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LEUR ALGÉRIE

Un film de Lina Soualem

À l’écoute du passé

Quand les grands-parents de Lina Soualem décident de se séparer après 62 ans de mariage, la jeune femme prend sa caméra pour les interroger sur leur vie, qui les a vu quitter leur Algérie natale pour s’installer en Auvergne. Les questions, comme les réponses, ne seront pas toujours faciles…

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Dans la famille Soualem, Zinedine, acteur, est évidemment notoire, particulièrement pour ses collaborations régulières avec Cédric Klapisch. On connaît moins les filles qu’il a eues avec l’actrice Hiam Abbass, Lina et Mouna, bien qu’on ait pu les apercevoir ensemble dans "Héritage", réalisé par leur mère, puis dans "Tu mérites un amour" de Hafsia Herzi. Les sœurs sont aux manettes de ce documentaire, Lina surtout, comme autrice complète (réalisation, écriture, prises de vue et de son), et Mouna plus discrètement comme assistante image et son. Il s’agit d’abord d’une démarche familiale, avec la volonté de comprendre ce qu’ont vécu leurs grands-parents paternels, Aïcha et Mabrouk, au moment où ces deux-là décident de se séparer, au crépuscule de leur vie.

Lina Soualem filme donc ses aïeux dans leur quotidien (ainsi que son père qui leur rend régulièrement visite) et leur pose des questions sur leur vie, leur couple, leurs rêves… Elle bouscule leurs habitudes et les tabous, car les deux n’ont pas l’habitude de parler ni de dévoiler leurs sentiments ou leurs états d’âme. Mabrouk est généralement avare de parole et ne se « lâche » vraiment qu’à la toute fin, quand il s’exprime en arabe et que l’on sent sa fierté envers cette petite-fille qui a effectué le voyage sur sa terre d’origine, en Algérie. Quant à Aïcha, elle est plus diserte mais son fils Zinedine résume bien les choses : « Dès que tu lui parles de choses sérieuses, ou elle dit "j’me souviens plus", ou elle rigole ! »

Le film est ainsi à l’image de ces deux principaux protagonistes : plein de pudeur et de dignité. Lina Soualem se fait la témoin de l’impossibilité de communiquer, comme une preuve qu’il faut souvent trois générations pour parler plus librement de l’immigration grâce à un mélange positif de recul, de curiosité et de quête identitaire. Notons au passage pour les rageux et rageuses d’extrême droite que l’identité est un concept complexe et riche que l’on ne saurait simplifier à quelques facteurs et qu’il est erroné d’en conclure que les identités divisent et séparent. Dans "Leur Algérie", on remarquera par exemple que Zinedine Soualem exprime à la fois une immense tendresse pour ses racines algériennes et un attachement profond pour la ville de Thiers, où il a grandi.

Au fil de ce double (voire triple) portrait familial, Lina Soualem tisse également un lien ténu entre histoire de l’immigration et mémoire ouvrière. Sans tomber dans le misérabilisme ni dans la béatitude, elle parle d’un déracinement jamais digéré et des difficultés d’intégration. En diversifiant les émotions (car il y a aussi beaucoup d’humour) et en s’attachant à des parcours singuliers, elle signe un long métrage plein d’humanité, à mille lieues des détestables visions clivantes que se partagent les extrémismes de tout poil.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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