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HOMMAGE : (re)découvrir les bandes originales de Vangelis

Le 17 mai 2022, le musicien et compositeur grec Vangelis nous a quitté, à l’âge de 79 ans. Membre du groupe Aphrodite’s Child dans les années 1960, considéré comme l’un des pionniers de la musique électronique des années 1970 (aux côtés de Jean-Michel Jarre et Kraftwerk notamment) et comme l’un des représentants majeurs de la musique new age, il a composé plusieurs dizaines de musiques originales pour le cinéma et la télévision. Retour sur une partie de cette œuvre créée spécialement pour le grand ou le petit écran.

Ses musiques de film ont surtout marqué les années 80 et le début des années 90, y compris à travers des reprises comme celles, récurrentes, d’Ed Starink dans "Synthesizer Greatest", série de compilations à succès éditées de 1989 à 1996.

Notons que Vangelis a notamment remporté un Oscar de la meilleure musique originale en 1982 pour "Les Chariots de feu" et un prix du public aux World Soundtrack Awards en 2005 pour "Alexandre". Ajoutons à cela de nombreuses nominations prestigieuses : une aux Grammy Awards ("Les Chariots de feu" en 1983, à laquelle s’ajoutent deux autres mais qui ne concernent pas le cinéma), deux aux Golden Globes (1983 pour "Blade Runner" et 1993 pour "1492 : Christophe Colomb"), trois aux BAFTA (1982 pour "Les Chariots de feu", 1983 pour "Blade Runner" et pour "Missing") et une aux prix de l’Académie du Japon (1984 avec "Antarctica").

L'APOCALYPSE DES ANIMAUX (1972) de Frédéric Rossif

Commençons par la télévision, avec cette série documentaire animalière française en six épisodes dont la musique a sans doute connu une plus grande postérité que la série elle-même. Hormis le thème du générique, d’un rythme saccadé et quelque peu inquiétant, la musique de Vangelis y est plutôt douce et mélancolique, comme pour le titre "La Petite Fille de la mer", qui a durablement marqué les esprits. "L’Apocalypse des animaux" inaugure une collaboration durable de Vangelis avec le cinéaste Frédéric Rossif, pour qui il a ensuite signé la bande-son de plusieurs documentaires, dont "La Fête sauvage" (1976), "Pablo Picasso, peintre" (1981), "De Nuremberg à Nuremberg" (1989) ou encore une autre série, "L’Opéra sauvage" (1979), dont l’extrait musical le plus connu est intitulé "L’Enfant".

LES CHARIOTS DE FEU (1981) de Hugh Hudson

C’est pour ce film que Vangelis compose l’un de ses thèmes les plus iconiques. Qui n’a jamais entendu cette musique ? Repris à l’envi dans de nombreuses occasions (spectacles, évènements sportifs, sketchs…), que ce soit pour susciter l’émotion ou pour jouer sur le registre la parodie, le thème des "Chariots de feu" est solidement associé au traditionnel effet de ralenti et plus particulièrement à la course au ralenti, avec son rythme qui parvient à retranscrire une double temporalité : la vitesse (la cadence des enjambées, des battements du cœur et du souffle) et la perception d’éternité avec la mélodie au piano, qui traduit la gloire, le dépassement de soi ou l’accomplissement d’un rêve. Notons qu’aux Oscars, Vangelis a remporté le trophée face à une bande originale tout aussi culte : "Les Aventuriers de l’arche perdue" par John Williams, déjà lauréat de trois Oscars à l’époque. C’est loin d’être anecdotique !

MISSING : PORTÉ DISPARU (1982) de Costa-Gavras

La musique est assez peu présente dans "Missing", comme si sa relative absence faisait écho à la disparition de Charlie Horman dans le Chili de 1973 et à la chape de plomb que le régime de Pinochet installe alors sur la société chilienne. Les notes de Vangelis interviennent surtout dans deux types de circonstances : soit dans des moments d’extrême tension, soit dans des scènes de nostalgie. Dans le premier cas, la partition souligne le danger et accompagne le stress des personnages, qui sont confrontés à la terreur du coup d’État et à la monstruosité de la junte militaire. Dans le deuxième cas, une douce mélodie au piano renforce le désespoir des protagonistes et devient une métaphore d’un passé heureux qui s’est définitivement évanoui.

BLADE RUNNER (1982) de Ridley Scott

Chef d’œuvre du cinéma de science-fiction, "Blade Runner" doit beaucoup à la musique de Vangelis pour son atmosphère. À grands coups de synthétiseurs (mais pas seulement), elle apporte ainsi emphase, mystère et suspense, mêlant sons robotiques, mélodies voluptueuses et effets oniriques (sons de harpe et chœurs sibyllins par exemple). Des cuivres apportent çà et là des touches de jazz mélancoliques, par exemple dans le "Love Theme" avec le saxophone joué par Dick Morrissey. Notons le titre "Tales of the Future", angoissante mélodie assortie d’un poème arabe chanté avec un accent égyptien par Demis Roussos, ancien partenaire de Vangelis au sein du groupe Aphrodite’s Child.

ANTARCTICA (1983) de Koreyoshi Kurahara

Présentons brièvement ce film japonais pour celles et ceux qui ne le connaissent pas : cette fiction, s’inspirant d’une histoire vraie, est un survival d’un genre un peu particulier puisqu’il suit des chiens de traîneaux qui luttent pour leur survie pendant un an en Antarctique après qu’une équipe de scientifiques a été contrainte de les abandonner en quittant le continent glacé en urgence. Le thème peut rappeler la structure de celui des "Chariots de feu" mais il s’avère plus mélancolique voire tragique. Le reste de la partition est majoritairement fait de lenteur et de boucles répétitives, proposant ainsi une langueur qui confine au minimalisme ("Antarctica Echoes", "Life of Antarctica", "Other Side of Antarctica"), collant ainsi parfaitement au décor de cette Antarctique où rien ne semble vivre ni bouger. Le tout est rehaussé de mélodies tantôt inquiétantes ("Kinematic") tantôt épiques (la deuxième partie de "Song of White" ou le crescendo de "Deliverance"), qui rappellent soit le danger soit le caractère exceptionnel de cette histoire.

1492 : CHRISTOPHE COLOMB (1992) de Ridley Scott

C’est grâce à cette nouvelle collaboration avec Ridley Scott que Vangelis crée ce qui est, avec le thème des "Chariots de feu", l’une de ses compositions les plus réputées et les plus reprises. Avec son thème "Conquest of Paradise" (dont le single a été vendu à des millions d’exemplaires), le musicien propose une vibrante boucle crescendo qui sonne comme un pendant contemporain du célèbre "Boléro" de Ravel (même si l’inspiration de la mélodie est plutôt à chercher du côté de "La Filia", un thème traditionnel du XVe siècle). Le synthétiseur prend progressivement le relai des violons et les chœurs passent d’un fredonnement bouche fermée à des paroles en pseudo-latin, lorgnant ainsi du côté de la musique sacrée – notons que cela fait partie d’une certaine mode des années 90, qu’ont notamment exploité le groupe Enigma et Éric Lévi, ce dernier avec la BO des "Visiteurs" puis avec le projet Era et son tube "Ameno". Dans le reste de la partition, on retiendra notamment d’autres chœurs en « latin de cuisine » ("Light and Shadow", "Hispañola") et un mix d’influences amérindiennes et hispanisantes ("Eternity", "Hispañola", "Moxica and the Horse"), avec la participation du flûtiste français Didier Malherbe et de guitaristes de flamenco. Quant à la mélodie de "Conquest of Paradise", on la retrouve dans une variation apaisée au piano sous le titre "Twenty Eight Parallel".

ALEXANDRE (2004) d’Oliver Stone

Ce n’est sans doute pas la BO la plus marquante de Vangelis mais "Alexandre" est l’une de ses dernières pour le cinéma (devançant seulement "El Greco" en 2007 et "Crépuscule des ombres" en 2014). En optant pour une ampleur plus orchestrale qu’à son habitude, Vangelis montre l’étendue de son talent mais, paradoxalement, on sent moins sa patte. Cette bande-son a même souvent un goût de déjà-entendu – ponctuellement, l’orientalisme du duduk dans "Eastern Path" donne l’impression d’avoir basculé sur la BO de "Gladiator" ! On retrouve tout de même certains marqueurs du style de Vangelis, par exemple avec l’usage des chœurs masculins. Le compositeur grec parvient finalement à mettre sa musique new age et emphatique au service du pléplum grandiloquent d’Oliver Stone, s’avérant notamment efficace dans ses passages épiques (dont le grandiose "Titans"). On retiendra également le morceau "Roxane’s Dance" avec son rythme entêtant, sa harpe féérique et sa mélodie hypnotique à la flûte.

Parmi ses autres compositions pour le cinéma, citons plusieurs films réalisés par Henry Chapier ("Sex Power" en 1970, "Salut, Jérusalem" en 1972 et "Amore" en 1974), le film d’aventures "Le Bounty" de Roger Donaldson (1984) ou encore "Lunes de fiel" de Roman Polanski (1992).

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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