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AZIZLER

Une comédie douce-amère et décalée sur la solitude et le deuil

Aziz ne va pas très bien : il ne sait plus où va son couple, son travail ne le motive plus, il n’a plus de logement à lui et doit subir la présence d’un neveu tyrannique… Pourtant, il fait croire qu’il va bien. Et il n’est pas le seul à afficher un tel masque…

Sortie le 8 janvier 2021 sur Netflix

Si vous êtes plutôt du genre à aimer les mélos turcs de type "7. Koğuştaki Mucize", ce nouveau film turc sur Netflix n’est pas forcément pour vous ! Il va vous falloir être à la fois du côté des fans des univers absurdes et décalés des Monty Python, de Wes Anderson ou de divers réalisateurs scandinaves, et dans le camp des amateurs des longs métrages plus métaphysiques du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan – on retrouve d’ailleurs ici Haluk Bilginer, l’acteur principal de "Winter Sleep", que l’on a également pu voir dans "L’Enquête" de Tom Tykwer. En plongeant dans "Azizler", il faut donc mettre au placard le goût du réalisme pur et activer les options métaphore et second degré de votre cerveau !

Déconcertant, d’un aspect incohérent, ce film des frères Taylan demande donc de lâcher prise et d’accepter cette impression de cadavre exquis qui découle de dialogues passant souvent du coq à l’âne. Il y a pourtant une logique dans ce désordre apparent, car "Azizler" explore les relations humaines sous un regard à la fois original et pertinent, montrant la difficulté d’afficher ses sentiments, par pudeur ou par peur du regard des autres. Le métrage nous parle ainsi de cette façade sociale que tout le monde (ou presque) adopte, de cet embarras vis-à-vis de notre for intérieur quand la pression sociale nous pousse à réussir et à être au top en toute circonstance.

Les situations absurdes révèlent le sentiment de solitude des personnages, qui sont régulièrement en décalage avec un réel dans lequel ils se sentent de moins en moins à leur place. Le jeu parfois burlesque donne quelquefois l’impression d’avoir affaire à un Buster Keaton transposé dans la Turquie contemporaine, tirant donc sur le côté clown triste au point de susciter des émotions contradictoires. On éprouve ainsi une vraie empathie pour les personnages (notamment celui de Haluk Bilginer, un veuf solitaire qui se sait à son tour condamné) tout en riant de bon cœur de répliques savoureuses et de séquences décalées (comme la séance chez le psy, ce dernier établissant un surprenant et hilarant diagnostic à propos du neveu d’Aziz).

"Azizler" n’en fait jamais trop dans la démonstration affective des protagonistes, laissant d’ailleurs une grande place à l’implicite et obligeant le public à interpréter certains actes (par exemple Alp est-il homo et attiré par Aziz, ou cherche-t-il seulement un ami ?).

La mise en scène est souvent ingénieuse, par exemple dans la façon dont il introduit le personnage de la défunte épouse via une photo affichée sur le frigo d’Erbil (ces scènes donnent lieu à d’excellentes répliques, parmi les meilleures du film). Notons aussi un très beau travail sur le son : la musique que l’on croit off mais qui s’avère in ; la réplique en boucle de Burcu qui sonne comme un disque rayé digne d’un sample électro ; la résonnance d’un coup cadencé et son prolongement dans le bruit d’un grille-pain lors du flashback sur la mort de Kamuran…

Terminons en expliquant l’ingénieux titre : le prénom Aziz, d’origine arabe, est aussi un adjectif, qui signifie à la fois « aimé », « cher », « saint » et « respecté », et le suffixe « -ler » est tout simplement la marque du pluriel en turc. Le titre du film ne concerne donc pas seulement le personnage principal mais tous les protagonistes, qui cherchent un sens à leur existence, qui espèrent être aimés et respectés tels qu’ils sont. Et d’une certaine façon, nous sommes toutes et tous des « Aziz » devant notre écran.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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ATTENTION : Bande-annonce non sous-titrée

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