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ABUS DE BOUQUINS : Le Paris de Claude Sautet

Vingt années sont passées depuis la mort de Claude Sautet. La disparition récente de Michel Piccoli a évidemment refait parler de leurs collaborations et permis de rediffuser certains films. Mais le cinéaste reste d’actualité pour d’autres raisons : Studiocanal a sorti un coffret DVD de 8 films de Sautet en septembre 2020, Netflix va proposer plusieurs de ses longs métrages sur sa plateforme en janvier 2021, et les éditions Parigramme ont fait paraître, en septembre 2020 également, un magnifique ouvrage, "Le Paris de Claude Sautet" d’Hélène Rochette, que vous conseillons vivement.

Autant le dire tout de suite : relier Sautet et Paris est éminemment pertinent mais c’est aussi une sorte de prétexte, car le contenu de ce livre n’est pas toujours en lien direct avec la promesse du titre ! D’ailleurs le sous-titre, "Romy, Michel, Yves et les autres…", sous-entend dès la couverture qu’il va être question de bien d’autres aspects. Dans tous les cas, c’est une réussite : que les différents chapitres parlent de Paris ou non, ils proposent tous un foisonnement enthousiasmant d’informations et d’analyses, le tout agrémenté d’une grande richesse illustrative que le grand format et la qualité d’impression mettent en valeur : photos de tournage, dessins, lettres…

© Parigramme (photo incluse : Claude Mathieu)

Chapitre 1 : « Enfant de Montrouge et piéton de Paris »

Le premier chapitre est biographique, ancrant Claude Sautet dans une géographie du vécu, le décrivant comme un cinéaste qui « n’a cessé d’osciller entre deux mondes », car « enfant de Montrouge, banlieusard de cœur, Parisien de profession ». Dès les premières pages, on comprend donc déjà qu’il faut comprendre « Paris » au sens large : le grand Paris, l’Île-de-France, la capitale et les territoires proches… Ce chapitre explore donc les origines et le parcours de Claude Sautet, en tissant ponctuellement un lien avec ses films. Hélène Rochette évoque les difficultés du réalisateur à déterminer clairement ses propres racines, entre banlieue et bourgeoisie, entre absence du père et convivialité des repas et réunions familiales ou amicales... L’autrice de l’ouvrage insiste sur l’importance de la notion de « tribu » dans la vie et l’œuvre de Sautet et, au fil des pages, « se dessinent les contours de la géographie de l’enfance » du cinéaste.

Puis l’ouvrage décrit l’évolution progressive et parfois chaotique d’un jeune homme qui se cherche et tâtonne un peu. Si ses années de pensionnat chrétien provoquent une « perte irrémédiable de la foi », elles signent aussi, grâce à sa découverte de Bach et du chant choral, le début d’une ouverture aux autres, enclenchant son futur cinéma polyphonique mais aussi une inclinaison pour « les bienfaits du travail de groupe ». Par la suite, il semble s’intéresser à tout : littérature, arts déco, sculpture, jazz… Ses premières expériences dans le cinéma ne sont pas toujours concluantes : alors qu’il est reçu à l’IDHEC, l’école nationale alors toute récente (qui a ensuite fusionné avec La Femis en 1988), il est déçu par le contenu de l’enseignement (trop théorique et oubliant les films noirs et westerns qu’il aimait tant), au point qu’il quitte cette formation pourtant prestigieuse au terme de sa première année. Le chapitre montre alors sa difficile entrée dans la vie active, notant que c’est à cette époque qu’il s’installe durablement dans le sud de Paris.

Chapitre 2 : « Une image éternelle de la capitale »

Cette deuxième partie, sans doute la plus cohérente avec le titre de l’ouvrage, propose une visite très détaillée des lieux filmés par Claude Sautet. Plus qu’un simple catalogue, le texte analyse la façon dont ces lieux sont abordés par le cinéaste. Hélène Rochette insiste dès la première phrase sur un aspect essentiel de ses longs métrages : « Le cinéma de Claude Sautet demeure à jamais celui des cafés aux vitres embuées et des petites brasseries de Paris ». L’autrice nous présente donc la manière dont l’œuvre du cinéaste crée avant tout un « Paris intime », où les intérieurs priment souvent sur les espaces publics, ses films s’avérant « étonnamment dénués de repères géographiques ». Mais elle note aussi sa capacité à décrire une « ville en mutation », sa vision permettant « d’embrasser les conséquences de la modernisation à échelle humaine » en « orient[ant] son regard vers les habitants plutôt que vers les palissades de chantier ».

Chapitre 3 : « Banlieue rêvée, banlieue habitée »

Si les deux chapitres précédents restent grandement focalisés sur la capitale, cette troisième partie élargit la géographie et détaille la façon dont Sautet « n’a cessé d’arpenter les banlieues limitrophes de Paris ». Cet heureux développement extra-muros permet de mieux analyser la place de l’évolution de l’urbanisation dans les films de Claude Sautet, ainsi que l’importance du contexte des Trente Glorieuses.

© AMLF

Chapitre 4 : « La Parisienne, libre et audacieuse »

Soyons franc : ce titre mettant en avant la « Parisienne » a quelque chose d’artificiel qui ne rend pas justice au contenu de ce chapitre : le lien avec Paris est quasi inexistant mais cette partie s’avère l’une des plus passionnantes de l’ouvrage. En fait, il s’agit pour l’autrice de revenir sur la place des personnages féminins dans les films de Sautet, ses héroïnes étant qualifiées dès la première phrase d’« indépendantes, altières, farouches et libres ». Hélène Rochette démontre ainsi que, malgré certaines apparences qui pourraient faire croire que le cinéma de Sautet est masculin voire masculino-centré, beaucoup de ses films sont en fait ancrés « dans une ère d’affirmation des droits des femmes », le réalisateur ayant été « attentif aux premiers indices d’émancipation féministe » et s’étant « visiblement amusé à peindre une autorité masculine en train de vaciller ». Le présentant comme un « cinéaste sensibilisé très tôt à la condition féminine », l’autrice rend ainsi un hommage juste et pertinent à son œuvre, insistant notamment sur la modernité de son film "Une histoire simple", qui aborde l’avortement, sur sa collaboration régulière avec Romy Schneider (agrémentée de reproductions de messages manuscrits de l’actrice) ou encore sur des parallèles avec les films d’Ingmar Bergman et de John Cassavetes.

Chapitre 5 : « La voiture, instrument moderne du destin »

C’est confirmé : on a oublié Paris ! Mais peu importe, car ce chapitre permet d’aborder le cinéma de Sautet sous un angle particulier et pertinent. L’autrice nous dit ainsi que le réalisateur a entretenu une « sorte de passion contrariée » avec les voitures. Il est décrit comme étant lui-même un « conducteur impavide » qui, bien que n’ayant « pas été caressé par l’aile de la mort au volant », n’a pas moins multiplié les écarts, y compris l’état d’ivresse au volant, au point de « transmettre ses travers à ses personnages des écrans, comme une impulsivité routière ! » Omniprésente dans l’œuvre de Claude Sautet, l’automobile devient une métaphore de la modernité mais aussi celle du danger et de la fragilité de la vie. Le chapitre revient évidemment en grande partie sur l’accident au cœur de son film "Les Choses de la vie", « filmé par le menu et chorégraphié comme un ballet ». Le texte d’Hélène Rochette décortique ainsi la façon dont cette scène mythique a été conçue, mais n’en reste pas là, analysant également la place de la voiture dans d’autres films, comme "César et Rosalie", "Mado", "Une histoire simple" ou "Vincent, François, Paul… et les autres".

© Lira Films-Fida Cinematografica / CFDC-Sirius-UGC-Pathé

Chapitre 6 : « La culture américaine du plus parisien des cinéastes »

Cet ultime pas de côté montre comment Claude Sautet a su intégrer ses influences américaines à son cinéma pourtant bien ancré en France et plus particulièrement à Paris. Commençant par des propos élogieux de François Truffaut, ce chapitre détaille ainsi « sa capacité à s’approprier et à revisiter les grands mythes et les procédés imposés par les légendes hollywoodiennes ». Ainsi, "Classe tous risques" mélange polar, road-movie et film de gangsters.

À première vue, on n’aurait peut-être pas l’idée de comparer les films de Sautet aux westerns américains. Ce chapitre prouve qu’on aurait tort de ne pas faire un tel parallèle, expliquant par exemple que l’accident des "Choses de la vie" a bien quelque chose de westernien, de même que les séquences de pluie dans des films comme "Un cœur en hiver" ou "Vincent, François, Paul… et les autres". Plus largement, l’influence américaine se ressent chez Sautet à travers « le traitement de la gestuelle et des postures de ses comédiens » et dans la volonté de trouver « une harmonie narrative et visuelle ». Ce chapitre souligne également l’influence du jazz : « Passionné par le rythme et le contrepoint, Claude Sautet utilise ses réflexes de mélomane pour tonifier la construction et les crescendos de ses films ».

Mais aussi de nombreux encarts

De nombreux encarts de taille variable (de quelques lignes à la double page) sont disséminés au fil des pages. Si l’on peut regretter qu’ils ne soient pas répertoriés dans le sommaire pour mieux les retrouver, ils sont heureusement faciles à repérer en feuilletant l’ouvrage grâce au fond rosacé qui les caractérise. Ces insertions proposent des entretiens inédits avec diverses connaissances de Sautet (Jean-Claude Carrière, Brigitte Fossey, Myriam Boyer, Arlette Bonnard, Sandrine Bonnaire, Bernard Le Coq) et des focus sur des sujets variés. Notons par exemple une présentation de l’écrivain Claude Néron ; le travail méconnu (et parfois assez secret) de Sautet comme consultant « occulte » sur de nombreux scénarios du cinéma français (la liste est impressionnante et dit beaucoup de l’aura du cinéaste !) ; une comparaison entre "Max et les Ferrailleurs" et "Le Chat" de Pierre Granier-Deferre (tous deux sortis en 1971) ; des anecdotes sur les tournages de "Mado" et "Vincent, François, Paul… et les autres" ; une présentation de la « vraie Mado » qui a inspiré ce personnage ; les cours de conduite de Romy Schneider pour "Les Choses de la vie" ; et pour clore l’ouvrage, un retour sur le match de boxe de "Vincent, François, Paul… et les autres".

Informations

Références bibliographiques : Hélène Rochette, "Le Paris de Claude Sautet – Romy, Michel, Yves et les autres…", éditions Parigramme, 2020

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur