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ZOOM SUR UN THÈME : ÉPIDÉMIES ET PANDÉMIES AU CINÉMA (PARTIE 1 : 1971-1998)

Avec la pandémie de Covid-19, nous vivons une situation hors du commun qui contraint les sociétés à se cloitrer alors qu’il n’y a pas de conflit armé. C’est déstabilisant, intrigant, angoissant… Mais si c’est inédit dans la vie réelle, la fiction pouvait nous permettre d’anticiper en partie ce que nous éprouvons ou de vivre par procuration certains aspects de notre quotidien actuel. Un certain nombre de films et de productions télévisuelles se sont en effet emparés de diverses épidémies et pandémies, réelles ou fictives. Scénarios réalistes ou fantastiques, fictions historiques ou d’anticipation, virus au sens strict ou allégories de virus… Il y en a pour à peu près tous les goûts ! L’équipe d’Abus de Ciné vous propose donc une sélection de films sur le thème, pour réfléchir autrement à ce qui nous arrive en cette période trouble.

Avant de nous plonger dans cette sélection, incitons tout le monde à aborder le sujet avec nuance et discernement : même si la fiction peut faire écho à une situation réelle, gardons-nous d’en tirer des conclusions délirantes, et rejetons donc les théories du complot et autres spéculations fumeuses guidées par des raisonnements fallacieux, paranoïaques ou malhonnêtes. Faisons donc la part des choses et ne mélangeons donc pas pleinement la fiction et la réalité ! La fiction reste avant tout un moyen de réflexion, ce n’est pas un reflet fidèle de la réalité, ni une prophétie, et encore moins une preuve quelconque ou un élément de justification de n’importe quelle hypothèse…

 

LE MYSTÈRE ANDROMÈDE (1971)
De Robert Wise
Avec Arthur Hill, David Wayne, James Olson, Kate Reid, Paula Kelly…
Voir le film en ligne : en VOD sur Google Play ou sur YouTube (VF seulement)

Le film de Robert Wise, adapté du roman de Michael Crichton "The Andromeda Strain" (1969 ; ou "La Variété Andromède" pour la VF publiée en 1970), s'intéresse surtout à la recherche scientifique qui entoure une épidémie. Ici tout l'enjeu du film repose sur la capacité d'une équipe de quatre scientifiques, emmenée par le Docteur Stone (Arthur Hill), à identifier ce qui est responsable de la mort de la quasi totalité de la population d'un petit village du Nouveau-Mexique, à comprendre le fonctionnement de l’épidémie et à trouver un remède, le tout en seulement quatre jours. On est ainsi témoins de tout une batterie de tests en tous genres permettant de cerner le profil du virus. Mais ici pas de pandémie à l'échelle mondiale : ce qui importe, c'est avant tout le sort des États-Unis. Ancré dans les années 70, le long-métrage possède aussi un petit côté complotiste avec une légère teinte de conquête spatiale (le crash d'un satellite étant l'élément déclencheur de l'épidémie). Malgré ce bémol, "Le Mystère Andromède" a une vertu majeure : il met les scientifiques sur le devant de la scène et tend à défendre la nécessité de leur travail et à prôner leur prise en compte comme base de décision pour les hommes politiques.

Kévin Gueydan

 

NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT (1984)
De Hayao Miyasaki
Avec les voix de Sumi Shimamoto, Gorō Naya, Yoshiko Sakakibara, Iemasa Kayumi, Ichiro Nagai…
Voir le film en ligne : sur Netflix (VF ou VOST)

© Studio Ghibli / Buena Vista International

"Nausicaä de la Vallée du Vent" a d’abord vu le jour sous forme de manga avant de devenir un des chefs d’œuvre du studio Ghibli. C’est une fable à la fois animiste et réaliste, perlée de grands moments de poésie. Le film se rattache à notre thème car l’ensemble des populations, que ce soient les rebelles de Pejite, les guerriers tolmèques, ou les braves villageois de la Vallée du Vent, sont toutes confinées et tentent de ne pas être contaminées par les miasmes toxiques de la Fukai, une forêt toxique dont les spores font pourrir sur leur passage aussi bien les cultures que les gens.

Dès lors, quelles sont les stratégies de chacun ? Les Tolmèques, ayant réussi à mettre la main sur les restes d’un mythique dieu guerrier trouvé dans les ruines de Pejite, entendent se servir de cette arme pour raser la forêt et ses habitants, et dans un même mouvement rassembler toutes les populations. Les habitants de Pejite, eux, se servent des insectes comme arme pour faire tomber les Tolmèques dans l’espoir de récupérer le guerrier et à leur tour raser la forêt. Les gens de la Vallée du Vent, fonctionnant en autarcie, sont très proches de la Fukai. Ils vivent en symbiose avec elle, sachant utiliser ce qu’elle leur donne, comme une carapace d’Omu pour fabriquer des outils, et la craignant également, acceptant que tous, tôt ou tard, vont être contaminés par elle.

Mais Nausicaä, princesse de la Vallée du Vent, perce le secret de la Fukai en cherchant un remède pour soigner son père. Elle découvre que les plantes de la Forêt ne sont pas en elles-mêmes toxiques. Elles le deviennent seulement car elles poussent sur un sol pollué. Au fil d’histoire, elle va découvrir un autre secret, une autre fonction fondamentale de la Fukai, dont la destruction causerait, outre la ruine de tout un écosystème, la destruction assurée de l’humanité. C’est en prenant des risques, en se dévouant, qu’elle parvient à sauver ses congénères, et aussi tous les autres peuples, de la colère d’une Terre qui n’a fait qu’envoyer des émissaires aveugles pour se protéger. Saviez-vous que l’un des effets secondaires du coronavirus est que notre planète est nettement moins polluée ?

Thomas Chapelle

 

THREADS (1984)
De Mick Jackson
Avec Karen Meagher, Reece Dinsdale, David Brierly, Rita May, Nicholas Lane…
Voir le film en ligne : aucune offre légale connue actuellement

Le phénomène de l’épidémie due à un virus est à rapprocher d’un autre phénomène : celui des catastrophes atomiques. Pensez aux effets d’une bombe H ou de l’explosion d’une centrale nucléaire. La radioactivité va se propager de façon plus ou moins invisible à des kilomètres à la ronde. La menace va se propager dans l’air, orientée par le souffle du vent, et infecter de très nombreuses personnes qui ne s’en apercevront qu’à retardement. Les autorités devront alors prendre des mesures sanitaires fortes, dont les populations ne comprendront pas immédiatement la nécessité. Il faudra s’adapter en urgence pour protéger ceux qui pourront encore l’être et désinfecter ce qui est contaminé. La série "Chernobyl" l’a récemment démontré de façon virtuose au monde entier. Mais bien avant celle-ci, un film s’en était chargé avec autant d’efficacité. Ce film est en réalité un téléfilm britannique stupéfiant : "Threads", de Mick Jackson, qui a été diffusé en 1984 sur la chaîne BBC.

« Dans nos sociétés urbaine, tout est interconnecté. Chaque personne en soutient d’autres. Nos vies sont liées comme les fibres d’un tissu, mais ces liens qui nous renforcent nous rendent aussi vulnérables. » En quelques mots introductifs, tout est dit et annoncé. "Threads" a pour projet de nous montrer les conséquences de l’explosion d’une bombe atomique au cœur d’une métropole occidentale moderne. Passé la terrible explosion, la ville est en ruine et les survivants doivent s’adapter. À partir de là, on entre dans une logique assez similaire à celle qui s’applique en cas d’épidémie : pour se protéger, ceux qui le peuvent s’équipent de masques et de combinaisons ; les hôpitaux sont surchargés, donc un tri doit être effectué entre les condamnés et ceux qui peuvent s’en sortir ; la nourriture est rationnée ; le confinement est imposé ; les pillages se multiplient…

Le film explore ensuite les conséquences de cette situation. La première nous intéresse particulièrement puisqu’il s’agit justement du développement d’épidémies. Ici ce sont rien de moins que le choléra, la dysenterie et la fièvre typhoïde qui sont évoqués. Puis des camps de détention sont mis en place pour empêcher les divers débordements. L’économie revient quant à elle à un stade moyenâgeux, tandis que les infrastructures sont inopérantes, privant ainsi les gens d’électricité, d’eau potable, de pétrole et de transport. Tout comme les effets d’un virus, les retombées radioactives peuvent se répercuter sur le long terme, augmentant ainsi le nombre de victimes.

"Threads" use d’un style proche du documentaire et il explore totalement son sujet dont il n’élude aucun des aspects les plus sensibles, nous plongeant dans un univers post-apocalyptique saisissant. Ce réalisme en fait probablement l’un des films les plus inquiétants de l’histoire.

David Chappat

 

LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS (1985)
De Dan O’Bannon
Avec Clu Gulager, Don Calfa, James Karen, Thom Matthews, Miguel A. Núñez Jr., Linnea Quigley…
Voir le film en ligne : aucune offre légale connue actuellement

Fantastico-réaliste, ce film de zombies raconte comment une entreprise de matériel médical, après une maladresse de l’armée et de ses employés, devient le berceau d’une épidémie de zombies. C’est un film loufoque, souvent comique, avec de très beaux maquillages, qui fait du zombie non plus un être dégénéré, une figure de l’autre incompréhensible et inexorable comme dans "La Nuit de morts-vivants", mais un être en souffrance, intelligent, qui mange des cerveaux pour apaiser la douleur de sa propre rigidité cadavérique.

L’épidémie se propage de plusieurs manières dans le film. La propagation aux vivants semble se faire par l’inhalation du gaz pris dans le container hermétique où était confiné un zombie. La propagation aux morts se fait, quant à elle, soit par ce gaz, soit par une pluie devenue toxique après que le dit cadavre a été brûlé.

Pendant toute une partie du film, l’épidémie reste très circonscrite, les autorités n’en ont donc pas conscience et, contrairement à la plus part des films de zombies, les gens dont le cerveau a été mangé ne se transforment pas en zombie mais meurent. Quand la police se rend compte de ce qui se passe, ils établissent une barrière autour de la zone, mais cette protection ne tient pas une minute face à la horde. Quand la nouvelle arrive aux oreilles de l’armée, ils sont très préparés. Ils « s’attendaient » à une telle manifestation. Ils ont donc une réponse toute trouvée. On vous laisse voir le film pour savoir laquelle !

Thomas Chapelle

 

LE HUSSARD SUR LE TOIT (1995)
De Jean-Paul Rappeneau
Avec Juliette Binoche, Olivier Martinez, Claudio Amendola, Isabelle Carré, François Cluzet, Jean Yanne, Pierre Arditi, Christiane Cohendy, Gérard Depardieu, Yoland Moreau, Daniel Russo…
Voir le film en ligne : en VOD sur Canal VOD, Orange ou FilmoTV

© AFMD / Carlotta Films

En 1995, fort du succès de "Cyrano de Bergerac", Jean-Paul Rappeneau adapte le classique de Jena Giono, "Le Hussard sur le toit". Située en 1832, l’intrigue suit un jeune général italien (Olivier Martinez), réfugié en France, qui tente de prévenir ses compatriotes de la venue d’Autrichiens tentant de les éliminer. Cette belle aventure épique, qui se double d’une histoire d’amour naissante avec l’épouse d’un médecin bien plus âgé qu’elle (Juliette Binoche), a pour fond l’épidémie de choléra qui toucha le Sud de la France. Et dès les premières scènes, alors que le hussard fuit Aix-en-Provence et ses poursuivants, la maladie est omniprésente, lors d’une halte de diligence avec un couple pris de convulsions, d’une étape en auberge où d’autres convives grelottent dans leur lit, ou d’une rencontre avec un médecin (François Cluzet), lui-même emporté par la maladie en quelques minutes. Choisissant de montrer les visages blafards, le manque d’oxygène, les spasmes des corps, Rappeneau fait de la maladie un danger permanent, ne cachant rien de la tentation de repli, depuis les dégâts de quarantaines collectives imposées aux voyageurs, jusqu’aux accusations paranoïaques d’empoisonneurs envers les étrangers. Un récit imprégné d’une bien crasse humanité, avec des manifestations déplorables de la peur de l’autre, qui peut faire écho à certains comportements contemporains.

Olivier Bachelard

 

L'ARMÉE DES 12 SINGES (1995)
De Terry Gilliam
Avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Brad Pitt, Christopher Plummer, David Morse, Jon Seda…
Voir le film en ligne : en VOD sur MyTF1 VOD, Canal VOD ou Orange (VF ou VOST)
Voir la série en ligne : sur Netflix (VF ou VOST)

C'est début 1996 qu'est sorti en France ce véritable chef d'œuvre du cinéma d'anticipation, signé Terry Gilliam (l'auteur de "Brazil"), au scénario inspiré de "La Jetée" de Chris Marker. En 2035, la population mondiale a été décimée à 99% par un virus, et le seul espoir des quelques milliers de survivants est d'envoyer dans le passé James Cole (interprété par l'un des acteurs en vogue de la décennie, Bruce Willis), à la recherche de l'origine de l'épidémie. Une enquête sous forme d'allers-retours supposés, qui projettera son héros dans un hôpital psychiatrique, où il rencontrera un mystérieux aliéné joué par Brad Pitt, et entendra parler d'une mystérieuse "Armée des 12 singes". Moins intéressé par le déroulement d'une pandémie que par sa possible origine dans des laboratoires, ou que par les liens de causalité entre différentes actions réparties dans le temps, le film est un régal de suspense et un véritable casse-tête en termes de boucles temporelles.

De 2015 à 2019, une série télé adaptée du film voit le jour, en 4 saisons, transformant le personnage de Brad Pitt en personnage féminin, et développant beaucoup plus le monde d'après la pandémie, autour d'une savante au dessein douteux interprétée par Barbara Sukowa. Assez passionnante, elle décrit notamment les luttes violentes entre clans dans un futur dévasté, tout en interrogeant le deuil auquel chaque personnage doit faire face à un moment ou à un autre du fait du virus ou des changements opérés dans le passé. Entre tentation de changer le passé, bien commun et désirs individuels, l'impossibilité de séparer destins collectifs et personnels est ici encore plus prégnante. D’une certaine façon, le film et la série nous font réfléchir sur les conséquences à long terme de notre propre situation face au Covid-19.

Olivier Bachelard

 

ALERTE ! (1995)
De Wolfgang Petersen
Avec Dustin Hoffman, Rene Russo, Morgan Freeman, Kevin Spacey, Donald Sutherland, Cuba Gooding Jr., Patrick Dempsey…
Voir le film en ligne : en VOD sur MyTF1 VOD, Canal VOD, Orange (VF ou VOST) ou FilmoTV (VF seulement)

© Warner Bros France

Réalisé par Wolfgang Petersen, "Alerte !" joue la carte du blockbuster épidémiologique. On suit la trajectoire d’un virus inspiré par Ebola (donc trouvant aussi son origine chez des singes), depuis le Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) jusque dans une petite ville fictive de Californie. Le film montre ainsi les moyens par lesquels ce virus se diffuse, sa mutation et la traque d’un porteur sain par une équipe de virologues dirigée par le colonel Sam Daniels (Dustin Hoffman). Nous avons notamment droit à un scène dans une salle de cinéma où le virus se propage à travers des gouttelettes après l'éternuement d'un spectateur contaminé (ce qui fait évidemment écho au Covid-19). Un confinement est finalement mis en place dans la petite ville californienne, avec l'armée appelée à faire respecter une stricte interdiction de quitter les lieux (par la force si besoin, et non une simple amende, en cas d’infraction). Cela n'empêche pas un moment de panique et d'incompréhension de la part de la population. On retrouve certains points communs avec "Le Mystère Andromède" de Robert Wise : zone de confinement, solution radicale de l'armée pour arrêter la propagation, et équipe de scientifiques en première ligne. En dehors du mode de transmission et du choix de la quarantaine, "Alerte !" ne cherche pas à être réaliste. Teinté d'une méfiance envers les forces armées qui ont décidé de cacher l'existence de ce virus au monde depuis la fin des années 60, ce film a lui aussi une coloration complotiste. Mais comme avec le film de Robert Wise, les scientifiques apparaissent à nouveau comme les seules personnes compétentes dans la recherche de solutions viables et humaines, alors que les solutions expéditives de l'armée sont fortement remises en cause.

Kévin Gueydan

 

EBOLA SYNDROME (1996)
De Herman Yau
Avec Anthony Wong, Mariane Chan Miu Ying, Shing Fui-on, Vincent Wan Yeung-ming…
Voir le film en ligne : aucune offre légale connue actuellement

Les amateurs de cinéma asiatique extrême connaissent la fameuse Catégorie III : des films tournés à Hong-Kong, interdits aux moins de 18 ans, dont l'âge d'or se situe entre 1988 et 1998. Il s'agit d’œuvres plutôt violentes et transgressives, dont "Ebola Syndrome", réalisé en 1996 par Herman Yau, en est l’un des plus connus avec "Story of Ricky" (1991). Le film de Yau est sale, méchant et parfaitement dégoûtant. Mais si l’on a le cœur bien accroché et du mauvais esprit à revendre, on appréciera son humour noir et sa folie. Et c’est aussi un bon exemple de thriller épidémique.

L’histoire est celle de Kai, un homme absolument répugnant qui donne la nausée à presque toutes ses apparitions. Après avoir couché avec la femme de son patron, il tue celui-ci et coupe la langue de celle-là. Il quitte alors Hong Kong et se rend à Johannesburg où il travaille comme cuisinier dans un restaurant. Une place surprenante pour un homme qui semble ignorer le concept d’hygiène ! Quand il se rend dans la savane avec son nouveau patron pour acheter de la viande à bas prix, il en profite pour violer une autochtone contaminée par le virus Ebola. Une fois infecté, il ne développe qu’une grosse fièvre et il peut donc continuer sa petite vie tranquillement. Il tue ensuite son supérieur et sa femme, après avoir violée cette dernière. Il transforme alors les deux cadavres, eux aussi contaminés, en nourriture pour le restaurant, avant de retourner tranquillement en Chine où il pourra poursuivre ses méfaits. Entre-temps un premier médecin a détecté la présence potentielle du virus, mais l’idée ne lui a pas traversé l’esprit de sonner l’alerte.

Au cours de ce parcours, c’est surtout avec désinvolture que Kai transmet le virus à des dizaines de personnes. Mais lorsque les autorités médicales et policières chinoises découvrent qu’il est le patient zéro et qu’il doit être mis en isolation, il n’hésite pas à se défendre en transmettant volontairement le poison. Ainsi il finit par cracher sur les gens pour les éloigner, en hurlant : «Je n’ai pas inventé le virus Ebola. Dieu l’a créé, pas moi ! Et il vous tuera tous, bâtards !» Il éjecte alors des jets de sang contaminé sur tous ceux qui croisent son chemin. On a également droit à des plans subjectifs de l’intérieur de sa bouche remplie de postillons infectés prêts à s’éjecter sur toute personne se trouvant à portée d’éternuement.

Ce long-métrage truffé de scènes choc et gores n’est donc pas à mettre entre toutes les mains, mais il a le mérite d’aborder des questions comme l’hygiène, la sécurité alimentaire ou encore la façon dont des négligences peuvent provoquer une épidémie.

David Chappat

 

THE HOLE (1998)
De Tsai Ming-liang
Avec Yang Kuei-mei, Lee Kang-sheng, Miao Tien…
Voir le film en ligne : aucune offre légale connue actuellement ; annoncé « en cours d’acquisition » sur UniversCiné (pas de précision de date)

© Haut et Court

"The Hole" a été réalisé dans un contexte d’angoisse de fin de millénaire ; son épidémie fictive (transmise par les cafards, dont les contaminés adoptent le comportement photophobe) apparaît juste avant le passage à l’an 2000, soit dans un futur proche par rapport à la création du film. Tout commence sur fond noir, avec un flot de commentaires de journalistes ou de citoyens lambda, qui s’interrogent sur les caractéristiques d’une épidémie naissante et sur la pertinence des mesures annoncées par les autorités. On sent à la fois scepticisme, surprise, panique, indignation… Ce genre de son off revient durant le film, notamment via la télévision, qui devient le principal lien avec l’extérieur dans une zone de confinement. Bien avant l’essor des réseaux sociaux, on retrouve déjà cette cacophonie des réactions et des reportages face à un événement majeur comme la présente pandémie de Covid-19, avec tout le panel des réactions, dont celles de gens qui livrent des avis sans avoir les compétences requises.

On est ici très loin des œuvres à grand spectacle : le Taïwanais Tsai Ming-liang est plutôt du style à prendre son temps, développant un cinéma d’auteur parfois déroutant, qui prend à contre-pied les codes (horreur, thriller, romance et comédie musicale) et qui privilégie une lenteur adéquate avec son sujet (des vies ralenties, solitaires, désœuvrées). L’histoire se concentre sur deux habitants, un homme et sa voisine du dessous, restés dans une ville mise en quarantaine. Pas confinés au sens strict, ils restent majoritairement chez eux, d’autant qu’une pluie incessante incite encore plus à rester à l’intérieur. Cette pluie est assortie de nombreuses fuites et infiltrations qui amplifient l’atmosphère de fin du monde et qui fournissent un ressort original de mise en scène. En effet, un trou de plus en plus béant dans le sol (ou le plafond, selon le point de vue) permet de relier les deux appartements, matérialisant à la fois la nécessaire distanciation sociale et le besoin de communication ou d’entraide. Des aspects contradictoires dans le cadre d’une épidémie comme celle que nous vivons !

Quand les personnages s’aventurent dehors, il y a deux types de séquences. D’une part, c’est la désolation : le commerce d’alimentation du personnage masculin semble être le seul encore ouvert et les rares personnes croisées (ou entendues hors-champ) ont des comportements de plus en plus bizarres. D’autre part, il y a des parenthèses musicales kitschs avec des chansons de Grace Chang en play-back (dont une ayant l’éternuement pour sujet !), que le public interprètera librement : rêves ou fantasmes des personnages, besoin d’évasion ou d’espoir, folie naissante... Cela peut aussi faire penser aux vidéos décalées et inventives qui circulent de nos jours sur Internet. On notera enfin deux détails : une certaine frénésie de désinfection, et l’obsession du personnage féminin pour le papier toilettes qu’elle accumule chez elle – étrange écho aux rayons de PQ dévalisés en 2020 !

Raphaël Jullien

VOIR AUSSI : LA PARTIE 2 (2002-2016)

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