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WE BLEW IT

It blows us

À partir d’une phrase culte issue du film « Easy Rider » de Dennis Hopper, le journaliste et critique Jean-Baptiste Thoret entament un long trip dans une Amérique qui en est arrivée à renier ses rêves et ses utopies des années 70. Comment ce pays en est-il arrivé là ?

Derrière ce titre se cache une phrase prononcée dans une scène-clé du mythique "Easy Rider" de Dennis Hopper. Une phrase qui, au sein d’un ton prônant la jouissance hippie et le pouvoir de la contre-culture, laisse tout à coup filtrer un sentiment de désillusion et de tristesse. Critique de cinéma réputé, cinéphile passionnant et théoricien de premier ordre sur le langage cinématographique, Jean-Baptiste Thoret s’est offert un baptême de réalisateur en forme d’adieu adressé à sa longue maturation sur le cinéma américain (son domaine de prédilection).

La tristesse que distille le film est aussi la sienne, celle d’un fan lancé dans un road-trip à travers l’âme anticonformiste d’une Amérique mythifiée par le cinéma, histoire de témoigner de ce qui a existé grâce à elle et de préfigurer ce qui risque d’arriver quand elle s’évanouira. Œuvre mélancolique, "We blew it" l’est donc totalement, et les nombreux interviewés que Thoret est allé rencontrer (habitants, historiens, anonymes, écrivains, cinéastes) sur son trajet sont là pour appuyer cet effet de résurgence. Ce que l’on en tire au final est si riche et intense qu’on peine souvent à mesurer l’ampleur de la réflexion.

La force évocatrice de cet exceptionnel documentaire réside pour beaucoup dans son caractère erratique, très éloigné d’un raisonnement organisé par blocs thématiques pour au contraire privilégier l’effet de réminiscence. On ne regarde pas un film à thèse, mais plutôt une sorte de ballade mémorielle, prompte à toucher du doigt l’âme d’un pays que l’on sait construit sur le ciment (et les ruines) de ses propres mythologies. Par un effet narratif que l’on pourrait assimiler à un « entonnoir inversé », Thoret choisit de partir sur une idée subjective (en gros, « on a tout foutu en l’air ») pour peu à peu élargir le champ des points de vue (plus ou moins pessimistes). Cette archéologie d’un échec supposé s’épaule en outre de choix de mise en scène absolument fabuleux, d’un superbe Scope aux cadrages dignes de John Ford jusqu’à des contrastes photographiques qui donnent à l’image une texture proche de celle de la pellicule argentique – elle aussi peu à peu amenée à disparaître.

Et surtout, le résultat s’achève sur une double fin mémorable : d’un côté, le regretté Tobe Hooper (réalisateur récemment décédé de "Massacre à la tronçonneuse") à qui est laissé le mot de la fin, et de l’autre, un long et lent travelling arrière conçu en clin d’œil au plan final de l’ultra-culte "Electra Glide in Blue" de James William Guercio, qui incarne à lui tout seul la fin des illusions préfigurée par Thoret dans un canyon mythifié par le 7ème Art. On n’oubliera jamais ce film parce que la mythologie qu’il célèbre et condense est devenue un fantôme, et parce que la cinéphilie est ainsi faite : une vie entière à regarder des fantômes sur un écran et à se construire à travers eux.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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