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Hallucinations Collectives 2012 - Bilan

Pour la cinquième édition des Hallucinations Collectives (ex-Étrange Festival de Lyon), les trublions cinéphiles de ZoneBis ont de nouveau envahi le cinéma Comoedia, pour six jours placés sous le signe de l’étrange, du bizarre, de l’anticonformiste. Avant-premières, invités prestigieux et rétrospectives audacieuses : décidément, la transgression a toujours du bon !

PALMARES :

Grand Prix Long Métrage : KILL LIST de Ben Wheatley
Grand Prix Court Métrage : A FUNCTION de Hyunsoo Lee

COMPETITION

Pour cette nouvelle édition, on pouvait compter sur pas moins de huit films en compétition, tous différents les uns des autres, et formant un beau panorama, très éclectique, de ce qu’est le cinéma de genre aujourd’hui. Passons rapidement sur les quatre films déjà vus à Gérardmer (l’émouvant drame norvégien "Babycall", le mauvais post-apocalyptique allemand "Hell", le subversif film à sketchs "The Theatre Bizarre" et le tétanisant et sombre "The Divide" du français Xavier Gens), pour nous attarder sur les quatre productions restantes.

Présenté lors de la soirée d’ouverture, le très attendu "The Raid" aura rapidement conquis son public. Film d’action ultra-violent au concept proche d’un jeu vidéo (des flics surarmés prennent d’assaut un immense building au sommet duquel se trouve un baron de la drogue), le second long-métrage, indonésien, du gallois Gareth Evans (venu présenter son film avec bonne humeur) vaut essentiellement pour son rythme éreintant et ses scènes de baston sauvages et inventives, dominées par l’époustouflant Iko Uwais, nouvelle star du cinéma d’action qui déménage. Un bon coup dans les gencives, pour un film appelé à devenir culte.

Autre nationalité, autre mœurs, le japonais Hitoshi Matsumoto était à l’honneur, avec la présentation de son étrange et barré "Scabbard Samourai" (alias « Saya Zamouraï »), relecture hilarante et définitivement hors-norme de la mythique figure du ronin. Une œuvre poétique et contemplative, qui fut suivie du précédent film de Matsumoto, le totalement fou "Big Man Japan" (alias « Dai Nippon Djin ») et son géant pourfendeur de monstres. La preuve qu’entre déférence aux genres cultes du cinéma japonais et absurdité revendiquée, Matsumoto n’a pas fini de nous surprendre.

Plus rentre-dedans, mais pas moins déjanté, l’agressif "Red State" du trublion Kevin Smith aura fait forte impression. Charge massive contre le fanatisme religieux et l’incompétence étatique, "Red State" renvoie dans les cordes ces deux institutions fondamentales (aux États-Unis, s’entend…) que sont l’Église et l’État, dans un grand défouloir jubilatoire n’épargnant rien ni personne. L’œuvre d’un cinéaste en colère, qui préfère la subversion et le cynisme à la soumission, et retrouve par là-même une liberté de ton bienvenue.

Enfin, last but not least, le mystérieux "Kill List" de l’anglais Ben Wheatley aura fait l’effet d’une bombe. Impossible de rester insensible devant un film osant (presque) tout, polar atmosphérique, non dénué d’humour, enfermant progressivement ses protagonistes dans une spirale cauchemardesque virant à l’horreur absolue. Difficile d’en dévoiler plus, tant "Kill List" ne ressemble à rien, mais en le récompensant, le jury aura su voir juste. Sans aucun doute le meilleur film du festival !

RETROSPECTIVES

Fidèle à son credo, l’équipe des Hallucinations Collectives a tenu à rendre hommage à un pays et à un homme : la Belgique et le sud-africain Richard Stanley.

Composée de quatre films très différents, la thématique « Belgique interdite » célébrait la poésie, la folie et l’amour de l’étrange de la part d'un pays dont la production ne ressemble définitivement à aucune autre. Adaptation un peu branque de Bukowski, le bien nommé "L’Amour est un chien de l’enfer" (a.k.a. "Crazy Love") déployait son spleen et sa bizarrerie dans un conte de l’intime aussi troublant que dérangeant. Bien plus bis, "Les Lèvres rouges" du besogneux Harry Kümel revisitait le mythe de la Comtesse Bathory en un surréalisme vampirique mâtiné d’érotisme vaporeux, malheureusement bien trop lent pour empêcher une certaine somnolence. Un écueil qu’évitait avec culot l’incroyable "Vase de noce" qui, sous couvert d’une atmosphère nauséeuse et d’un esthétisme dégueulasse, s’aventurait sur les terres de la romance zoophilique non-simulée, un fermier étant ici fortement amoureux de sa truie ! Une œuvre audacieuse, et totalement « autre », qui aura fait fuir une bonne partie des spectateurs non-avertis. Et on peut les comprendre. Premier film de Bouli Lanners, le très beau "Ultranova" faisait alors office de petite bouffée d’oxygène, chronique à la fois réaliste et poétique du quotidien d’une poignée de gens normaux coincés dans une vie normale. Un coup d’essai réussi, portant en lui les germes du futur "Eldorado".

Peu connu du grand public, Richard Stanley était présent en terres lyonnaises pour y présenter ses films. Un grand monsieur du fantastique, malheureusement trop rare, mais dont le talent incroyable pour la fable, qu’elle soit d’anticipation, métaphysique ou lovecraftienne, aura su combler les cinéphiles exigeants. Huis-clos futuriste décrivant l’affrontement entre une jolie artiste et un robot tueur, "Hardware" pousse dans leurs limites le système-d et le filmage à l’arraché, composant un tétanisant mélange de slasher mécanisé, de réflexions sur notre futur et d’émotions brutes. Réjouissant de bout en bout, mais loin du choc subi à la vision de l’extraordinaire "Dust Devil" (ou "Le Souffle du diable"), western hallucinatoire situé dans le désert de Namibie et décrivant la dérive meurtrière d’un tueur en série mystique échappé d’une légende urbaine bien véridique. Parfois proche du cinéma ésotérique de Jodorowsky (on pense beaucoup à "El Topo"), cet authentique film fou était présenté pour la première fois en France dans une version director’s cut prenant la forme d’un long trip cauchemardesque. Un chef-d’œuvre du genre, un vrai ! Absent des écrans depuis ce monument, Stanley faisait un retour remarqué avec le premier segment de l’omnibus "The Theatre Bizarre", le monstrueux "The Mother of Toads" et sa sorcière batracienne avide de sexe. En espérant revoir bientôt une réalisation de ce Maître…CURIOSITES ET VISIONS

« Cabinet de curiosité », c’est le nom d’une sélection de trois films, de tous genres et de horizons. Passons sur "La Belle et la Bête" de Juraj Herz, que nous n’avons pas vu, pour nous attarder un peu plus sur les deux autres. Film culte de Gaspar Noé (dont il s'est inspiré pour son "Seul contre tous") et œuvre phare du film de serial killer, l’angoissé "Schizophrenia" était présenté en version intégrale. Une heure et quinze minutes dans la tête d’un assassin fou et brouillon, qui plus que son sujet, vaut surtout pour son incroyable maîtrise formelle. Signé Gérald Kargl, le film est surtout l’œuvre du virtuose Zbigniew Rybczynski, chef opérateur de génie ayant imaginé toute une série de dispositifs formels aptes à retranscrire sa vision du personnage : caméra fixée par un harnais sur l’acteur, jeu de miroirs pour tromper les perspectives, plans-séquences incroyables… Un travail de dingue, qui est finalement le seul vrai intérêt de ce film plutôt anecdotique.

L’autre film de cette sélection se sera révélé d’un bien autre niveau. Récit érotico-pornographique d’une initiation à la douleur, le magnifique "The Image" du méconnu Radley Metzger assurait le quota « cul » d’un festival célèbre pour ses séances porno (dont l’hilarant "Dans la chaleur de Saint-Tropez" avec la magique Marilyn Jess). Ode à l’amour physique et au plaisir sous toutes ses formes, "The Image" subjugue par la beauté de ses plans, de son actrice principale (la ravissante Rebecca Brooke) et par l’audace de ses scènes érotiques, où douleur, humiliation et orgasme se conjuguent et se mêlent jusqu’au point de rupture. Un grand film, ni plus, ni moins.

Les autres sélections parallèles du festival présentaient chacune un film inédit, ou presque. Car la « Séance jeunesse » projetait le sublime "Le Fil de la vie" d’Anders R. Klarlund, merveilleux conte mythologique dont la plus grande réussite est d’avoir intégré son dispositif formel (un film de marionnettes dont les fils sont apparents) à son discours humaniste. Déjà projeté en séance de minuit à Gérardmer, le génial "The Incident" d’Alexandre Courtès proposait au public son lot de frayeurs et de tension, rappelant à qui veut bien l’entendre que l’ombre du grand John Carpenter ne cessera jamais de planer sur le meilleur du cinéma de genre. Un grand-huit réjouissant qu’on espère découvrir en salle dans l’année…

"The Oregonian", lui, ne sortira sans doute jamais en salles. Parce qu’entre film amateur sous influence de David Lynch et délire autiste horrifique, ce long métrage expérimental semble ne jamais savoir où il va. Peuplé de personnages inutiles coincés dans un récit sans queue ni tête, le film de Galvin Reeder masque son manque de moyens et de lucidité par une agressivité de tous les instants, musique stridente et acteurs hystériques à l’appui, ne pouvant qu’occasionner un sévère mal de crâne. Finalement, la seule vraie faute de goût d’un festival jusqu’ici exemplaire.

On terminera cette évocation des sections parallèles par la projection du très très (trop ?) attendu "Detention", présenté en clôture. Film-hommage aux années 90, le film de Joseph Kahn prend la forme d’un gigantesque mixeur de la contre/pop-culture, réjouissant dans ses débordements formels (une idée de mise en scène toutes les deux secondes, ça force un peu le respect !) mais malheureusement emprunt d’un cynisme malvenu et d’un trop plein de citations vite épuisant. Pas complètement raté du coup, les aspects les plus « portnawak » du film l’emportant souvent sur le reste, mais résolument vide et daté. Dommage.HALLUCINATIONS DICKIENNES

Terminons ce bilan par une évocation de la figure célébrée de l’écrivain Philip K. Dick : un concert de musique électro, une table-ronde, une lecture publique et une exposition, en l’honneur de l’auteur de "Blade Runner" et du Maître du haut château. Mais on retiendra surtout la projection du cultissime "Total Recall", maître étalon du blockbuster des années 90, et film d’action métaphysique virtuose. L’occasion unique de contempler un tel monument sur grand écran, d’autant que le film n’a rien perdu de sa verve et son efficacité, autant dues à la mise en scène agressive et lourde de sens d’un Paul Verhoeven qu’à l’abattage cabotin et amusé d’Arnold Schwarzenegger. À l’occasion d’une sympathique conférence, le sémillant Benjamin Cocquenet (du site Plan B) viendra nous rappeler à l’issue de la projection en quoi ce film fut si important à son époque.

Une vingtaine de films, quelques invités des plus intéressants (Richard Stanley, Xavier Gens, Jean-Pierre Bouyxou, Nicolas Boukhrief…) et la découverte d’un futur classique du genre horrifique ("Kill List", puisqu’il faut le citer !)… Voilà encore une édition des Hallucinations Collectives qui aura prouvé sa juste valeur. Comme on dit, vivement l’année prochaine !

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Frederic Wullschleger Envoyer un message au rédacteur