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INTERVIEW

VA, VIS ET DEVIENS

Radu Mihaileanu

Il y a des rencontres qui marquent, celle avec Radu Mihaileanu en fait partie ! Un homme simple, modeste, intéressant et ouvert, nous raconte sa vision de la vie et de son film, avec sa sensibilité, sa poésie et ses idéaux. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, une question nous trotte à …

© Patrice RICOTTA

Il y a des rencontres qui marquent, celle avec Radu Mihaileanu en fait partie ! Un homme simple, modeste, intéressant et ouvert, nous raconte sa vision de la vie et de son film, avec sa sensibilité, sa poésie et ses idéaux. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, une question nous trotte à tous dans la tête : pourquoi avoir mis autant de temps pour faire un nouveau film ? « C’est difficile de sortir d’un sujet comme "Train de vie" et j’ai pas mal voyagé pour accompagner le film. Ensuite j’ai développé 2 projets, mais je n’en étais pas content donc je les ai abandonnés, et j’ai fait un téléfilm pour Arte (ndlr : "Les Pygmés de Carlo" en 2002).

Il y a 5 ans, j’ai rencontré la personne qui m’a inspiré mon film : son histoire m’a bouleversé, ça m’a fait chialer pendant une nuit entière ! Ensuite j’ai rencontré d’autres Ethiopiens en Israël et les acteurs de l’Opération Moïse… Mais peut-être aussi que je suis lent ! En tout cas je ne suis pas capable de faire un film tous les ans, j’ai besoin de temps pour vivre, de me nourrir de la vie et de l’histoire des autres ». L’histoire ou l’Histoire ? « Quand j’étais à l’école, je n’aimais pas quand on m’apprenait l’Histoire de manière abstraite. Je me demandais comment les gens vivaient. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les dictateurs mais les effets de leurs décisions, et comment la petite fourmi vit cette grande Histoire. Au niveau humain, on ne dresse pas autant de frontières : toutes les petites fourmis réunies peuvent tout faire ! »

Dans ce nouveau film, Mihaileanu voulait s’attaquer à une histoire contemporaine : « Au départ je croyais avoir écrit un film intime et contemporain, mais finalement il y a 3 époques avec beaucoup de détails différents : accessoires, coiffures, costumes… Il a fallu beaucoup de bricolage, retrouver d’anciens postes de télévision, etc. C’était très dur ! Heureusement que j’en étais inconscient sinon ça m’aurait peut-être fait peur ! Pourtant mon assistant me répétait tout le temps que "Train de vie" avait été encore plus dur à faire, mais je n’avais pas cette impression ».

Le réalisateur avoue ne pas avoir totalement pris conscience de l’ampleur de son projet : « Le premier montage durait 3h30 (ndlr : montage final 2h20) donc j’ai beaucoup coupé. Mon plus grand regret c’est d’avoir dû simplifier la relation entre Yohan et Mohav, qui était un symbole : leurs peuples sont pris en otage d’un conflit qui n’est pas le leur. De plus j’ai écrit un livre en même temps, la même histoire mais en roman ». Malgré le sujet, Mihaileanu a décidé de ne pas trop montrer la violence de ces évènements : « Ceux qui filment la guerre et qui disent qu’ils la dénoncent, ça paraît ambigu. Je trouve que les réalisateurs, souvent, prennent un plaisir immense à "faire la guerre". On fait semblant de dénoncer, mais on dit aux gosses que c’est excitant ! J’ai eu à le faire pendant un jour sur ce film et ça me donnait envie de vomir. »

D’un point de vue formel, on peut souligner l’importance du verbe, de la communication, dans l’œuvre de Radu : « Je suis séduit par l’idée – qui n’est peut-être pas vraie – que le monde peut tenir dans un mot, dans un œuf qui a été ouvert ! Donc le mot a un pouvoir… mais le mot peut être silence : le oui éthiopien est plus un souffle qu’un mot. Le mal au ventre en Ethiopie est un mal métaphysique car pour eux c’est le centre nerveux du monde. Ca a donné de nombreux quiproquos en Israël car ils cherchaient des problèmes physiques ! »

Autre "Mihaileanu’s touch", ce mélange d’humour et de tragédie : « C’est toujours un équilibre. J’ai une sorte d’horloge intérieure qui me dit que je ne peux pas aller plus loin. L’humour, c’est la seule arme que je peux tenir entre les mains pour lutter contre la guerre. C’est jouissif, spirituel ! J’adore aussi qu’on me baffe avec humour ! J’ai du mal à prendre les compliments, je ne sais pas quoi en faire, et je ne peux me défendre qu’avec des vannes ! Au départ c’est souvent une provocation mais c’est un appel à réponse, avec de la tendresse en même temps. L’humour c’est comprendre qu’on est imparfait et l’accepter. Le monde a toujours manqué d’humour. Au journal de 20h on ne montre que ce qui est affligeant : on devrait travailler plus autour du merveilleux, sans oublier le reste non plus. Aujourd’hui c’est paradoxal, les gens ont peur de communiquer à l’ère de l’hypercommunication ! »

On peut vite faire un parallèle entre l’histoire de ces Ethiopiens déracinés et l’histoire personnelle de Mihaileanu, dont la famille juive avait dû fuir la Roumanie de Ceausescu pour la France : « Je ne peux pas me raconter donc je raconte des petites scènes que je cache, que personne ne sait que j’ai vécues. Mais comparé à cette histoire, mon destin est un destin de luxe. Il y a des choses comparables à cause du déracinement mais ce n’était pas aussi tragique pour moi ».

Qui dit déracinement, dit recherche d’identité : « Le film parle et interroge sur cette notion d’identité. Je me bats à essayer de faire comprendre qu’une identité pure n’existe pas. On a tous 50 000 influences, 50 000 identités qui nous croisent… En fait je crois à la télépathie et je crois qu’on chope tout autour de soi ! On est tous d’une identité métissée. C’est une maladie du siècle : on a peur de l’autre point de vue. La musique l’a compris beaucoup plus facilement, elle s’est laissée pénétrer par plein de cultures. Pareil pour la nourriture. Donc goûtons à tout jusqu’au bout, jusqu’à plus soif, parce que la vie est courte !

Je compare souvent la vie à un autobus. Du jour où je suis rentré dans un autobus, je savais qu’il y avait un terminus donc je prie Dieu pour que plein de gens différents montent dans cet autobus, car entendre toujours les mêmes choses serait ennuyeux et le chemin paraîtrait long… et j’espère aussi que le terminus sera le plus loin possible ! » Pour Radu, il en est de même pour les religions : « J’écoute beaucoup, je pioche de partout. Je ne suis pas religieux et en tant que Juif je me suis intéressé à tout, du Bouddhisme au Taoïsme ! Le but politique de la religion ne m’intéresse pas. Quand la religion est dans la question et non dans l’affirmation, c’est intéressant. Dans le film, le Qès le dit bien à Schlomo : « ne répète pas, interprète ».

Chacun d’entre nous recrée le monde. Et le soi n’existe pas sans l’autre. Ceux qui rendent les phrases semblables pour tous sont en prison ! Les fanatiques se trouvent à la périphérie de la pensée. Ne polluons pas le mot religion : disons aux fondamentalistes, aux extrémistes, etc, qu’ils ne sont pas religieux ! » Radu est comme ça, c’est un idéaliste qui croit en l’être humain… puisse-t-il avoir raison !

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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