue dans la même cour que "Anelka, l’incompris" (également diffusé sur Netflix), à cause de cette volonté commune de glorifier un sportif désormais retiré de la compétition. Mais la comparaison s’arrête là, parce qu’il est ici question d’un véritable champion de classe mondiale, qu’il ne s’agit pas de polémiques dues à son propre comportement, et que l’objectif est bien plus précis et concret : montrer qu’il a mathématiquement occupé la place de numéro 1 mondial pendant plusieurs semaines et réclamer une reconnaissance officielle rétroactive (comme ce fut déjà le cas d’Evan Goolagong chez les femmes en 2007, plus de 30 ans après les faits). Il n’y a donc pas vraiment d’intention de redorer le blason du tennisman puisque la réputation de Vilas n’est pas écornée et qu’il fait plutôt l’unanimité, contrairement au footballeur précité.

Si le documentaire de Matías Gueilburt s’autorise quelques effets dramatisants, leur usage est moins m’as-tu-vu que pour le film sur Anelka et l’ensemble est de bien meilleure qualité. Visuellement, l’esthétique rétro est omniprésente et nous permet souvent de nous replonger dans ces années 1970 qui ont vu s’affronter les Vilas, Connors et autres Borg, à une époque où l’organisation du tennis professionnel était encore récente. L’ATP, association qui gère le tennis masculin, a en effet été créée fin 1972 et le film permet de prendre conscience qu’il y avait encore un certain amateurisme dans la gestion des classements, tellement à leurs balbutiements qu’ils n’étaient pas mis à jour régulièrement (désormais, ils le sont chaque semaine) et que les données peuvent s’avérer difficiles à retrouver désormais.

La matière est d’autant plus riche que le réalisateur a pu également utiliser des archives inédites et originales : des cassettes audio que le tennisman argentin a régulièrement enregistrées durant sa carrière. Ainsi, ces apports sonores assurent une authenticité et une proximité, participant à la chaleur de ce documentaire. Matías Gueilburt brosse ainsi le portrait d'un joueur à la fois déterminé et sensible, mais aussi ouvert sur le monde, en dehors de son sport, comme le montrent sa perception de l'atmosphère new-yorkaise en 1977, sa rencontre avec un philosophe indien ou encore son intérêt pour la musique et la poésie (NB : il a lui-même publié des recueils).

Le documentaire a aussi l’intelligence d’entremêler deux sujets : d’une part un récit des années les plus cruciales de la carrière professionnelle de Vilas, et d’autre part le processus d’enquête, qui montre l’obsession et la minutie des recherches du journaliste Eduardo Puppo, sans éclipser les conséquences de ce travail herculéen sur lui-même et sa famille puisqu’il y a consacré 12 ans de sa vie, avec la contribution de ses proches et du mathématicien Marian Ciulpan. On prend conscience de l’énormité de sa besogne et de l’ampleur de sa passion, qui a finalement tissé des liens d’amitié très forts entre Vilas et Puppo, le premier accordant une telle confiance au second qu’il lui a donné une quantité massive d’objets et de documents qu’il avait précieusement conservés, dont ses trophées, les fameuses cassettes, ses raquettes ou encore des carnets intimes. On en finit par considérer que leur croisade commune est noble et juste, même si l’enjeu peut paraître initialement futile.

Le documentaire est parfois un peu technique pour ceux qui ne sont pas familiers avec le tennis. Il donne même le sentiment de se répéter quand l’heure de film approche, risquant donc lasser, surtout si l'on n'est pas un fana de tennis. Mais cela vaut le coup d’être un peu patient pour atteindre la dernière partie, très émouvante quand le film évoque à demi-mot les problèmes de santé de Guillermo Vilas, dont les capacités cognitives et mémorielles déclinent. Il devient alors encore plus révoltant d’apprendre que l’ATP, malgré les preuves et sans argument probant de la part de l’organisme, continue de rejeter les requêtes, n’accordant donc pas à ce champion la reconnaissance qu’il mérite. « Tout dépend de qui écrit l'histoire, pas de qui la lit », rappelle un moment Ion Tiriac, l’ancien champion roumain et ancien coach de Vilas. Il est grand temps que l’ATP accepte et corrige ses erreurs passées pour réécrire une histoire plus juste des années 70. Cela ne retirerait d’honneur à personne, mais cela récompenserait enfin un grand joueur qui attend depuis trop longtemps.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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