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TERMINAL SUD

De l’abjection

Dans un pays non désigné, à une époque non désignée, un conflit d’insécurité s’installe au vu des exactions de plus en plus violentes et nombreuses d’un groupuscule armé non nommé, qui pratique le vol, le kidnapping et le meurtre gratuit. C’est dans ce contexte qu’un médecin tente d’accomplir son devoir au sein d’un hôpital. Le jour où il est forcé de guérir un terroriste blessé, son destin bascule…

Terminal Sud film image

C’est un peu étrange de devoir citer Jacques Rivette – et surtout son papier critique le plus atterrant – pour titrer et introduire le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmeche. Hélas, toute résistance est vouée d’entrée à l’échec face à ce qui s’impose, à notre plus grande surprise, comme le film le plus abject de l’année 2019. A ceux qui s’excitent encore en ce moment à propos de la dernière badaboumerie de ce grand taré de Michael Bay, on leur répondra qu’une quête aussi prononcée de l’outrance avec un tel refus assumé de la responsabilité morale est génératrice de vertige et de folie, tous deux détachés du moindre enjeu – et c’est ce qui rend "6 Underground" prodigieusement jouissif.

Dans le cas de "Terminal Sud", l’effet est inverse : une proposition de narration abstraite qui se rattache tellement au réel et à des enjeux contemporains qu’elle en devient anormalement douteuse. De la part de l’auteur du très bon "Wesh Wesh", c’est peu dire qu’on tombe de haut devant un film qui crie à chaque raccord de plan son intention première : le spectateur est là pour en chier autant que ceux qui, dans le film, se font menacer, voler, malmener, tabasser, torturer ou tuer sans qu’on sache pourquoi. Parce que oui, "Terminal Sud" suit ce principe d’un film jamais contextualisé, où le pays et le conflit armé ne sont jamais expliqués, et où l’intention découle d’un acte défini dans sa nudité et sa gratuité.

Ne soyons pas idiots, on devinait bien quelle était l’intention du bazar : délester le film social de ses curseurs temporels ou géopolitiques pour évoquer, par le biais du symbole, une situation douloureuse et capturée dans ce qu’elle peut avoir d’universel. Connaissant le travail du réalisateur, on avait déjà notre petite idée sur ce qui pouvait naître de ce principe. Or, Ameur-Zaïmeche n’est pas Haneke, et n’a ici rien à dire ni à exprimer ni à filmer. Cette « nudité » du contexte se répercute sur tous les personnages (juste des fonctions qui hurlent et pleurent d’un côté, qui éructent et menacent de l’autre) et les enjeux (juste des rapports de force ultra-manichéens qui ne sont rattachés à rien), faisant ainsi de "Terminal Sud" une démonstration quasi brechtienne du néant humaniste qu’il aurait peut-être voulu torpiller.

Il est même difficile pour Ramzy Bedia – dont on a décelé depuis longtemps le potentiel d’acteur sérieux – de faire exister son personnage. Et ce n’est pas un horizon ensoleillé en guise d’échappatoire final qui serait censé nous donner l’illusion d’un éventuel paradis après avoir à ce point vécu l’enfer. On espère toujours d’un film – même insoutenable à regarder – qu’il nous fasse sortir de la salle avec un « plus », un trop-plein d’émotions contradictoires susceptibles de nous travailler, voire même un petit espace d’élévation sensorielle. Ameur-Zaïmeche, lui, a visé plus bas : nous faire souffrir pendant 1h36 afin d’alimenter rien d’autre que de la colère, et réussir presque malgré lui à concurrencer les reportages ultra-démagos de BFMTV sur l’insécurité en société. Merci, mais non merci.

Guillaume Gas

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