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MON PÈRE VA ME TUER

Un film de Daniele Ciprì

Aussi déroutant dans sa narration qu'incisif dans son propos

Dans une salle d'attente, un homme peu engageant se met à raconter d'étranges histoires. Dans la cour d'un immeuble, une jeune fille est abattue par une balle perdue. Les assassins visaient en fait son cousin...

Présenté en compétition au dernier festival de Venise, « Mon père va me tuer » (« E stato il figlio ») a de quoi dérouter de par son entrée en matière, des plus théâtrales, la caméra se concentrant progressivement sur un homme assis dans une salle d'attente, qui se met à raconter des histoires à qui veut bien l'entendre. Une sorte de fou, qui pourrait bien, au milieu de son délire, exposer quelques vérités. Après l'anecdote sur un homme touché par la foudre, il entame celle d'un fils qui tua son père pour une marque faite sur une voiture. Ainsi commence ce conte acerbe, avec des images qui, dans leur succession, ne semblent pas faire grand sens.

Puis le rythme s'assagit. Sortant de la salle d'attente, on découvre alors des habitants d'un quartier de Palerme rivalisant pour récupérer les pièces d'un bateau échoué. Un grand-père entame une autre histoire, incompréhensible, pour son petit-fils. La famille passe une journée à la plage, le père critiquant l'ampleur du ventre de son collègue, la mère jouant les arbitres faux-cul entre deux fillettes... S'agit-il d'un flash-back, vraisemblable au vu des costumes, ou est-ce là un autre délire ? Le ton change, adoptant sciemment celui de la comédie caricaturale, sans pour autant nous décrocher un sourire. Et les genres se mélangent, jusqu'à la comédie musicale, achevant de dérouter le spectateur.

C'est là que le film prendra soudainement un tournant, avec l'assassinat de la fille de la famille, à cause d’une balle perdue qui visait au départ son cousin, membre possible de la mafia locale. La famille endeuillée découvre qu'elle peut bénéficier d'un fond d'aide aux victimes de la mafia... et pourrait bien y voir son intérêt. Débute alors un pamphlet plutôt réussi, qui stigmatise les attitudes intéressées, les dépenses inconsidérées, la loi du silence, la compromission, au travers d'une série de personnages tous aussi odieux et méprisables les uns que les autres.

Dans cette Italie des années 70, Daniele Ciprì dresse ainsi un portrait au vitriol d'une famille sicilienne vendue aux puissants, et dont la médiocrité morale a non seulement de quoi faire frémir, mais interroge aussi sur l'attitude des Italiens qui préfèrent porter au pouvoir un homme d'affaires influent que des politiques soucieux de l'égalité entre citoyens. Une comédie acide, dont la mise en scène déroute, et qui a valu à Daniele Ciprì, également chef opérateur de son propre film, le prix de la meilleure contribution technique pour sa photographie à Venise en 2012.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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