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LES NUITS BLANCHES DU FACTEUR

Quand Konchalovsky égratigne, l'air de rien, le pouvoir russe

Aleksey Tryaptisyn est un facteur pas comme les autres. Lors de sa tournée, il dessert en bateau la petite communauté de villageois vivant autour du lac Kenozero. Et comme il connaît tout le monde, il s’arrête pour discuter chez les uns ou les autres. Mais un beau jour, il se fait voler son moteur…

Le réalisateur russe Andreï Konchalovsky (frère de Nikita Mikhalkov) a remporté l'an dernier le Lion d'argent du meilleur réalisateur au 71e Festival de Venise pour cet étrange film, très proche du documentaire, dont il dit lui-même avoir écrit le scénario au fil... du montage. Interprété par de réels habitants des lieux, quelques comédiens débutants et par l'actrice de théâtre Irina Ermolova, son nouveau film donne, en effet, la sensation d'être embarqué dans une visite guidée d'un lieu où l'on vit encore à l'ancienne, loin de tout ce que pourrait imaginer notre esprit occidental.

D'emblée placé comme un lien essentiel entre les gens de cette communauté, le facteur nous introduit les divers personnages qu'il croisera de manière récurrente : une petite vieille sourde, un ancien combattant, un gars imbibé, une femme plutôt rude, un gamin qui ramasse des patates... Autour de lui, et à travers des décors à la fois frappants de cohérence (les belles maisons de bois...) et faits d'apparent bricolage (les nappes aux motifs de photocopies d'énormes photos...), se dessinent non seulement un canevas de relations intimes, mais aussi le portrait d'une région marquée par l'isolement, la pauvreté et les dégâts de l'alcool.

À la fois politique, agité et bucolique à ses heures, le film offre de magnifiques prises de vues (à l'image des traversées en bateau...) et décrit une communauté à la traîne, qui souffre d'être malgré elle intégrée à un monde moderne (l'incompréhension face aux restrictions imposées en matière de pêche, complément de revenu indispensable aux pensions pour certains, etc.). Décrivant de manière subtile les conséquences du passage à l'économie de marché, Konchalovsky offre aussi une critique d'un pouvoir en place qui préfère mettre de l'argent dans l'armement ou la poursuite de la conquête spatiale, laissant tout une frange de la société à la traîne, certes riche de ses traditions, mais devant chaque jour composer pour survivre. Une œuvre politique et picturalement magnifique, posant discrètement la question du devenir de ces recoins abandonnés du monde et, avec eux, de l'identité même d'une certaine Russie.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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