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OXYGÈNE

Un film de Alexandre Aja

Il faut que tu respires, et c’est pas rien de le dire !

Elizabeth Hansen se réveille dans un caisson cryogénique. Seule et amnésique, elle sait juste qu’il lui reste à peine 90 minutes d’oxygène. De plus, la machine qui la retient prisonnière commence à montrer d’inquiétants signes de défaillance…

Oxygène film movie

Sortie le 12 mai 2021 sur Netflix

D’entrée, et parce qu’on en a vraiment besoin, attardons-nous le plus possible sur les bonnes nouvelles. Il y a deux (très gros) points forts à extraire du nouveau film d’Alexandre Aja. Le premier est d’ordre scénaristique. On a déjà pu vilipender cet opportunisme (ou cette malice déguisée, comme vous voulez…) qui relègue la pandémie du Covid-19 au rang de prétexte idéal à des scénarios de films de genre, pour la plupart torchés, sans idées ni scénario ni moyens. Le ronflant "Songbird" (téléguidé par un Michael Bay sous Lexomil) et l’exaspérant "Connectés" (avec des stars bankable bien de chez nous qui s’assuraient un petit salaire facile en brassant du vide devant leur webcam) avaient déjà donné le « la » de cette mauvaise tendance. "Oxygène", fort heureusement, s’éloigne en tous points de cette catégorie bouseuse. D’abord parce que sa mise en chantier ne découle pas originellement de la pandémie actuelle (l’historique du film prouve bien qu’il s’est juste réadapté en fonction du contexte), ensuite parce que le film explore l’idée d’une pandémie de façon lointaine, cherchant le plus possible à se focaliser sur un concept de survie en huis clos.

Le second point fort découle justement de ce concept, et il est clairement d’ordre conceptuel. Les premiers plans du film sont presque comme des cases à cocher qui se noircissent les unes après les autres. Ouverture dans l’obscurité totale, flashs lumineux et sonores en montage cut, protagoniste qui se réveille dans une sorte de « cocon » dont il s’extrait, apparition progressive de la lumière, crise identitaire en huis-clos, communication téléphonique fragile avec le monde extérieur… On pense tout de suite à "Buried", huis-clos de 2010 avec un Ryan Reynolds enterré vivant dans un cercueil. Or, le souci de ce genre de film – ou plutôt d’exercice de style – ne varie pas : le suspense s‘avère si exclusivement dépendant de l’incertitude du spectateur à voir le héros survivre que son issue, une fois dévoilée, prive le film de tout désir d’être revu. Le climax d’"Oxygène" – que l’on ne dévoilera pas – tient non seulement sa promesse d’un point d’orgue émotionnel des plus intenses, mais aussi celle d’un angle de lecture supplémentaire (pour le coup très existentiel et lié à un thème-phare du registre science-fictionnel), éloignant ainsi le film du pur exercice de style qui s’efface après visionnage.

Toutes les pistes et les mystères que le film installe se retrouvent ainsi soumis à une lecture sensitive des événements, nous plaçant ainsi dans la même configuration que l’héroïne. Tout se vit et se perçoit de manière viscérale et interne, avec la respiration et le pouls en constante irrégularité. La symbolique brouille les pistes en se glissant l’air de rien dans le découpage (étrange leitmotiv d’une souris dans un labyrinthe), le passé instable de l’héroïne ordonne un montage constamment subjectif (flash-backs qui recomposent un véritable puzzle de vie), la projection de soi-même devient outil de questionnement sur l’organique et l’identité (belle idée d’un miroir tridimensionnel au sein du caisson), l’espace de dialogue privé chahute le récit avec précision au lieu de le gaver sans raison (interaction géniale avec une version médicale de HAL 9000 à qui Mathieu Amalric prête son timbre grave et suave). Tout est ici viscéral, jamais théorique, axé sur un crescendo émotionnel et une réflexion sur l’humain qui, pour le coup, ne ploient jamais sous un quelconque impératif de surcharge bisseuse. Car, oui, autre nouveauté, Aja se coupe ici de cette surenchère sanglante qu’on lui connaissait bien, réduisant ainsi la dose de gore chirurgical à la seule vue d’une seringue plantée dans un bras. Sa seule faute de goût qu’on puisse relever tient dans un léger manque de crédibilité liée à la baisse progressive du niveau d’oxygène : celui-ci semble étrangement se réduire de moins en moins vite à mesure que l’héroïne devient tendue et nerveuse !

A bien des égards, il est clair qu’Aja n’avait jamais atteint un degré de perfection visuelle aussi élevé. Sa mise en scène tranche ainsi avec tout ce que ses anciens shakers horrifiques, de "Haute Tension" à "Crawl" en passant par "Piranha 3D", avait su mettre en place. Point de SFX plus ou moins aboutis ni de bis à la sauce pop-corn dans "Oxygène", mais avant tout des trucages d’une beauté fracassante (on tire notre chapeau à toute la team de Mac Guff !) et un découpage précis qui exhibe un premier degré bulletproof. Pas de caméra qui singerait ses modèles en lorgnant sur un précis de cinégénie trash, mais un filmage élégant dont le film multiplie les angles de perception (tourbillon à 360°, plans rapprochés, courte focale à gogo, vibration du cadre sous l’effet du pouls…) pour aérer et dynamiser le huis clos, pour accentuer la sensation d’étouffement et pour capturer la recomposition progressive de la mémoire. La caméra va même jusqu’à bousculer son rapport initial aux points cardinaux lorsqu’une révélation intervient à mi-parcours, preuve d’une narration qui trouve sans cesse de nouveaux espaces de respiration après chaque phase de « concentration ». Sans oublier les multiples dérèglements de l’habitat qui font monter le rythme cardiaque à dose très fréquente : des souris qui jouent les invités-surprise, une seringue téléguidée qui se déclenche par erreur, etc…

Emballé dans un Scope éblouissant, accompagné d’une partition divinement hypnotique de Rob (lequel fait ici encore plus fort que sa BO pour le remake de "Maniac", déjà produit par Aja), "Oxygène" est autant un puissant suspense claustro qu’une authentique fiesta des sens, dans laquelle on éprouve le besoin de se replonger le plus vite possible. Il faut enfin dire – et c’est peut-être le plus important – à quel point le film doit tout de même la moitié de sa réussite à Mélanie Laurent. Souvent conchiée à tire-larigot (et pas toujours à raison), l’actrice devrait ainsi clouer le bec à ses plus vibrants détracteurs en réussissant à épouser mille et une émotions dans un espace réduit pendant plus de 90 minutes, vibrant et paniquant sans que jamais son jeu ne paraisse faux ou forcé. Une prestation des plus mémorables – peut-être sa plus belle – qui achève d’acter une réussite aussi forte qu’inattendue. A l’heure où les cinémas s’apprêtent à rouvrir, c’est peu dire qu’une proposition de cinéma si immersive fait un bien fou et réactive notre optimisme. On peut enfin respirer…

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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