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ENYS MEN

Un film de Mark Jenkin

Folk horror, nouveau spécimen

Sur une île inhabitée des Cornouailles, une bénévole passionnée de vie sauvage se livre à des observations quotidiennes sur une fleur rare. Cette routine monotone, travaillée et ritualisée selon les mêmes gestes au quotidien, rencontre petit à petit des fissures et des dérèglements, comme si le temps se mettait lui-même à vriller…

Faut-il vraiment rattacher le deuxième long-métrage de Mark Jenkin ("Bait") au registre précieux de la folk horror ? Oui, si l’on considère que le genre consiste à s’imprégner des éléments naturels et des traditions mystiques pour mieux positionner un protagoniste dans un état irréversible de solution et d’isolement, propice à une douce et vénéneuse montée d’angoisse. Non, si l’on tient coûte que coûte à tisser un lien direct avec les deux classiques du genre, à savoir "The Wicker Man" de Robin Hardy et "Midsommar" d’Ari Aster. Point de terreur frontale ni de menace à l’horizon dans "Enys Men", juste la sensation que quelque chose ne tourne pas rond dans ce territoire insulaire des Cornouailles. Pas mal de signes, mais pas d’explication. Beaucoup d’enjeux fragmentés, mais pas de clarification. Du réel qui se manifeste dans sa plus frontale minéralité, mais aussi de l’incertitude qui s’y superpose de façon imperceptible – y aurait-il des légendes celtiques dans le fond caché de la chose ? Bref, une expérience de cinéma mixant le tellurique et le mystique, où le spectateur ne peut rien faire d’autre que se perdre dans une temporalité brouillée.

Tout repose d’entrée sur un schéma narratif ouvertement cyclique, qui enferme l’héroïne dans la monotonie au gré de ses actions quotidiennes. Arpenter les rochers, observer la même fleur, revenir vers son habitat, observer une imposante pierre levée vers le ciel, jeter un caillou au fond d’un trou profond… La répétition des mêmes cadres, des mêmes déplacements et du même motif musical a tôt fait de générer un effet d’hypnose. Et de facto, en guise de contrepoint, les signes progressifs d’un dérèglement de cette réalité quasi minutée sont ce qui fait naître un profond facteur d’angoisse. En cela, plus le récit avance, plus la temporalité du film (en quelle année sommes-nous ? et est-ce toujours la même ?) devient sujette à caution, plus l’inconscient tend à lézarder les repères les plus concrets. Un exemple frappant tient dans la façon qu’a Mark Jenkin de cadrer en très gros plan des entités végétales – il n’en faut pas plus pour qu’on finisse par y déceler des signes divers ou des formes inquiétantes. Le tempo sans cesse altéré de la bande-son, le caractère granuleux de la photo et le visage opaque de l’actrice Mary Woodvine soutiennent aussi ce parti pris visant à faire s’effondrer en sourdine les repères cartésiens. Il est certain qu’une expérience de cinéma sans clé de sortie ni grille de lecture prédéfinie en irritera plus d’un, mais elle constitue une curiosité singulière et tout à fait digne d’intérêt en ces temps de formatage incessant. Donnez-lui sa chance.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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