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INTERVIEW

PLACÉS

Nessim Chikhaoui et Lucie Charles-Alfred

réalisateur et scénariste, actrice

C’est dans le cadre du Festival de Sarlat 2021 que le réalisateur du film « Placés« , Nessim Chikhaoui, lui-même ancien éducateur, est venu à la rencontre de quelques journalistes, accompagné de l’une de ses jeunes actrices, Lucie Charles-Alfred.

Entretien Interview Rencontre Nessim Chikhaoui et Lucie Charles-Alfred réalisateur et scénariste, actrice du film Placés
© Le Pacte

Quelque chose de très personnel dans ce film

Le réalisateur lui-même a été éducateur en Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) durant 7 ans, puis en tant qu’AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert) pendant trois ans. Il y a donc beaucoup de situations réelles ou vécues dans le film. C’était d’ailleurs important pour lui de « montrer la situation de ces centres », où il manque des assistantes sociales et des groupes cliniques. Le film est du coup concentré sur les éducateurs et les jeunes.

La question des limites qu’on peut atteindre en tant qu’éducateur était bien présente. Quand il travaillait dans ces maisons, cela était « compliqué pour les week-ends et la vie de famille », surtout à la fin des sept ans. Il a alors basculé sur l’AEMO. C’est quelque chose qu’il a d’ailleurs coupé au montage pour le personnage de Julie Depardieu. Mais est venu un moment où il n’était pas étanche aux situations. Il a alors décidé d’arrêter. Mais il note qu’aujourd’hui la plupart de ses collègues sont encore éducateurs.

Une deadline certaine volonté de bienveillance dès le début

Concernant le personnage d’Emma, interprété par Lucie Charles-Alfred, Nessim Chikhaoui ne voulait pas finir sur une note négative. Il indique que souvent « il y a de la résilience tout de même chez ces jeunes », ceci même si à 18 ans on les lâche dans la nature. Lui-même a suivi différents groupes sur sept ans. Mais il avoue que « quand on est dans le quotidien, on ne fait plus attention à cette question des 18 ans ». C’est sa co-auteur qui lui a fait remarquer que c’était horrible. Pour certains cela se termine comme cela, par une simple sortie de l’institution.

Pour le réalisateur, même si des aspects de thérapie au quotidien sont nécessaires à la fin du film, il constitue vraiment « un message d’espoir ». Car « avant tout être adulte, c’est une continuité d’être enfant ». Il avoue s’être cependant demandé si le film n’était pas trop positif. Mais il relativise dans la foulée en indiquant qu’il a eu « des réactions d’anciens placés qui regrettent cette période ».

Sur le travail avec Hélène Fillières, co-scénariste

Nessim Chikhaoui a écrit la première version tout seul. Mais il ne connaissait pas le travail de réalisateur. Il n’était « pas du même monde ». Concernant Hélène Fillières, au début « c’était une consultation amicale », car ils travaillent tous les deux chez Mafiosa. Globalement, « elle a apporté plus de profondeur », comme par exemple dans la scène du somnambulisme, ou pour le nom du père décédé qui donne le nom à la maison à l’institution.

De la difficulté de devenir le personnage d’Emma

Lucie Charles-Alfred rappelle que c’est ici son premier long-métrage. Selon elle, son personnage « a eu beaucoup de tourments », « des événements qui l’ont impactée dans l’enfance ». « Elle est très sensible mais a beaucoup de caractère ». Lucie indique qu’elle « a aussi des amis qui sont eux-mêmes en foyer ». Son personnage lui semble être une jeune fille paradoxale, qui rejette les gens, mais qui a peur de l’abandon et veut finalement rester dans le foyer.

Le réalisateur indique qu’il avait une autre actrice à la base, mais « qu’au casting, [Lucie] a su montrer qu’elle savait pleurer ». Il a pu faire la scène en seulement deux prises d’ailleurs. Elle précise aussi que « pour s’énerver [elle] est assez douée. Elle tente de travailler sur les traumas et les souffrances vécues qu’elle met à profit, soulignant d’ailleurs qu’elle est hyper émue, même de nous parler, d’échanger.

Une question d’alchimie entre les deux interprètes principaux

Shaïn (Boumedine) faisait partie de la short-list du réalisateur. Nessim avait vu "Mektoub, my love" de Kechiche. Selon lui, il a un charme fou. Il paraît « à la fois studieux et sérieux, bien élevé ». Il est content car « on l’a jamais vu en colère, mais c’est le cas ici ». Pour le personnage de Mathilde, il voulait une blonde au départ, puis il a pris finalement une rebeu, Nailia Harzoune. Mais dans le film, en fait, « on sait pas qui vient d’où », « dans ce centre il n’y a pas de question de religion ou d’origine ».

Quand au personnage interprété par Smaïn, c’est « un peu une idole de jeunesse ». Dans le 81, il indique n’avoir fait qu’une « seule sortie quand on était au collège », pour voir « "Les fourberies de Scapin" avec justement Smaïn. Mais « ce qui est intéressant, c’est que justement lui-même était en foyer ».

Des questions de perspectives pour le personnage de Shaïn [attention : spoiler]

Il fallait selon Nessin Chikhaoui « partir de quelqu’un qui n’est pas du tout destiné à ce milieu ». Ainsi, « Sciences-po c’est une école qui parle à tout le monde », qui signifie une toute autre trajectoire. Mais le metteur en scène qu’il est, avoue qu’il n’y connaît rien et que « même l’épreuve en réalité n’est pas sous cette forme ».

Concernant son choix final de ne pas passer l’examen, il peut apparaître comme une facilité. Le réalisateur indique à ce propos que « dans la première version du scénario, le personnage était reçu ». « Il avait passé le concours pour le panache ». Puis il y avait Adama qui lui disait « tu es fait pour ça et on t’aime de toutes façons ». Quelque part, « son père aussi lui dit de faire ce qui lui plaît », mais « il comprend que ce n’est pas sa place ».

Une autre option aurait cependant pu être qu’il intègre une école, puis démissionne. « Il y a eu deux versions différentes », celle « avec une lettre » alors que durant des jours il ne disait pas qu’il avait réussi, et « une autre avec son père qui allait simplement voir les notes ». Mais cela aurait été un autre film ou une autre conclusion.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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