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L'ÉTREINTE DU SERPENT

Un film de Ciro Guerra

Graphiquement sublime, un voyage au milieu des dégâts de l'évangélisation

Theodor von Martius, botaniste allemand, touché par une étrange maladie, est emmené au fin fond de la forêt vierge par l'ancien esclave dont il a payé la liberté. Ils croisent Karamakate, chamane qui leur conseille de trouver la Yakruna, une plante aux vertus guérisseuses, et qui se croit le dernier des survivants du peuple des Cohiuanos, . 40 ans plus tard, un ethnobotaniste américain, Evans part lui aussi à la recherche de cette espèce rare...

"L'étreinte du serpent", film quasi ethnographique inspiré des carnets de voyages de deux aventuriers allemand et américain du début du XXe siècle (Theodor Koch-Grünberg et Richard Evans Schultes), résonne étrangement aussi comme un film politique. Un film contre toute forme de colonisation, redonnant aux peuples disparus sous l'étreinte d'une civilisation occidentale et d'une religion, écrasant au passage langues et cultures, une dignité et une existence. Chacun pourra y voir des résonances dans les mouvements indépendantistes actuels ou dans les tentatives de dictatures religieuses en cours. Le réalisateur, lui, se contentera de dédié son film "aux peuples dont on ne connaîtra jamais les chansons".

Dans un sublime noir et blanc (aussi envahissant que le vert luxuriant de l'affiche), l'auteur déploie des trésors de paysages ensorcelants (jusqu'aux flancs d'un volcan aux impressionnantes falaises noires), de visions cauchemardesques (les corps momifiés cloués aux arbres tels des avertissements), montrant la folie qui guette le voyageur solitaire et les missionnaires ou enfants endoctrinés restés dans l'isolement. Faisant osciller ses personnages entre élans conquérants, dévoiements de la religion, agglomérats de croyances et superstitions, Ciro Guerra nous plonge dans un paradis vierge devenu enfer souillé par la présence de l'Homme.

Au cœur de son récit il y a ce survivant. Sorcier ou médecin, notre société actuelle ne saurait le classifier. Le tiraillement intérieur qui sous-tend son personnage, entre ouverture à l'autre et conscience du danger, entre désir de survie de sa culture et volonté de partage, se dessine progressivement au fil de parcours lascifs qui s'entremêlent avec intelligence à 40 années d'écart. Une fresque hors du temps, qui mérite une vision sur grand écran, comme pour mieux s'imprégner d'une folie humaine et d'un "progrès" qui fait toujours bien peu de cas des cultures. Un film passionnant, prix Art Cinema Award à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2015.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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