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venise 2012 - Bilan

Heureux de voir Kim Ki-Duk revenu au monde du cinéma avec le troublant « Pieta » et de retrouver un cinéma américain exigeant au sommet du podium (« The Master » de Paul Thomas Anderson, triplement récompensé), le festivalier vénitien que je suis, peut jeter un œil en arrière sur cette édition 2012 pour en dresser les grandes tendances.Intégrisme et persécution

La religion était cette année au cœur de nombreuses productions, stigmatisant ses excès et l’influence négative qu’elle peut exercer sur les règles aux seins des sociétés.

En compétition, « Paradis : foi » fustigeait avec humour les pratiques religieuse d’une extrémiste, parcourant avec ferveur son appartement, à genoux, tout en se flagellant. Montrant la force de conviction de son personnage principal (elle fait du porte à porte avec des statues de la vierge dans son sac et s’incruste allégrement chez les gens, Ulrich Seidl en dénonçait les limites, remettant en cause ses principes de générosité et d’altruisme, lorsqu’elle doit faire face aux pulsions de son mari, immigré handicapé. De même, « The Master » de Paul Thomas Anderson, évoquait avec finesse la naissance d’un gourou (le créateur de la scientologie?), et son influence et emprise facile sur les plus faibles.

Mais la persécution dénoncée ici visait ici principalement les femmes. Dans « Wadjda », filma saoudien, une petite fille contrainte d’apprendre le Coran à l’école subit les foudres de sa professeur, lorsqu’elle démontre un intérêt soudain pour les textes à cause d’un concours qui lui permettrait de se payer un vélo, objet interdit à la femme. Une œuvre touchante qui tente de changer les regards, en utilisant celui des enfants. Étrangement, c’est aussi dans deux films de nationalités antagonistes, que la place de la femme, est discutée, et ce quasiment de la même manière. D’abord dans l’israélien « Fill the void », où une jeune femme tente un temps d’échapper aux traditions juives, et notamment à un mariage arrangé dans son milieu juif ultra orthodoxe, puis dans « Héritage », film palestinien signé Hiam Abbass, où une jeune fille ne parvient pas à assumer sa liaison avec un étudiant occidental, et subit diverses pressions de la part de sa famille.

Enfin, dernier film au titre évocateur, « Intégriste malgré lui », film d’ouverture signé Mira Nair, traite avec pesanteur de la persécution d’un supposé terroriste par les services secrets américains, dressant au passage un constat consternant des lendemains du 11 septembre et des conséquences de la stigmatisation des musulmans.Des œuvres politiques qui traitent du système économique et de la précarité

L’augmentation de la précarité et ses conséquences sur le monde du travail et la possibilité de la sortie d’un système qui n’enrichit que certains a également sous-tendu un certain nombre de scénarios.

Quelques films abordent tout d’abord la relation à la pauvreté et la difficulté de la regarder en face. C’est le cas par exemple de « Gebo et l’ombre » de Manuel de Oliveira, qui marque déjà un fossé entre riches et pauvres. Il en va de même de « L’homme qui rit » de Jean Pierre Améris, tiré de Victor Hugo, qui retrace la rébellion d’un pauvre exclus devenu riche, face à l’insensibilité des politiques à la cause d’un peuple affamé et exploité. Son visage défiguré renforce cette image d’un pauvre tenu à l’écart, qui n’intéresse que pour sa bizarrerie (ou plus tard son argent).

D’autres s’intéressent au mécanisme même de l’exclusion économique, retraçant par exemple pour « Eat sleep die », sorte de « Rosetta » nordique, la descente aux enfers d’une immigrée de l’est malmenée, qui se bat pour garder puis retrouver un travail, quitte à enfreindre les règles. La peur irrationnelle de l’exclusion s’exprime ainsi également dans « Crawl », prix Label Europa Cinema, dont le titre évoque à lui seule une image de survie en eaux troubles, en décrivant les galères d’un licencié dont la débrouillardise devient peu à peu magouilles.

C’est également ce qui arrive au héros de « At any price », film américain sur les limites entre l’esprit de compétitivité et la simple escroquerie, sur fond de conséquences des OGM sur la vie des territoires ruraux. Survivre demande certes de s’adapter, d’autant plus si les règles édictées sont en réalité pipées par ceux même qui les édictent. Les deux jeunes italiens qui se rencontrent presque par hasard, dans « Un giorno especial », en savent quelques choses, eux qui se démènent pour faire leur trou, dans une société où tout n’est que pistons et copinages. Une comédie inégale qui balance cependant quelques vérités.

« The company you keep », nouveau thriller signé Robert Redford (qui joue également dans le film) propose, lui, un regard sur d’anciens activistes des années 70, qui combattaient pourtant alors pour une bonne cause, et en profite pour interroger les limites à franchir ou non au nom d’une idéologie, mais aussi pour mettre le spectateur face à face avec ses capacités à s’engager aujourd’hui pour une cause. Cette capacité à ne pas perdre sa conscience politique, c’est finalement le déchirant film israélien « Epilogue », sur un couple vieillissant à la limite de la dépendance, dont le manque d’argent (ils ont des difficultés de s’approvisionner en médicaments et doivent accepter la charité…) se confronte à un abandon potentiel des idéaux égalitaires pour lesquels ils se sont bâti, à l’image d’une humiliation qui s’immisce leur intimité par le biais de services sociaux peu scrupuleux.Quelques mafieux

Dans la continuité de la précédente thématique, on notera également la présence à l’écran de quelques figures croustillantes de mafieux, que l’organisation actuelle d’un monde de plus en plus bipolaire, semble parfaitement arranger.

James Franco incarne un incroyable dealer rappeur aux dents en or dans le « Spring breakers » de Harmony Korine, embringuant derrière lui de jeunes adolescentes influençables. Le réalisateur en profite pour livrer une critique du superficiel et de l’argent facile, ainsi que des conséquences néfastes des médias et de l’absence d’autorité des parents.

Dans le film chinois « Lotus » c’est la corruption policière, voire de tout un système, qui est mise en avant, au travers d’une histoire de persécution dans une société où la femme seule est suspecte et où la libre pensée est toujours réprimée.

Enfin, dans « E stato il figglio » c’est la compromission de toute une famille de Sicile qui est montrée, dressant ainsi un portrait au vitriol de l’Italie, entre loi du silence et sacrifice immonde des plus faibles au profit des moins vertueux, ceux qui réussissent ou présentent une « façade » agréable et faussement respectable.Couple et adultère

Dernier thème dominant de cette édition 2013, l’adultère dans le couple a pris cette année plusieurs formes, de la vision simpliste du couple et du passage d’une femme à l’autre dans « To the wonder » de Terrence Malick, avec sa philosophie de comptoir, en passant par les souffrances de « Welcome home », où des retrouvailles dans le douleur d’un couple dont la femme était partie sans prévenir virent à l’affrontement torturé, en passant par la sombre histoire de paranoïa que semble conter le thriller hitchcockien « Betrayal », entre adultère fantasmé et histoire de vengeance indirecte.

Enfin, loin des clichés véhiculé par le pourtant drôle « Love is all you need » de Suzanne Bier, où le personnage du mari adultère est ridiculisé, après avoir sans vergogne, emmené sa maîtresse au mariage de sa fille, c’est finalement « Tango libre » de Frédéric Fonteyne qui aborde avec le sujet avec le plus de subtilité. Son portrait d’un triangle amoureux est percutant, posant au milieu des non-dits des adultes, un fils innocent, et exploitant avec justesse et poésie, une toile de fond située en prison.

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Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur