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THE IRISHMAN

Un film de Martin Scorsese

Un tour de force du grand Martin

Au crépuscule de sa vie, Frank Sheeran, un ancien tueur à gages surnommé « The Irishman », se remémore l’époque où il « peignait des maisons » pour la mafia et sa relation avec Jimmy Hoffa…

The Irsihman film image

Diffusion à partir du 27 Novembre 2019 sur Netflix

Lorsqu’il était venu à Lyon à l’occasion de la remise de son prix Lumière en 2015, Martin Scorsese avait annoncé en avant-première mondial la mise en chantier de "The Irishman", projet longtemps fantasmé qui marque sa neuvième collaboration avec Robert DeNiro, en retraçant sur trente ans la vie de Frank Sheeran, plaçant donc le rajeunissement numérique au cœur de sa mise en scène dans un film de presque 3h30. Autant de promesses qui n’ont cessées d’accroître notre impatience vis à vis de ce film. Quatre ans plus tard, Martin Scorsese est revenu à Lyon pour une avant-première événement consacrée à son nouveau, dans le cadre du Festival Lumière, bouclant ainsi la boucle. Alors qu’en est-il vraiment ?

La première chose qui frappe, c’est à quel point ce film en évoque deux autres de la filmographie de son auteur. En effet, un film de mafieux, avec Robert DeNiro et Joe Pesci en têtes d’affiche, difficile de ne pas penser à "Casino" ou "Les Affranchis", mais aussi d’en craindre une simple copie. Ce n’est heureusement pas le cas et "The Irishman", malgré les ressemblances, arrive à conserver une identité propre, que ce soit par les thématiques abordées, avec cette notion de temps qui passe donnant un côté presque crépusculaire à la narration ou encore l’impossible rédemption, ou par les personnages. En effet, on est assez loin du Joe Pesci énervé et partant au quart de tour qu’on pouvait voir dans les deux autres films. Place ici à Russell Bufalino, un personnage beaucoup plus subtil et posé dans ses décisions. De même pour De Niro, qui cette fois incarne un personnage constamment tiraillé dans ses choix moraux.

Steven Zaillian, à qui l’on doit déjà le script de "Gangs of New York", nous livre donc un scénario qui tire son épingle du jeu avec une bonne dose de nouveautés, ainsi qu’une structure à la narration non linéaire mais qui ne perd jamais le spectateur, le tout articulé autour des interactions entre les différents personnages, véritable moteur du film bien plus que l’histoire elle-même. On se prend donc à aimer chaque minute de ce métrage qui n’ennuie jamais son spectateur, notamment grâce à des pointes d’humour très pertinentes et réussies, et on se surprend à en demander encore plus, malgré les 3h30 du film. Seules (très) petites ombres au tableau, l’introduction du film est peut-être un peu longue et on a du mal à voir exactement où tout cela nous mène, ceci jusqu’à l’apparition de Jimmy Hoffa, interprété par Al Pacino. On notera également quelques incohérences d’écriture dans certaines séquences se déroulant sans Frank Sheeran… alors qu’il est le narrateur de l’intrigue (une petite faute qu’on pardonne allégrement du fait du caractère très jouissif de ces séquences, la conversation entre Jimmy Hoffa et Tony Provenzano en prison en étant le meilleur exemple).

La mise en scène de Martin Scorsese n’est pas en reste puisque, c’est simple, tout est là. On retrouve absolument toutes ses gimmicks visuelles et narratives, qui ont fait la renommée de sa filmographie. Que ce soit la caméra extrêmement dynamique avec des plans à la grue magnifiques, notamment celui très impressionnant lorsque les taxis sont jetés dans le fleuve (une référence à "Taxi driver" peut-être ?), ou les changements de points de vue pour une même scène, en passant par la voix-off donnant une résonance particulière à l’image, ainsi que la présence de séquences pas forcément si utiles que cela à l’histoire, mais chargées en symbolique (comme celle du drapeau américain rehaussé par Jimmy Hoffa), ou encore la répétition de plans et la construction d’un magnifique « Build up » lorque Frank Sheeran doit accomplir sa dernière mission, on est en permanence impressionnés.

On retrouve également un montage extrêmement dynamique, à l’image du récit, choix pertinent car il participe grandement à conserver l’intérêt du spectateur durant tout le film. D’ailleurs on notera dans le montage, la présence de « Jump cuts » au sein d’un même plan, trahissant le fait qu’il a été préféré de raccourcir des scènes plutôt que d’en supprimer, afin de ne pas rallonger excessivement le film. Mais ceci ne constitue pas pour autant un défaut.

Mais bien évidemment, le pivot de réalisation du film, ce sur quoi toute notre attention s’est portée depuis l’annonce du projet est bien sûr le rajeunissement numérique visant à permettre aux acteurs de jouer leur personnage sur plus de trente ans de leur vie. Il existe globalement deux grandes méthodes. La première (et qui a été la première développée) consiste à appliquer des lissages numériques sur les acteurs, directement sur les prises de vues. La seconde, consiste en un moulage numérique du visage des acteurs d’antan et à les intervertir au moment de la post-production, un peu comme de la performance capture. "The Irishman" a opté pour la première méthode.

Le rendu est finalement bien réussi, alors que d’autre trucages numériques laissent plus à désirer que le rajeunissement, comme l’incrustation assez ratée lors de la scène du drapeau américain rehaussé par Jimmy Hoffa (oui encore elle). On accepte donc très bien ce trucage malgré quelques reflets de temps en temps, nous plongeant furtivement dans la vallée dérangeante. Cette réussite est probablement due au fait que les acteurs n’ont pas été rajeunis de plus de dix ou quinze ans au total. En fait ce qui trahit le plus ce rajeunissement numérique, ce n’est pas tellement le visage en lui-même que le reste du corps. En effet, si une attention toute particulière a été apportée au rajeunissement des visages des acteurs, ce n’est pas le cas pour le reste, et on sent bien que la morphologie de leurs corps et la manière dont ils bougent ne correspondent pas parfaitement au visuel de leur visage, donnant parfois, dans les plans les plus larges, une étrange sensation. Mais cela reste assez léger finalement, et la maestria de l’interprétation des acteurs suspend notre incrédulité par-dessus le plus gros ravin imaginable.

Car, toute aussi fascinante que soit la mise en scène de Scorsese, ce film ne serait pas ce qu’il est sans ses acteurs, qui malgré leur CV déjà impressionnant, nous bluffent encore une fois, au point de devoir ramasser notre mâchoire tombée au sol tellement elle se décroche constamment. Robet De Niro, qui campe donc le personnage principal, est extrêmement touchant dans sa prestation, et arrive à rendre plus que palpable le tiraillement constant entre ce qui lui est demandé de faire, ses choix passés, et ses différentes loyautés...

Joe Pesci quant à lui, est sorti de sa retraite après apparemment avoir raccroché au nez de De Niro trois fois et de Scorsese cinq fois. Et grand bien lui en fasse, car il prouve que, malgré des derniers rôles très caricaturaux, il est un immense acteur, très doué. Il nous livre donc une prestation à contre-courant de ce à quoi il nous avait habitué lors de ses précédentes collaborations avec le cinéaste, avec un jeu tout en subtilité, que ce soit par sa voix posée et sa diction lente, articulée et réfléchie, ou par ses jeux de regards, qui parfois suffisent à eux seuls à retranscrire les pensées et les ressentis du personnage.

Et enfin, dernier mais pas des moindre, Al Pacino. Si la prestation de ses deux compères est déjà incroyable, Al Pacino va encore plus loin et leur vole presque la vedette, devenant véritablement « La » star du film, tant le récit s’articule autour de lui. On retrouve pour sa première direction par Martin Scorsese, un Al Pacino complètement habité par son personnage, bluffant, appliquant « La Méthode » à la lettre pour un résultat absolument incroyable, que ce soit par ses textes, sa diction, son regard, sa gestuelle ou ses mimiques faciales. Le reste de la distribution, si elle n’a évidemment pas l’espace nécessaire de briller outre mesure, livre également d’excellentes prestations. Et on notera particulièrement, en plus de celle d’Harvey Keitel, celle de Stephen Graham qui interprète le rival d’Al Pacino à la présidence du syndicat, ceci d’une manière remarquable.

Beaucoup considèrent "The Irishman" comme le film crépusculaire de son auteur. Si dans ses thématiques et sa narration cela peut se justifier, il est peut-être plus intéressant de le voir au contraire, lorsqu’on se penche plus sur la forme, comme une démonstration de force de la part et de Scorsese et du casting principal. On a plus que l’impression qu’ils ont fait un bond de vingt ans dans le passé pour nous livrer un film tout droit sorti de cette époque-là, nous prouvant que malgré leur âge assez avancé, ils restent de véritables mastodontes. "The Irisman" a donc tous les ingrédients pour marquer au fer blanc, non seulement la filmographie de Scorsese, De Niro, Al Pacino et Joe Pesci, mais aussi l’industrie et l’histoire du cinéma, tant ce film paraît important. Reste seulement à savoir si la distribution assurée par Netflix arrivera à être à la hauteur.

Ray LamajEnvoyer un message au rédacteur

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