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ROGUE ONE: A STAR WARS STORY

Un film de Gareth Edwards

Contre : Niveau 0 - Le sommeil de la Force

Plusieurs décennies se sont écoulées depuis l’effondrement de la République Galactique et l’avènement du cruel Empire Galactique. Afin d’étendre son influence sur l’ensemble de la galaxie et mater une rébellion actuellement en marche, ce dernier s’apprête à mettre en action une arme redoutable : l’Etoile de la mort, base militaire dont le degré d’armement permet d’anéantir une planète entière. Une équipe de rebelles, menées par la solitaire Jyn Erso, est chargée de diriger une mission risquée : voler les plans de l’Etoile de la mort…

Au début, tout sonne bizarre : pas de générique déroulant sur fond de John Williams pour entamer ce "Rogue One", une mise en scène qui évite le lyrisme au profit d’une forme (limitée) de sécheresse visuelle, des personnages inconnus, et surtout la sensation de revenir en arrière. On le savait un peu à l’avance, mais là, c’est évident : ce "Star Wars"-là ne sera bel et bien pas comme les autres. De quoi espérer de la nouveauté ? Sur la mise en scène, peut-être bien (quoique…), mais sur le scénario, le blocage que l’on supposait en amont ne va jamais cesser de grossir. La raison est toute simple : à quoi bon chercher la nouveauté si cela consiste à regarder en arrière, qui plus est sur des éléments qui ne constituent pas à eux seuls un vrai signe d’évolution pour la saga de George Lucas ? Concrètement, "Rogue One" est moins un spin-off qu’un « trou » au sein de la franchise, du genre qui n’avait pas fondamentalement besoin d’être comblé pour opérer un transfert instinctif entre les deux trilogies d’origine. Hélas, Hollywood étant souvent du genre à forcer ses franchises à s’empiffrer ad nauseam lorsqu’elles peuvent encore garder la bouche ouverte (y compris quand elles n’ont plus faim), le résultat a fini par voir le jour et il ne nous reste plus qu’à le juger tel quel.

On le disait donc : en se calant pile poil juste avant le début de l’épisode IV, "Rogue One" entend donc opérer la réunion directe et cohérente entre les deux trilogies. Sauf que cette idée de départ implique deux problèmes. D’abord, le plan final de l’Episode III se suffisait largement à lui-même : en un simple regard des parents adoptifs de Luke lancé vers un horizon lumineux, la conclusion sombre laissait filtrer le futur espoir qu’allait représenter cet enfant, tout en créant une connexion nostalgique et lyrique avec un plan précis de l’Episode IV. Le lien entre les deux trilogies était là, et il n’en fallait pas davantage. Or, deuxième problème, la tactique de Gareth Edwards sur cet épisode est différente : transformer le texte déroulant de chaque épisode de "Star Wars" en un film entier, comme si raccrocher les wagons par le biais de cette rampe de lancement informative – désormais culte dans toute la galaxie – ne devait plus avoir lieu. Le résultat, c’est hélas le pire que l’on pouvait imaginer : il ne suffit plus de poser un contexte politique et d’indiquer au spectateur « des espions rebelles ont dérobé les plans de la nouvelle arme de l’Empire : l’Etoile de la Mort, capable d’anéantir une planète entière », mais il faut désormais tout expliquer, dans le détail, même quand cela n’apporte scénaristiquement rien à la saga. En gros, toute information évoquée dans le passé sans être visible (et ce pour une raison de raccourcissement rythmique du montage : il n’est pas souvent nécessaire de tout montrer) aura désormais droit à son film-vignette. "Rogue One" en est donc le premier stade.

Trois enjeux – inutiles – servent donc ici d’ossature à la trame scénaristique : évoquer la formation de la rébellion face à l’Empire (ici sacrifiée en trois dialogues autour d’une table), détailler le déroulé de la mission menant au vol des plans de l’Etoile de la Mort (est-ce intéressant de savoir où ça se passe et comment ça se passe, surtout quand on sait à l’avance qu’il s’agit d’une mission-suicide ?) et rattacher les wagons avec la résolution de la mini-énigme du début de l’Episode IV (en gros, d’où vient exactement le vaisseau de la princesse Leïa ?). Trois enjeux qu’Edwards, absorbé par une volonté de tout rationaliser, se contente de survoler au gré d’un montage inégal, d’abord sous Tranxène durant une première moitié bien lourde (où les moutons à compter sont aussi nombreux que les planètes à visiter), ensuite sous speed dans une deuxième moitié qui sent déjà fort les fameux reshoots réclamés par le studio. De là vient une erreur difficile à esquiver : l’univers "Star Wars" ne vibre plus, moins parce qu’il vise la pure série B guerrière (cela aurait pu être intéressant) que parce qu’il ne parvient pas à faire vivre son équipe de guerriers suicidaires, ici réduits à des fantoches qui se perdent dans de longs bavardages et passent d’un décor à l’autre sans jamais exister ni émouvoir. Les acteurs ne sont d’ailleurs pas en reste : hormis un Ben Mendelsohn assez imposant en bad guy, aucun n’arrive à se détacher du lot, pas même une Felicity Jones qui semble traverser le film en touriste.

La question de la supposée autonomie de ce film se pose aussi : si "Rogue One" se voulait réellement être une parenthèse au sein de la saga, pourquoi martèle-t-il avec autant de hargne déplacée son désir de se raccorder à elle ? En plus de bannir l’impact spirituel de la Force au profit d’une approche religieuse ultra terre-à-terre (ici servie sur plateau en plastique par le personnage de Donnie Yen, franchement ridicule en Raël karatéka), la tentative d’inscrire la saga dans une lecture réaliste des enjeux contemporains crée ici un vrai blocage. Lucas et Abrams avaient eu l’intelligence de tout filtrer au travers d’une mythologie riche en symboles, et l’universalité naissait justement de ces symboles. Edwards, lui, adopte une approche très « nolanienne » dans l’âme : flouter la frontière entre le Bien et le Mal, complexifier la rébellion face à l’oppression, et mettre le paquet sur la noirceur. En gros, tout ce que Nolan avait décliné dans sa fabuleuse trilogie de l’homme chauve-souris. L’idée pouvait coller à "Star Wars", voire le transcender, mais encore fallait-il que la rupture avec les autres films soit consommée. Or, elle ne l’est pas : de quelques bidouillages numériques atroces (ressusciter Peter Cushing et rajeunir Carrie Fisher : une très mauvaise idée !) à l’iconisation m’as-tu-vue de Dark Vador jusqu’à un final qui compresse ses enjeux pour tracer le trait d’union avec l’Episode IV, l’ADN de Lucas transpire de partout et ne s’accorde jamais avec la démarche intrigante d’Edwards.

Tout concorde à faire de "Rogue One" un sacré claquage, résultant d’un grand écart entre deux pôles qui ne s’accordent pas, et que même la bataille finale – bizarrement vendue ici et là comme un morceau de bravoure jamais vu dans toute la saga – ne peut espérer sauver (pas de quoi remplacer le final guerrier de l’Episode IV). Peut-être est-ce là une nouvelle menace fantôme : épuiser l’âme rebelle de la saga par une soumission à l’Empire du blockbuster lambda, qui plus est avec un degré de violence plus que relatif (sur ce point-là, l’Episode V reste insurpassable). Avec "Le réveil de la Force", J.J Abrams avait réussi le plus beau des paris : revisiter un univers à la manière d’une suite de madeleines de Proust (apparence de départ) pour lui faire petit à petit prendre un envol progressiste et transcendental (clairvoyance d’arrivée), tourné vers un nouvel horizon et vers une redéfinition de ses codes campbelliens. Avec "Rogue One", Gareth Edwards fait le chemin inverse : on revient en arrière pour caser un wagon pas très utile sur le train alors que l’essentiel de la marchandise s’est depuis longtemps installé dans les premiers wagons. Regarder vers l’avenir en honorant le passé (version Abrams) ou ressasser le passé tout en évacuant le futur (version Edwards) ? Qu’il nous soit permis de préférer la première option, et de laisser ce film-kamikaze partir de son plein gré au casse-pipe.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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