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J'IRAI DÉCROCHER LA LUNE

Un film de Laurent Boileau

On accroche… mais à la fin on décroche !

Éléonore, Élise, Gilles-Emmanuel, Mario, Robin et Stéphanie sont tous trentenaires et ont un autre point commun : ils ont un chromosome en plus. Malgré la trisomie 21, ils essaient de se construire une vie la plus autonome possible…

Le cinéma s’empare régulièrement du handicap, comme thématique principale ou secondaire, généralement pour interroger la différence et la tolérance. Plus précisément, la trisomie 21 a déjà fait l’objet de nombreux développements, que ce soit dans la fiction ("Le Huitième Jour" ou "Yo, también" par exemple) ou dans le documentaire (comme "Carré 35" ou "L'École de la vie"). Le documentaire "J’irai décrocher la lune" s’inscrit donc dans cette tradition cinématographique, avec le louable objectif de questionner notre regard sur « l’autre », voire de le faire évoluer.

Alors que "Carré 35" ou "L'École de la vie" proposaient des mises en scène fortes, le dispositif de "J’irai décrocher la lune" est globalement moins inspiré. Laurent Boileau, peut-être avant tout connu pour avoir cosigné le documentaire animé "Couleur de peau : miel", possède une longue expérience dans le documentaire télé, ce qui se ressent un peu ici. Si les plans sont régulièrement très beaux, d’autres sont plus formatés, et les choix formels s’avèrent même hésitants : alors que certaines séquences utilisent de façon dynamique les témoignages en voix-off en parallèle de scènes de vie variées, d’autres sont plus statiques (mais pas inintéressantes), en « face caméra » sur fond noir. D’autre part, si le processus de filmage est parfois intégré au récit (comme lorsque Laurent Boileau apparaît en train de téléphoner aux parents d’un jeune trisomique), il ne l’est que trop ponctuellement et cela participe aussi à rendre la mise en scène un peu bancale.

Malgré tout, il est évidemment indispensable de souligner que le contenu du film est puissant et que le « casting » est émouvant. La diversité des situations permet au public de prendre conscience de la réalité de ce que vivent ces trentenaires qui aspirent à la normalité malgré leur handicap. Touchants et drôles, ils fascinent par leur opiniâtreté, par l’affirmation de leur caractère et de leurs rêves, ou encore par la façon dont ils parviennent à analyser leur propre condition et également à s’entraider (la scène du repassage, par exemple, est adorable). Contrairement au documentaire chilien "L'École de la vie", dont le titre original ("Los niños") assumait de considérer tendrement les adultes trisomiques comme des pseudo-enfants, "J’irai décrocher la lune" refuse ce regard, insistant sur leur statut d’adultes et mettant en avant les perspectives d’autonomie voire d’indépendance de ces trentenaires handicapés – la jeune Éléonore s’insurge même contre la façon dont les gens traitent les trisomiques comme des enfants. Même si le film montre les obstacles à une complète autonomie, en ne négligeant pas la diversité intellectuelle et psychologique des personnes concernées, les différentes séquences prouvent qu’il y a bien une place pleine et entière à donner aux trisomiques dans la société.

La bienveillance et l’ouverture d’esprit semblent guider le long métrage de bout en bout. Mais vers la fin, patatras, une courte séquence s’avère plus que problématique. Le réalisateur fait alors écouter à Éléonore un extrait d’une émission de France Inter dans lequel deux hommes débattent du dépistage prénatal de la trisomie 21 et de la possibilité de mettre un terme à la grossesse s’il est positif (pour être précis, il s’agit de "La Tête au carré" du 5 octobre 2012). Le sujet est délicat car la trisomie 21 est depuis longtemps un cheval de Troie des mouvements anti-avortement. Aborder ce thème en une poignée de minutes n’est donc guère pertinent, car il aurait eu besoin d’être approfondi. Et le principal problème, c’est d’avoir choisi un extrait qui a suscité la controverse (et la réactiver huit ans après n’est guère reluisant !) : alors que le mot « avortement » n’est pas prononcé dans cette archive radiophonique, l’un des hommes parle d’« eugénisme » et son contradicteur affirme ensuite que « les trisomiques sont un poison dans une famille ». On comprend évidemment la colère d’ Éléonore mais on se dit aussi qu’il y a quelque chose de sadique à lui avoir fait écouter cela.

Il y a plus grave : le choix de cet extrait est loin d’être anodin car, volontairement ou non, Laurent Boileau va clairement dans le sens des idées anti-IVG. À aucun moment il n’est précisé que l’homme parlant d’« eugénisme » est Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune, qui est justement un pilier majeur du lobbying « pro-vie » en France. Il n’est pas mentionné non plus que l’auteur des propos outranciers (qui sont évidemment condamnables), en l’occurrence le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, a ensuite admis qu’il avait utilisé un « terme malheureux » pour exprimer son point de vue. Au final, cette courte séquence caricature de façon grotesque les femmes ayant recours à une IMG (interruption médicale de grossesse) en les assimilant de facto à la phrase déplacée de Jean-Didier Vincent. Au final, on peut poser légitimement une question sur ce documentaire : est-il lui aussi simplement maladroit ou idéologiquement malhonnête ? Dans les deux cas, ce court passage polémique décrédibilise le ton tendre et apaisé affiché depuis le début. Le regard n’est donc pas si ouvert. Triste fin.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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