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INTERVIEW

HOLY LANDS

Amanda Sthers

réalisatrice, scénariste et romancière

A l’occasion de la sortie de son film Holy Lands, Amanda Sters répond aux questions de quelques journalistes lyonnais.

Entretien Rencontre Conférence Holy Lands affiche
© StudioCanal

On dit souvent qu’un film a trois vies, une à l’écriture, une au tournage et une au montage, le vôtre est adapté d’un de vos romans, est-ce que vous aviez déjà pensé à la réalisation dès l’écriture ?

AS : À l’écriture du livre je ne pensais même pas qu’il y aurait un film. Quand j’écris un roman j’écris vraiment pour faire autre chose. Mais tout de suite, beaucoup de gens ont voulu s’en emparer. Moi, je ne voyais pas de film. Il a fallu un peu de temps dans ma tête pour que ça se débloque et que je puisse en faire un scénario. Je n’ai pas écrit le scénario pour moi, puis le temps et le hasard ont fait que, à l’époque, le film ne s’est pas fait, et ce hasard, que je pensais malheureux ne l’était en fait pas, puisque j’ai eu la chance de m’en emparer. Au montage, j’ai eu la chance de travailler avec la talentueuse Nadia Ben Rachid, qui avait travaillé sur "Timbuktu", nommé aux Oscars. On a assez rapidement trouvé notre direction alors que l’on peut avoir l’impression que c’est un film hyper compliqué à monter. Finalement, c’était assez clair pour toutes les deux, on avait la même vision.

Y-a-t-il eu une part d’improvisation pendant le tournage ?

AS : Il y a toujours des petits moments de magie, mais les parts d’improvisation c’est pour les tournages où l’on a les moyens de le faire. Moi, il me fallait un certain nombre de choses par jour et quand par miracle il me restait une demi-heure à la fin de la journée, je laissais les comédiens s’amuser, mais sinon non. Autant dans mon film précédent j’en ai eu, notamment pour les scènes à table, autant là, il y a eu très peu d’impro.

Est-ce que tourner aux États-Unis pour vous, avec des acteurs américains, a été une difficulté supplémentaire, par rapport aux conditions de tournage qui n’étaient peut-être déjà pas faciles ?

AS : En fait j’adore tourner là-bas. Mon film précédent était déjà en anglais. La langue n’est pas une difficulté, j’ai un petit accent, et j’ai écrit le scénario en anglais. C’est davantage sur les références qu'il peut y avoir des difficultés. Parce que parfois quand on parle à un acteur et qu’on veut être sûr qu’il comprenne vraiment ce qu’on lui dit, on n’a pas toujours les mêmes références culturelles.

Vous avez tourné en Israël. Est-ce que votre vision d’Israël a changé après ce tournage ?

AS : Ma vision d’Israël en soit non, je connaissais déjà le pays, mais disons que j’ai compris à quel point, il était difficile que les gens s’accordent là-bas et en même temps à quel point ce pays est exemplaire sur d’autres aspects qui ne sont jamais montrés. Je pense que ce serait bien, pour le reste du monde, que l’on montre que les trois religions arrivent à vivre assez paisiblement là-bas. Je pense que personne n’imagine qu’il y a un appel à la prière du Muezzin cinq fois par jour alors qu’il y a des juifs et des catholiques qui marchent dans la rue et ça ne dérange personne. Je pense qu’on a vraiment cette image de l’Israël avec d’un côté les juifs et de l’autre, les Palestiniens et les musulmans. J’espère que mon film donne un peu ce sentiment au travers de cette petite histoire de famille qui raconte la grande histoire qui dit "peut-être que, si on arrive à regarder le monde au travers des yeux de l’autre, on arrivera peut-être à trouver une vérité, car peu importe le point de vue qu’on adopte, chacun a raison". C’est ce que je voulais montrer dans la scène du mur. Les Palestiniens sont humiliés, avec la frontière, c’est extrêmement dur pour eux d’aller travailler, d’aller et venir tous les jours. Mais on est sur des questions éternelles pour savoir qui était là le premier. C’est hyper complexe parce qu’il n’y a pas de vérité. La seule vérité, c’est l’empathie et on n'y est pas.

Au générique, on voit que Judas, le petit cochon, se porte bien, et on se rend compte que ce type d’élevage existe vraiment en Israël.

AS : Oui, j’ai lu que ça existait. Je trouvais ça drôle que dans ce pays, les juifs et les musulmans aient réussi à se mettre d’accord sur ce petit animal rose. Mais pour leur élevage, il y a de vraies réglementations : ils sont vraiment élevés sur des planchers ! C’est très à la mode de manger du bacon dans les restaurants de Tel Aviv, c’est quand même un pays de libertés et de transgressions. J’ai visité les deux seuls élevages du pays. Ils sont vraiment cachés, on a dû prendre rendez-vous pour y aller, on ne pouvait pas filmer à l’intérieur à cause des extrémistes de tout bord qui n'en voulaient pas. Notre ferme a été recréée, c’est beaucoup plus mignon que la réalité. Ça a été très dur de tourner avec des cochons et parce que nous nous y étions attaché, il était hors de question de faire du bacon avec ceux que nous avions acheté. A un moment, puisque le film est distribué par Studio Canal, j’ai appelé Vincent Boloré en lui disant : « Monsieur Boloré, il paraît que vous avez une île en Bretagne, est-ce que vous accepteriez d’accueillir 12 cochons ? ». Il était prêt à les prendre mais finalement, on a trouvé une ferme en Israël, la Ferme du Bonheur, qui les a recueillis.

Cet élevage est intéressant, car il porte à la fois de l’humour et du drame alors qu’au départ, on ne se dit pas du tout que ça va permettre tout ça.

AS : Et en même temps c’est une idée un peu western : un type vient faire quelque chose d’interdit et provoquer avec ses cochons. Je disais à James Caan : « Joue-le comme un western, pense-le comme un western. » Et il y a ce truc du type qui dit : « Je vous attends, venez me chercher » et forcément, c’est assez comique, car il est avec ce petit animal qui est aussi un symbole pour les enfants au travers des contes et de fables. Je trouvais que dans l’antinomie, dans l’image, il y avait quelque chose qui prêtait à la comédie de façon évidente.

James Caan s’est bien entendu bien avec les cochons ?

AS : C’était très dur car un cochon ça ne se dresse pas ! Ils poussent des cris horribles. On était tous les mains sur les oreilles et ils peuvent vraiment flipper. Il était vite en panique. La scène du lit était la première qu’on a tourné. Les musulmans et les juifs de l’équipe ne voulaient pas le toucher, c’est nous autres qui devions le poser sur le lit mais il gigotait dans tous les sens, et avec ses petits sabots coupant c’était compliqué ! Une fois sur le lit, on a tous attendu en silence et le cochon s’est approché de James, c’était un peu de l’impro, il s’est mis à le renifler. Au final James n’a pas eu peur, il a été super. Mais il ne voulait plus refaire les scènes !

Comment vous avez casté Tom Hollander ? Le courant est-il bien passé entre James Caan et lui ?

AS : J’avais vu Tom dans une pièce de théâtre à Londres et j’ai été bluffé par l’acteur. Je n’y ai pas pensé tout de suite, je me suis souvenu de lui plus tard. Concernant leur rapport, je pense qu’il n’y a rien de mieux pour devenir ami, que de ne pas s’entendre avec quelqu’un d’intelligent. Parce que l’argumentaire en face donne à réfléchir. Être avec des gens intelligents, c’est plus intéressant que d’être avec des gens qui nous disent ce que l’on veut entendre. Pour ce qui est de leur entente dans la vie, ils ont fini par bien s’entendre, mais ça a été complexe au départ parce qu’ils ont des jeux complètement différents. Tom, c’est un acteur shakespearien, de théâtre, qui connaît son texte par cœur et qui peut refaire cinq fois la même prise, sauf si je lui demande de changer telle ou telle chose, c’est un acteur très précis. James, c’est un des premiers de l’acteur studio, avec une envie d’apprendre son texte à la dernière minute, qui fait des propositions complètement différentes à chaque fois, donc c’est compliqué pour l’acteur en face, car il peut jouer la même scène de façon différente trois ou quatre fois. Tom parle avec une voix hyper posée quand James, lui, gueule.

Comment avez-vous eu l’idée de faire travailler Rosanna Arquette que l’on ne voit quasiment plus ?

AS : Rosanna devait travailler avec moi sur un autre projet mais ça ne s’est pas fait. J’ai toujours rêvé de travailler avec elle. C’est quelqu’un qui m’a fait rêver quand j’étais petite, elle fait partie de ma découverte du cinéma et de plein de chocs cinématographiques. Elle ne travaillait plus parce qu’elle faisait partie de celles qui avaient dénoncé l’affaire Weinstein, et elle s’était arrêtée de travailler quand elle avait refusé ses avances. C’était étonnant qu’une femme aussi talentueuse, belle et solaire ait stoppé sa carrière. Elle est très contente que ça reprenne. Elle a été la première à me dire oui.

C’était encore plus plaisant pour elle de travailler avec une femme ?

AS : Je ne sais pas. Je n’ai pas cette obsession et je pense que la plupart des femmes non plus. On a juste envie de faire des films de qualité, que l’on soit une femme ou un homme. Ce qui serait agréable ce serait juste d’être jugée pareil sans suspicion au départ. Quand je vois un beau projet, je ne vois pas le sexe de la personne derrière. Doit-on passer par une forme de parité pour donner davantage la parole aux femmes ? Sans obligation ce serait mieux. On voit en tout cas qu’il y a plein de réalisatrices qui émergent.

Pour qui aviez-vous écrit le scénario à la base ?

AS : C’était pour une réalisatrice, Louise Archambault, une canadienne qui est très talentueuse, qui a fait un film qui s’appelle "Gabrielle" qui avait représenté le Canada aux Oscars, sur des adolescents handicapés mentaux qui tombent amoureux et dont on se demande s’ils ont le droit de faire l’amour et de vivre une vraie histoire. C’est un très joli film. Et puis ils ont eu du mal à monter le projet. J’espère travailler un jour avec Louise.

Votre gestion des voix off et des lettres a été pensée dès l’écriture ?

AS : Oui. Je voulais retirer le maximum de lettres pour qu’on sente bien qu’on est dans un film et que ce n’est pas le calque du livre, à l’exception de la dernière lettre qui était indispensable. Le fait de mélanger la lettre de la mère et du père s’est opéré au montage. J’avais cette idée un peu en tournant, mais ça s’est fait après. Généralement, j’ai du mal avec les voix-off qui racontent ce que l’on voit. Ici, on dit presque le contraire de ce que l’on voit et je pense que l’émotion naît de cette dichotomie. Contrairement à ce que l’on pense, une lettre, c’est vivant car comme on évolue, on ne relit pas comme avant et on ne comprend pas la même chose qu’auparavant. Je lis différemment les lettres que mes parents m’ont envoyées, maintenant que je suis mère. Je laisse plein de lettres à mes enfants.

En tant que romancière est-ce que vous trouvez que le film est fidèle au livre ?

AS : Je pense que l’on y retrouve les mêmes émotions et j’espère qu’il n'est pas trop fidèle parce que ce n’était pas l’idée. Je voulais prendre ce qui touchait et le restituer. L’important est que le film plaise. J’ai un autre de mes romans qui va être adapté par un cinéaste dont je ne veux pas savoir ce qu’il va en faire parce que sinon je ne lui laisserai pas le faire ! Mais à partir du moment où j’abandonne la maternité de mon œuvre, j’accepte qu’elle soit un support pour créer d’autres émotions.

Est-ce que votre méthode de travail est différente selon que vous écriviez une pièce de théâtre, un roman ou un film ?

AS : Ça n’a rien à voir. Pour un roman, on est seul avec un stylo et un papier et on est à égalité avec tous les autres romanciers du monde parce qu’il n’y a pas d’argent ni de temps de tournage en jeu. Sur un roman, retrouver cette liberté c’est très agréable, on peut mettre ce que l’on veut dans un livre. Un scénario, c’est un outil. Quand j'écris pour moi, j’écris des scènes que déjà je visualise. Quand j’écris pour un autre réalisateur, je suis à son service mais je lui laisse une grosse part d’imaginaire. Mes scénarios pour des réalisateurs sont très différents de ceux que j’écris pour moi. Pour le théâtre c’est encore autre chose, mais ce qui relit le tout c’est l’envie de raconter des histoires. On m’a longtemps reprocher ce touche-à-tout, mais je suis sincère, je fais ce métier parce que c’est ma passion, je ne fais pas semblant, j’ai vraiment envie de faire tout ça. Et je travaille beaucoup.

Thomas Chapelle Envoyer un message au rédacteur

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