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INSIDE

Un film de Bishal Dutta

Exotisme et convention à la sauce Tandoori

Samidha est une lycéenne indienne vivant dans une bourgade des Etats-Unis et qui essaye de s’intégrer autant à son école qu’à cette culture qu’elle ne connaît pas. Mais lorsque sa meilleure amie est malmenée par une force surnaturelle, Samidha décide de l’aider et ne s’imagine pas dans quel cauchemar elle s’est embarquée…

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Il est bon de se rappeler que le genre de l'épouvante ou de l'horreur se sont souvent retrouvés à enfiler un manteau couvert de questions sociétales voire politiques, avec des films comme "La nuit des fous vivants" de Georges A. Romero (1973) qui traitait de la guerre du Vietnam et de l'ingérence de l'armée américaine ou encore plus récemment et sur un autre credo "The Neon Demon" de Nicolas Winding Refn (2016) qui lançait une critique acide sur le monde de la mode et plus largement la superficialité de notre siècle. Nombreux sont les cinéastes qui utilisent le décor horrifique pour parler plus frontalement de notre société et de ses maux, et le film qui nous intéresse aujourd'hui a l'intelligence de vouloir ancrer son discours dans le réel.

Nous suivons ainsi la jeune Samidha évoluer dans une société occidentale qu'elle tente de comprendre. Très éloignée de sa culture indienne, renommée Sam afin de ne pas être vue que via ses origines, l'héroïne va alors se camoufler dans ce microcosme qu'est le lycée, quitte à perdre une partie d'elle-même. C'est ici le vrai gros point fort du film ; qu'on la voit s'épiler les avants-bras ou créer une distance à la maison avec une famille traditionnelle, le film touche juste et surtout s'attarde sur une problématique peu traitée dans l'horreur contemporaine. Car la vraie angoisse de notre jeune Samidha est de ne pas trouver sa place dans ce monde, tiraillée entre ses racines qu'elle affectionne et respecte, et cette société qui ne la voit donc pas comme une individue, mais comme faisant partie d'un tout différent. L'horreur, la vraie, elle est ici, dans cette non-acceptation de l'autre et le constat de jusqu'où l’on est prêt pour se faire accepter par un groupe, quitte à se perdre en chemin. La présence surnaturelle ne fera que renforcer ce cheminement, notre protagoniste devant au final choisir qui elle veut être.

L'exotisme qu'apporte la culture indienne à la narration ainsi que son entité apportent également un côté rafraîchissant. Entre le design de la créature et la mythologie qui l'entoure, c'est un tout nouveau monde qui s'offre à nous. Finis les fantômes aux cheveux noirs et scandaleusement longs ou autre nonnes désuètes, ici l'horreur est graphique et organique. Une mise en scène assez inspirée par moments, notamment dans les séquences de « rêves » baignées dans une lumière rougeâtre et dans la représentation de l'isolement de la jeune femme avec des cadrages qui épousent son point de vue, permet d'attirer notre attention quant à l'implication du réalisateur. Son sujet l'inspire et se retranscrit avec sincérité dans le traitement de son intrigue où le cynisme n'a pas sa place. La tension créée autour de cette force surnaturelle est également efficace et la bande sonore, toute en dissonance, apporte une touche inquiétante bienvenue, surtout grâce à un thème musical clairement établi, rappelant celui de "Les Griffes de la nuit" ("Nightmare on Elm Street") de Wes Craven.

Peu à peu le film devient ludique lorsqu'il joue avec l'invisibilité de son entité. Que ce soit un meurtre à l'aide d'une balançoire ou le questionnement de ce qui est réel ou pas, on éprouve un certain plaisir à fixer le cadre en essayant d'y déceler sa trace. Même si le film ne joue finalement pas assez sur ce procédé, on remarquera une séquence de toilettes avec la professeure de Sam particulièrement bien pensée au niveau des cadrages et du jeu de lumières, mais aussi le climax où l'on jette de la poussière pour distinguer la chose dans la pièce. Malheureusement lorsque la créature est réellement dévoilée, on a la désagréable sensation que le metteur en scène en herbe, Bishal Dutta, ne sait jamais trop comment la cadrer. En résultent des plans beaucoup trop serrés qui entraînent un manque de visibilité et un manque d'iconisation, histoire de nous marquer un peu la rétine. On remarquera l'utilisation de costumes et prothèses pour donner vie à cette monstruosité qui ne peut que nous réjouir, mais qui jure quelque peu avec les effets visuels utilisés pour les plans plus larges.

Malgré tout ces bons points, le film pêche par manque de rythme, malgré sa courte durée. L'utilisation de montage alterné n'est pas toujours bienvenue et casse indéniablement le rythme des séquences, ainsi que notre implication. Pas toujours très cohérent avec ce qu'il se passe à l'écran, on a plus l'impression qu'il est là pour mixer les scènes et gagner du temps. Peut-être une post-production compliquée avec un goût prononcé pour la coupe ? On n’en saura rien, mais n'empêche qu'entre les tunnels de dialogues qui rabâchent les mêmes choses (dommage, la relation mère-fille n'est pas assez travaillée) et les lieux communs, on sent que le jeune metteur en scène n'était pas totalement libre à la barre. Le film ne nous évite pas alors la recherche des origines de la chose qui tourmente l’héroïne, alourdissant encore plus le rythme et en retombant dans les écueils du genre avec remplissage explicatif. Tout d'un coup on se pose et on cherche à déchiffrer un vieux journal intime et des dessins sur les murs. Heureusement on évite l'énième recherche google (rien de pire en terme cinégétique) mais n'empêche que le film aurait gagner à plonger complètement dans les névroses de Sam plutôt que de chercher à expliquer l'inexplicable, surtout pour finalement atténuer complètement l'aura de la menace.

Retomber dans les travers du genre est une chose, mais avoir une morale douteuse en est une autre. Bishal Dutta a co-signé le scénario, signifiant au passage le côté personnel du film. Le problème est donc le suivant : bien que le point de départ (l’aspect social de l'intégration) soit mis en avant, le film change son fusil d'épaule à mi-parcours pour finir avec un regard caméra qui ne peut que nous questionner. [ATTENTION : Spoiler] Samidha finit par reconnecter avec sa mère et ce sur le terrain de la religion, et ensemble elles trouveront la force d'affronter cette épreuve. Mais une sensation gênante nous reste en tête au vu du plan de fin ; notre héroïne a-t-elle finalement trouvé sa place ? Coincée au début du métrage dans la superficialité pour être acceptée par les occidentaux de son lycée, elle se retrouve finalement à embrasser la spiritualité de sa culture et finalement se fondre dans la masse (on passe d'habits un peu courts à carrément la fille qui ne fait plus trop attention). Faut-il en déduire que cette épreuve a définitivement tué une partie d'elle ou que la survie se trouve dans l'effacement et le conformisme ? Le film n'étant pas clair sur la réponse, on se retrouve à se demander si on a vu une évolution de personnage ou bien une régression à une époque où les femmes faisaient mieux de s'habiller couvert et de bien respecter ce que papa et maman disaient. L'Inde n'étant pas connue pour être sur un créneau d'égalité progressiste homme-femme, on est en droit de se poser la question surtout avec un début de film qui nous met en avant une héroïne qui essaye de s'échapper des carcans de sa société. Et on se demande au final jusqu'où le message d'un auteur peut être déformé par l'image et l'interprétation de chacun ?

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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