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INTERVIEW

INU-OH

Masaaki Yuasa

réalisateur et scénariste

C’est dans le cadre du Festival de Venise 2021 que nous avons pu rencontrer Masaaki Yuasa, aujourd’hui présent à Annecy en tant que parrain du MIFA Campus et en séance événement. Compte rendu de ces riches échanges autour du film « Inu-Oh » qui sortira en salles le 23 novembre prochain.

Entretien Interview Rencontre Masaaki Yuasa réalisteur et scénariste de Inu-Oh
© Star Invest Films France

Journaliste :

Pourquoi avoir fait du personnage de Inu-oh un enfant avec des difformités, faisant qu’il paraît au départ ne pas être humain ?

Masaaki Yuasa :

Avant tout ce n’est pas moi qui ai inventé cette histoire. Il y a bien un roman original qui a été écrit par Hideo Furukawa. Quand j’ai découvert cette histoire, j’ai eu envie d’en faire un film et ce qui m’intéressait le plus c’était que Inu-Oh a vraiment existé dans l’Histoire, et pourtant on ne le connaît absolument pas, c’est comme s’il n’existait pas, alors que c’est une grosse célébrité.

Alors qu’il avait des difformités physiques, c’était quelqu’un d’extrêmement gai, et je ne comprenais pas pourquoi il était aussi joyeux. C’est ce qui m’a intéressé et poussé à en faire un film.

Journaliste :

Du coup comment est venu le design de ce personnage avec son masque, les yeux perpendiculaires l’un à l’autre, le bras extrêmement long… ?

Masaaki Yuasa :

Le design de base vient en fait de la couverture du livre original. Cette couverture a été dessinée par un Mangaka qui s’appelle Taiyo Matsumoto. Mais je me suis demandé comment on pouvait mettre en mouvement ce personnage qui était dessiné sur le papier. C’est ce que je me suis fixé comme règles : je ne montre pas l’intérieur, c’est-à-dire le vrai physique du personnage. Pourtant on le reconnaît de loin.

Journaliste :

On pouvait s’attendre à un film contemplatif. Mais comme vous êtes un maître de la représentation de la vitesse en animation, on retrouve cette vitesse qui est une marque votre style, comme dans "Lou et l’île aux sirènes" ou dans "Ride tour wave". Vous utilisez la caméra subjective au début pour montrer comment le personnage se déplace. Vous utilisez même, il me semble, les codes de la gymnastique rythmique dans le troisième spectacle, lors du passage avec le dragon. Comment avez-vous approché la vitesse avec le rythme de ce film là, par rapport aux autres ?

Masaaki Yuasa :

Lorsque j’ai créé le storyboard je pense qu’en fait mon expérience en tant qu’animateur a servi énormément. Car c’est pendant cette écriture que je crée le mouvement. Et c’est pour moi le tempo, le rythme, qui était le plus important dans ce film. C’est pour ça que j’ai utilisé la caméra subjective. Je me suis demandé comment rendre l’élan, tout au long du film, car je voulais qu’on sente que le personnage est bien vivant. J’ai notamment beaucoup travaillé sur le mouvement des jambes pour la danse.

Journaliste :

Vous faites de vos deux personnages, Inu-Oh et Tomona, des sortes de chanteurs rocks, avec leurs groupies, tels des précurseurs des grands spectacles qu’on peut voir aujourd’hui dans des stades, avec de la pyrotechnie, des systèmes scénographiques complexes... Je suppose que c’est une manière de parler aux jeunes générations d’aujourd’hui, qui sont assez distantes du théâtre Nô ?

Masaaki Yuasa :

Ça aurait pu être la musique hip-hop, cela marche aussi auprès des jeunes. Mais j’ai choisi la musique rock. C’est en fait que je me suis imaginé qu’à l’époque, leur musique, c’était une musique qui a vraiment séduit la jeune génération. Donc pour aujourd’hui l’équivalent ce serait la musique rock ou hip-hop. Donc oui, évidemment, j’ai beaucoup pensé au public jeune. Cela faisait quelques tant que je n’écoutais que de la techno, mais en entendant le son de guitare je me suis dit que c’était tellement beau, que oui c’est cela qui devait aller dans le film.

Journaliste :

Si forcément on peut penser à David Bowie ou à Queen, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur les influences de ces morceaux là ?

Masaaki Yuasa :

J’ai adopté une méthode assez particulière. C’est-à-dire que j’ai fait un petit film de danse et de chant, mais sans musique d’abord. J’ai écrit les paroles. Et ensuite je l’ai montré au compositeur et je lui ai demandé de composer quelque chose qui convienne à ces images. C’est comme cela que la musique a été écrite, mais à ce moment-là j’ai beaucoup pensé aux Beatles, à deep Purple, ou à Queen comme vous l’avez dit.

Journaliste :

Au niveau graphique, on est globalement dans de l’animation traditionnelle, mais il y a ponctuellement des éléments très différents. On peut citer comme exemple au début la schématisation de la bataille avec le flot de bateaux et les bruits d’épées ou sabres métalliques, les traces colorées de type coups de pinceaux pour représenter ce que perçoit le personnage aveugle, ou des images de synthèse pour donner à voir les perspectives sur le palais… Qu’est-ce qui vous a guidé dans ces choix ?

Masaaki Yuasa :

Il y a deux époques qu’on voit dans le film. Au début pour le XIIe siècle j’ai beaucoup pensé au style de dessins des rouleaux peints, donc vraiment les peintures traditionnelles japonaises. Et quand le film arrive au XIVe siècle, les images deviennent beaucoup plus réalistes. Pour ce que perçoit le personnage aveugle, je me suis vraiment demandé comment les aveugles voient le monde. Je pense que même si ils ne peuvent pas voir le monde, ils ont quand même la notion d’espace ou de distance. Et quand ils connaissent quelque chose, ils peuvent le reconnaître de manière très concrète. Dès que le personnage entend le son, il commence à « voir » : il y a aussi ce lien entre l’ouïe et la vue.

Journaliste :

Concernant la scène qui revient deux fois dans le long-métrage et qui vient le clore, où les deux personnages dansent dans les étoiles : est-ce que c’est une manière symbolique de revenir sur le lien qui les unit en terme d’amitié, mais aussi sur cette complémentarité entre la musique chantée d’un côté et la danse de l’autre ?

Masaaki Yuasa :

Je me suis toujours demandé, si le fait qu’Inu Oh retrouve progressivement un corps normal, c’est-à-dire pas du tout défiguré, était pour lui quelque chose qui lui fait du bien, ou de positif ? Car en fait depuis le début, lui pouvait jouer d’autres personnages grâce au masque. Petit à petit, il retrouve un beau visage et peut même jouer sans masque. D’ailleurs on le voit danser devant l’empereur sans masque. À un moment donné, il dit que son vrai visage est aussi comme un masque, et on ne sait plus s’il est en train de jouer un autre personnage sans masque cette fois-ci. Pour cela je voulais montrer à la fin le vrai visage d’Inu-Oh, qui est celui de quelqu’un qui a beaucoup apprécié son ami. C’est un peu ce qu’on ressent lors de la rencontre, et c’est pour ça que je voulais remettre cette scène à la fin. Bien entendu, c’est une scène imaginaire, mais qui représente leur lien, leur reconnaissance mutuelle.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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