L'OMBRE DU FEU

Un film de Shinya Tsukamoto

Une potentielle famille de substitutio

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au Japon, une jeune femme vit dans la pièce attenante à un bar délabré. Elle est fournie en alcool par un vieil homme, qui en profite pour abuser d’elle. Un jour, un petit orphelin se réfugie dans les lieux, revenant par la suite en lui ramenant une pastèque. Débarque aussi un jeune soldat, en quête d’un travail, qui n’a de quoi payer que son premier verre. Elle décide de les nourrir tous les deux, en faisant crédit au soldat et acceptant les offrandes du gamin qu’elle prend pour un voleur. Peu à peu, ils en viennent tous deux à dormir sur place…

Auteur de "Killing", "Tetsuo, the bullet man", ou encore "Fires on the Plain", le japonais Shinya Tsukamoto nous livre avec "L'Ombre du feu", une œuvre particulièrement radicale, mais d'où affleure une émotion fugace. Centrée sur trois personnages, une jeune femme visiblement épuisée, un jeune soldat traumatisé et un orphelin supposé voleur, le récit semble bien parti pour demeurer un huis-clos, dans ce lieu à demi-calciné qu'est un bar de quartier, dépouillé, dont on ne sait même pas s'il appartient réellement à la jeune femme. Car, en effet, ici la notion de possession est remplacée par celle de petits services (le gamin tente de faire la vaisselle au marché, repoussé violemment par certains pour sa réputation de voleur...) et de troc, réglés en nourriture, hébergement de fortune (le bout d'un comptoir, un tatami où on se serre à plusieurs....) ou pire, « en nature ».

La réduction de l'être humain à ses simples fonctions de survie, filmée dans une alternance de belles teintes cuivrées (les lieux éclairés à la bougie) et bleutées (les aspects des mêmes pièces, de nuit...), est donc au cœur d'un film qui semble nous orienter vers le rêve d'une famille reconstituée classique : mère, père et fils. Mais c'est sans compter sur la dure réalité de la rue, alors que le film bascule soudainement vers des décors extérieurs (nature, forêt, marché...), introduisant d'autres personnages à la violence à peine contenue : un marchand, un jeune homme en quête de vengeance... Tournant notre attention vers une seconde intrigue, alliant cet homme trouble et l'orphelin, à la recherche de petits boulots, comme de multiples enfants en quête de survie, la deuxième partie du film s'avère au final beaucoup plus politique, révélant au passage quelques comportements de l’ordre de l’amour maternel (quand la mère s’inquiète de la confiance que met l’orphelin dans l’homme mystérieux…) ou filial (quand l’enfant retombe dans une ruelle, sur le soldat du début...).

Introduisant un certain suspense autour de l'intérêt de cet homme pour le pistolet de la femme du bar, elle nous mènera vers un climax en lien avec les questions de responsabilité inhérentes à tout conflit. Un conflit qui est finalement ici représenté avant tout par les traumas des personnages (les crises de violence du jeune soldat recueilli dans le bar, la visite rendue à un homme plus âgé semblant avoir, lui, repris sa vie d'avant...). Mais dont les séquelles matérielles sont représentées de manière saisissante par un plan transformant les craquelures et irrégularités du bois brûlé, en le plan en volume d'une ville dévastée. Difficile donc de ne pas être ému, face à cette plaie encore ouverte, que le petit garçon, dans la toute dernière scène, tente à sa manière de refermer, l'espoir initié dans la première partie persistant à travers lui.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire