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LA VOZ DORMIDA

Un film de Benito Zambrano

De formidables jeunes interprètes pour un indispensable film de mémoire

En 1940, un an après la fin de la guerre civile, des femmes prisonnières attendent dans la peur, pour certaines, leur procès, pour d'autres, une exécution annoncée. Hortensia, enceinte, fait partie de ces femmes, croupissant dans les geôles de Madrid. Sa sœur Pepita, montée de Cordoue à la capitale pour être près d'elle, va faire la connaissance de Paulino, un « valenciano », qui fait partie des résistants proches de son beau-frère...

« La voz dormida » est un vibrant hommage aux femmes emprisonnées durant la guerre civile ou durant les années d'épuration qui s'en suivirent. L'action commence en avril 1940, à l'intérieur d'une prison pour femmes, surpeuplée, dans laquelle chaque nuit les gardes viennent chercher quelques-unes d'entre elles, pour les fusiller. Les autres n'ont plus qu'à attendre, dans une peur difficilement dissimulable, la date de leur procès fantoche ou de l’exécution de leur sentence scélérate. Entre les avocats qu'elles ne découvrent que le jour du procès, la « justice » militaire plus que partiale, l’absence de preuves et l’interdiction de présenter des témoins, le rôle d'une église loin d'être charitable : le début des années franco est décrit avec minutie, depuis les entrailles de la prison.

Mais « La voz dormida » c'est avant tout l'histoire de deux sœurs andalouses, l'une emprisonnée et attendant un enfant, et l'autre, plus jeune, devenue serveuse chez un ancien médecin madrilène, pour être plus proche de sa sœur. C'est en suivant cette jeune femme, contrainte de devenir le lien entre la bande de fuyards de son beau-frère, dit « El cordobés », et sa sœur, que Benito Zambrano nous permet d'explorer les rouages d'une résistance mise à mal, jusque dans les pires scènes de tortures, sur lesquelles il n'insiste heureusement pas trop.

Tiré du roman de Dulce Chacón, le film, présentant la guerre et ces événements comme « ce qui n'aurait jamais dû arriver », était l'un des trois prétendants pour la candidature espagnole à l'Oscar du meilleur film étranger 2011 (avec « La piel que habito » de Almodovar et « Pain noir » de Agusti Villaronga, ce dernier ayant été finalement retenu). Traitant avec justesse et sans angélisme des conséquences de la guerre civile sur les familles, et d'un pouvoir qui compte sur l'ignorance et l'illettrisme pour assurer sa domination, il s'avère un véritable tire-larme.

Mais « La voz dormida », c'est avant tout une tripotée de jeunes interprètes. En tête, celle qui a fait le bonheur des festivaliers de San Sebastián, Maria León, formidable de fraîcheur et de naïveté, repartie avec le prix d'interprétation féminine. Téméraire, inutilement bavard, son personnage fait preuve de fougue et d'une spontanéité à la limite du suicidaire. Véritable révélation, c'était jusque-là son frère Paco León qui était la vedette de la famille, célèbre pour des parodies télévisées plutôt tordantes. Face à elle, on découvre Marc Clotet (« 1000 cretinos ») en promis courageux et charmeur, et surtout Inma Cuesta, la sœur, toute en intériorité, dont les multiples humiliations, imposées autant par l'armée que par l'église ne réduiront pas la rage et la soif de justice.

Film édifiant qui s'ajoute à une longue liste d’œuvres récentes sur la guerre civile espagnole (« La buena noticia », « There be dragons »...), cette « voix silencieuse » pose une nouvelle fois la question de l'engagement personnel face au totalitarisme. En choisissant de faire dire à la mère du bébé « Je veux qu'elle sache pourquoi sa mère a lutté », Benito Zambrano choisit d'assumer les excès de son scénario en faveur d'une nécessaire mémoire collective. L’Espagne d'aujourd'hui regarde donc en arrière, espérant panser les plaies du passé, soulignant le rôle de curés qui se comportaient comme des rois, et d'une église complice qui méprisait la volonté de chacun, ne reculant devant aucune humiliation (la scène du certificat de baptême en est la douloureuse expression...). Autant de dénonciations courageuses dans un pays encore profondément catholique qui a tendance à oublier trop facilement les hypocrisies et compromissions passées de son clergé, et qui font de ce film une œuvre indispensable.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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