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INTERVIEW

COUP DE CHANCE

Woody Allen, Lou de Laâge, Melvil Poupaud et Niels Schneider

Réalisateur-scénariste, actrice, acteurs

C’est dans le magnifique cadre du Jardin d’hiver de la Villa Lumière que Woody Allen a rencontré la presse lyonnaise en compagnie de trois de ses interprètes français : Lou de Laâge, Melvil Poupaud et Niels Schneider. On ne pouvait rêver mieux que ce lieu chargé de mémoire cinématographique pour s’entretenir avec cet immense réalisateur au sujet de son dernier film – le premier en français – juste après sa présentation à Venise.

Entretien Interview Rencontre Woody Allen, Lou de Laâge, Melvil Poupaud et Niels Schneider, réalisateur et acteurs de Coup de chance
© Metropolitan FilmExport

Quelle est la place de la chance dans votre vie et dans le processus d’écriture ?

Woody Allen : « La chance a eu un très grand rôle dans tout ce que j’ai fait durant ma carrière. J’ai eu beaucoup de chance avec les films que j’ai faits. J’ai rarement eu de la malchance. Et la chance n’a jamais eu de lien avec quelque chose que j’ai fait personnellement. Quant à l’écriture, il faut aussi être chanceux : vous avez des idées et l’inspiration continue d’arriver. »

À travers vos films, quel est finalement votre regard sur les hommes ?

Woody Allen : « Dans les premiers films que j’ai faits et dans de nombreux films, j’étais l’homme central, donc j’ai construit ces personnages à partir de moi. Après ça, j’ai plus écrit pour les femmes et je n’ai jamais pensé aux hommes dans un sens particulier, ils étaient là pour servir le récit. Si quelque chose a émergé au fil des années, ce n’était pas intentionnel, car je me concentre sur le récit. Si vous remarquez que plusieurs personnages masculins sont stupides ou terribles, c’est simplement que, dans une comédie, dans un drame, dans un mélodrame ou dans une tragédie, les personnes ordinaires ne sont pas vraiment intéressantes ; les psychopathes, par exemple, sont plus intéressants, ou les excentriques. Mais tout cela n’est qu’un hasard. »

Comment s’est déroulé le casting des interprètes français ?

Woody Allen : « On m’a envoyé une vidéo que j’ai regardée chez moi ; il y avait pléthore d’acteurs et d’actrices que je ne connaissais pas. Ensuite je suis venu à Paris, je les ai rencontrés et ils avaient compris le scénario très facilement. Il y a beaucoup de merveilleux acteurs dans le monde mais très peu de bons scénarios. Donc je me considère très chanceux car j’avais un large choix et je pense avoir choisi les meilleurs parmi ceux que j’ai vus. »

Jouer pour Woody Allen, est-ce l’aboutissement d’un rêve ?

Lou de Laâge : « C’était un rêve mais je ne pensais pas que ça arriverait parce que je ne m’étais jamais dit que Woody Allen tournerait un jour un film en France et en français. Mon imaginaire ne s’était jamais évadé à cet endroit-là ! J’ai grandi avec son cinéma, donc faire un film avec Woody Allen, c’est entrer dans mes souvenirs de cinéma. »

Niels Schneider : « Je n’aurais jamais imaginé tourner dans un de ses premiers 300 films donc tourner dans ce qui est seulement son 50e , c’était miraculeux ! »

Melvil Poupaud : « C’était une grande chance. Ce qui m’a fait plaisir aussi, c’est d’imaginer que la France était capable d’accueillir des metteurs en scène comme Woody Allen et de leur permettre de faire des films. C’est tombé sur nous, c’était un peu miraculeux. »

Woody Allen : « Je pense que c’est moi qui ai eu de la chance, car je les ai sélectionnés depuis New York à partir d’une vidéo et ce sont eux qui ont vraiment fait le film. Et j’ai aussi une pensée pour Valérie Lemercier, qui a aussi joué à merveille. »

Parlez-nous de l’expérience de jeu sous la direction de Woody Allen.

Niels Schneider : « Il dirigeait comme un jazzman, j’ai eu l’impression qu’il dirigeait ses musiciens : plus grave, plus aigu, plus rapide… J’étais surtout très surpris car c’est l’un des plus grands auteurs du monde et il nous disait : "vous pouvez dire mes répliques, ou une partie de mes répliques, ou tout improviser, vous savez ce que les scènes racontent, je ne veux pas vous voir jouer". C’était bien d’avoir cette liberté d’improviser, mais je n’ai jamais vraiment osé le faire ! »

Lou de Laâge : « Il m’a dit : "tu réécris comme tu veux, si tu ne veux pas un costume, tu ne le mets pas, tu verras, ce sera le film le plus simple que tu auras à faire". Au départ, j’étais trop impressionnée pour le croire, mais je me rends compte qu’il avait raison : effectivement, c’est un des rares tournages que j’ai fini sans être épuisée ! »

Melvil Poupaud : « On nous avait dit, avant de commencer le tournage, que Woody ne parlait pas beaucoup aux acteurs, que ce n’était pas un metteur en scène qui entrait dans le détail et qui n’avait parfois besoin que d’une prise qui lui suffisait pour le montage. Mais on a eu quelqu’un d’assez volubile, qui nous dirigeait, qui parfois mimait les scènes – ce qui était impressionnant car c’est impossible de reproduire son style de jeu. On avait l’impression qu’il prenait plaisir à diriger des acteurs français et à être sur un tournage à Paris, comme si c’était une respiration de se retrouver en-dehors de son pays. Il y avait un moment de grâce, avec un auteur qui prenait plaisir à réaliser son film, sans aucune tension. »

Pourriez-vous étendre cette liberté à la participation de certains acteurs-musiciens à la BO ?

Woody Allen : « Non ! Les acteurs en qui j’ai confiance sont créatifs et ils ne me déçoivent jamais, mais je suis très consciencieux concernant la musique. On fait le montage et on met ensuite la musique, et si je n’aime pas, on enlève et on remplace. Pour la musique, je contrôle tout, comme un hélicoptère qui plane au-dessus du terrain. »

Quelle est l’influence de la musicalité sur la mise en scène ou la direction d’acteurs ?

Woody Allen : « Je ne suis pas conscient des rythmes dans mes dialogues ; si cela existe dans mes films, je l’apprends grâce à vous. En revanche, le choix des musiques est intentionnel. Dans ce film, j’ai essayé d’utiliser des musiques que j’avais entendues dans les films français qui ont eu une grande influence sur moi quand je les ai vus à New York, et ce n’est pas le type de jazz que j’ai l’habitude d’utiliser : c’était Miles Davis, le Modern Jazz Quartet… »

Melvil Poupaud : « On était très impatients de savoir quelle musique il allait choisir pour ce film. On était très surpris par ses choix, mais ça va très bien dans le sens du film : c’est rythmé, jazzy, un peu léger, et en même temps ça a une certaine profondeur. Un peu comme le film qui joue sur plusieurs tableaux : c’est à la fois une espèce de drame conjugal, un peu thriller mais aussi un peu vaudeville. Donc le choix de la musique va dans cette ambiguïté de ton. »

Parlez-nous de votre rapport à l’Europe.

Woody Allen : « Jeunes, nous [ndlr : les réalisateurs américains de sa génération] étions très influencés par le cinéma européen : italien, français, suédois... Tous les réalisateurs avec lesquels j’ai grandi voulaient être des réalisateurs européens ! On considérait l’Europe, et particulièrement Paris, comme très importants. Mes premiers films ont été très appréciés par les Français. Ce fut une très grande aide pour moi. »

Comment vous êtes-vous approprié Paris pour la filmer ?

Woody Allen : « New York et Paris sont très similaires : ce sont des villes excitantes, pleines de culture, de musique, de sites splendides… Paris est encore plus belle que New York, donc ce qu’on peut filmer à New York, on peut le faire aussi facilement à Paris. Les idées, les histoires, les gens, les ambitions, l’énergie sont plutôt les mêmes dans les deux villes. »

Lyon pourrait-elle vous inspirer ?

Woody Allen : « Je ne sais pas. La première fois que je suis venu, je n’ai passé que quelques heures et je suis reparti en avion, donc je n’ai pas eu l’opportunité de marcher dans la ville. Demain, j’ai du temps libre, j’aurai peut-être plus d’opportunité de visiter un peu Lyon. »

Ce film pourrait-il être votre dernier ? Quels sont vos projets ?

Woody Allen : « Je ne sais pas pour l’instant. Je suis tenté de dire qu’il s’agit peut-être de mon dernier film car c’est le cinquantième, c’est un joli nombre rond donc c’est peut-être le bon moment pour arrêter. D’un autre côté, si quelqu’un vient me voir avec l’envie de financer un autre film, il est difficile de dire non ! Mais je n’aime pas vraiment comment les choses évoluent actuellement : les films restent deux semaines au cinéma, puis passent vite à la télévision ou en streaming… L’excitation et le glamour ont un peu disparu. »

Et jouer dans les films d’autres réalisateurs ?

Woody Allen : « On ne m’a jamais vraiment demandé de jouer dans un film, même si c’est arrivé une ou deux fois. Si on m’offre un rôle substantiel ou stimulant, je serais d’accord. Sinon, je suis content de rester à la maison ! »

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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