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INTERVIEW

À CORPS PERDUS

Sergio Castellitto

Réalisateur

Sergio Castellito admet qu’il a été évident pour lui de se donner le premier rôle de son film. Non pas qu’il n’apprécie pas de distinguer les deux fonctions, mais qu’il «n’aurait jamais donné un aussi beau rôle à quelqu’un d’autre ». Ce rôle, c’est un homme qui se confie, …

© Patrice Riccota

Sergio Castellito admet qu’il a été évident pour lui de se donner le premier rôle de son film. Non pas qu’il n’apprécie pas de distinguer les deux fonctions, mais qu’il «n’aurait jamais donné un aussi beau rôle à quelqu’un d’autre ». Ce rôle, c’est un homme qui se confie, qui raconte à sa fille, opérée, l’histoire de son grand amour, en espérant la sauver.

Dans le film Castellito les hommes n’ont pas le très beau rôle. Mais il s’agit surtout d’un portrait précis d’un homme un peu lâche certes, mais qui accepte cette guerre qu’est l’amour. En tant que chirurgien, il est surtout habitué à ouvrir les gens, à séparer le bien du mal, à toucher avec des gants. Dans le roman et le film, il doit apprendre à toucher directement. A la vision de son personnage, il trouve que l’on se sent démasqué en tant qu’homme. D’autant que c’est une femme qui l’a écrit : sa femme.

Il a eu envie de le mettre en images, car il trouve le matériel excellent et motivant. Il a d’abord travaillé au scénario seul, car sa femme voulait qu’il trouve seul la « direction » du film. Le premier montage faisait 3h30, et a été ensuite réduit à 2h00, en conservant la structure de l’histoire. Il ajoute n’avoir pas voulu utiliser la voix off pour le récit de l’histoire passée, car cela lui paraissait trop classique. Il a simplement préféré lui substituer l’apparition du fantôme d’Italia (Pénélope Cruz), une simple silhouette, dans la cour de l’hôpital.

Pénélope Cruz avait un personnage très fort, même si pas très présentable en société. Elle lui a donné une démarche particulière, très masculine, qu’elle n’a pas inventé. Le roman était en effet très précis sur l’émotionnel de chaque personnage. Italia, c’était un peu comme une « grenouille avec une jupe verte » qui se promène comme un chien le long d’un mur. C’est en tous cas l’indication qu’il lui a donnée, comme d’autres réalisateurs auraient pu dire un « clown oublié par un cirque ». Elle s’attend toujours à une gifle dans la vie.

En revenant sur son personnage à lui, il explique qu’il est attiré par cette femme, du fait de leurs caractères opposés. Quand il rentre dans sa maison à elle, il laisse du vide derrière lui. Bien sûr, il y a la violence du viol, mais pour filmer cette scène, il a pensé à deux chiens qui sentent, se lèchent, se qui donne un aspect sauvage à l’image. Sa vie à elle est une sorte de calvaire. Elle est sacrifiée à la vie de quelqu’un d’autre. Elle permet la rédemption de l’homme, qui a refusé « la guerre de l’amour ». Lui, a gardé la chaussure rouge, il a vécu avec, avec ce secret, et a attendu le bon moment pour l’enterrer.

Son film exprime une grande douleur, celle de tous les personnages, y compris de ceux qui ne sont pas des proches. Cela est différent de La chambre du fils (de Nani Moretti), où seule la douleur de l’homme était observée. Pour Castellito, l’art ne doit pas servir à punir. Il doit laisser une petite porte ouverte. D’où la fin, et la possibilité que sa fille survive à son accident. La musique, omniprésente, souligne la pensée des personnages. Il a travaillé avec un musicien espagnol qu’on lui avait recommandé, et qui avait déjà écrit Les lundi au soleil. Il voulait quelque chose de populaire, de lisible, et qui traduise le mélodrame en à peine 2 minutes. L’ajout de chansons de Leonard Cohen lui a a permis de faire comprendre les différences de temporalité passé / présent.

Il termine en nous rappelant que l’accueil fut chaleureux à Cannes, et que le film vient d’obtenir deux nominations aux Goyas (les césars espagnols). En Italie, il est sorti en mars, et a connu un gros succès. Le titre français lui convient. En italien c’était Ne bouge pas, et le bouquin français s’appelait Ecoute-moi, mais A corps perdus donne un sens assez juste au film. Aujourd’hui il a envie d’écrire une comédie, et nous laisse sur ces mots d’acteur européen, qui croit que l’Europe permet à la fois de monter des projets, en apportant de nouvelles sources d’argent, et des possibilités d’approches plus universelles.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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