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ÉNORME

Un film de Sophie Letourneur

Déformation parentale

À la suite d’un voyage en avion durant lequel il fut témoin d’un accouchement en plein vol, Frédéric, 40 ans, veut tout à coup un bébé. Ce qui n’a jamais été le cas de sa femme Claire, pianiste de renommée internationale au planning surchargé. Un jour, il commet l’impardonnable en lui faisant un enfant dans le dos. C’est le début des problèmes…

Enorme film

D’entrée, on va laisser de côté ce mini-ramdam médiatique qui, la faute à une promo effectuée sur le plateau d’une émission télévisée (lamentable), aura fait d’ "Énorme" le nouvel objet de polémique à la mode. D’une part parce que l’entrave à l’IVG est clairement dévoilée dans le film en tant qu’acte grave (et non pas utilisée comme « message » revendicateur de quoi que ce soit), ensuite parce qu’il ne s’agit là que du point de départ d’une comédie assez hors normes, qui vise ailleurs. On n’en attendait pas moins de la part de Sophie Letourneur, surtout après une série de longs-métrages singuliers qui allaient du jubilatoire ("La vie au Ranch", "Gaby Baby Doll") au catastrophique ("Les Coquillettes"). Et ce n’est pas en embarquant avec elle deux stars bankable (Jonathan Cohen et Marina Fois, invités récurrents du Burger Quiz) que la jeune réalisatrice hexagonale allait adoucir son alliage récurrent de documentaire organisé et de fiction improvisée. Au contraire, elle l’amplifie avec un sens du burlesque qui, le plus souvent, tape dans le mille.

L’idée maîtresse du film – et par extension sa source principale de gags – provient de la déformation totale d’un couple plongé dans une situation de grossesse, dont la charge mentale est vécue par celui qui ne porte pas l’enfant dans son corps. Voici donc un Jonathan Cohen survolté dont le rôle pourrait se définir par « l’homme de l’ombre qui tire les ficelles de celle qui est dans la lumière » : il est ici le mari, l’agent, le confident, le garde du corps et le domestique de sa femme pianiste (Marina Fois), à qui il ne laisse que la possibilité d’une attitude passive. On imagine bien le choc de cette dernière lorsque son ventre se met à grossir de manière totalement surréaliste (comment faire du piano et gérer sa carrière avec ça ?), tandis que le mari, de plus en plus « enveloppé », s’enferme dans une attitude de primigeste teubé-gnangnan qui va tout seul aux cours de préparation à l’accouchement ! L’homme sentimental et la femme pragmatique, en gros ? Pas que. Pour que l’inversion des rôles tourne à plein régime, la réalisatrice joue avant tout sur le brouillage du documentaire et de la fiction. D’une part, des seconds couteaux fonctionnels (chaman et personnel médical) jouent ici leur propre rôle en improvisant leurs dialogues (cela les rend d’autant plus bizarres) ; d’autre part, le couple fictionnel se déséquilibre toujours plus à mesure que la grossesse avance (cela les rend d’autant plus justes). Elle construit ainsi un paradoxe gonflé qui aboutit de facto à une comédie ouvertement artificielle, avec, comme climax, un accouchement capturé dans toute sa crudité et que Letourneur rend ainsi moins évident que troublant.

Pour autant, en dépit d’une structure narrative très culottée, "Énorme" rate parfois le coche sur le versant de la mise en scène. Certes, comme pour "La vie au Ranch", le choix du format carré impose une ambiance claustrophobe qui laisse les acteurs – et leurs personnages – s’agiter dans le cadre qu’ils investissent et justifier ainsi leur propre utilité narrative. Mais pas sûr que ce film-là en avait besoin : on ne sent pas de réelle valeur ajoutée derrière ce choix de cadre, d’autant que le film aurait pu servir à merveille son sujet en jouant sur la multiplicité des formats d’image tout au long de la grossesse (cela aurait pu être assez drôle). Avec ce filmage terne qui laisse tout aux acteurs mais rien à l’image, le tout couplé au fait que la prédominance de l’esprit de groupe sur l’individu (matrice thématique des films de Sophie Letourneur) répond ici aux abonnés absents, "Énorme" fait montre d’un travail formel pour le coup totalement avorté. Au moins, la drôlerie de son duo vedette et le traitement couillu de son sujet suffisent à rendre cette comédie très recommandable.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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