Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

LE CAIRE CONFIDENTIEL

Un film de Tarik Saleh

Pas de justice possible ?

Noureddine est policier au Caire. En janvier 2011, peu de temps avant le déclenchement de la révolution égyptienne, il enquête sur le meurtre d’une jeune femme perpétré dans un hôtel de luxe. Les indices conduisent rapidement à un suspect. Problème : c’est un proche du président Moubarak…

Le réalisateur suédois Tarik Saleh ("Metropia") se tourne du côté de ses origines égyptiennes pour ce polar primé aux derniers festivals de Sundance et de Beaune. S’il reconstitue parfaitement l’atmosphère du Caire, son film n’a pourtant pas grand-chose d’égyptien. Produite par des sociétés suédoises, danoises et allemandes, tournée au Maroc, cette fiction fait appel à un équipe très internationale, avec par exemple le Français Pierre Aïm à la photo (qui propose une excellente ambiance de film noir), le Danois Theis Schmidt au montage ou le Suédois Krister Linder à la musique. À l’écran, c’est également très varié : outre le Libano-Suédois Fares Fares dans le rôle principal (acteur vu dans "Zero Dark Thirty", "Rogue One" ou "La Communauté"), on retrouve pêle-mêle le Franco-Tunisien Hichem Yacoubi (aperçu notamment dans "Un prophète" et "Timbuktu"), le Franco-Algérien Slimane Dazi (lui aussi vu dans "Un prophète", ainsi que dans "Only Lovers Left Alive" et "Rengaine"), l’Égyptien Yasser Ali Maher, ou encore les Sud-Soudanais Mari Malek (connue comme mannequin) et Ger Duany…

Le scénario de Tarik Saleh s’inspire (très librement) d’un vrai scandale : le meurtre, en 2008 à Dubaï, de la chanteuse libanaise Suzanne Tamim, pour lequel avait été condamné un proche d’Hosni Moubarak. À première vue, le héros du film n’en est pas vraiment un : un policier plutôt taciturne, imprégné de corruption comme tous ses collègues, sans doute plus par conformisme que par cupidité. Les circonstances et les fêlures implicites du personnage le conduisent pourtant à défier à la fois sa hiérarchie et le poids d’un système politico-judiciaire clientéliste et arbitraire pour faire la lumière sur une affaire très louche. Pris en tenaille entre des intérêts qui le dépassent et la confusion de ses propres sentiments, Noureddine se démène au milieu des fausses pistes, avec lesquelles Saleh jongle habilement. Si le spectateur est souvent omniscient, l’intérêt réside alors avant tout dans l’attachement progressif que l’on ressent pour le personnage et le suspense dépend surtout de la façon dont celui-ci va s’en sortir (ou non ?).

Mais "Le Caire confidentiel" n’est pas seulement un très bon polar : c’est aussi un regard acéré sur l’Égypte contemporaine. De façon tantôt nette tantôt discrète, Tarik Saleh n’épargne rien à propos du pays de ses parents : arrogance et cynisme des puissants, corruption généralisée, justice en trompe-l’œil, société moralement hypocrite (sexe, drogue, alcool), exploitation des immigrés soudanais, urbanisation chaotique, fracture numérique… Avec quelques touches d’humour grinçant, Saleh propose des personnages qui symbolisent quelques-unes de ces tares, comme le député qui se comporte comme un prince intouchable et hautain, le commissaire qui parle comme un entrepreneur cherchant à faire fructifier son affaire, ou le chauffeur de taxi capable de retourner sa veste quand il apprend que son client est un flic après avoir livré un discours ouvertement critique. Le film dresse ainsi le portrait d’une Égypte à l’agonie, le choix du Printemps arabe comme toile de fond s’avérant forcément pertinent, au point que cet événement historique finisse par éclipser les personnages dans les derniers plans. Comme une façon de montrer que le collectif a les capacités d’effacer les dominants ?

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire