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UN PIGEON PERCHÉ SUR UNE BRANCHE RÉFLÉCHISSAIT À L'EXISTENCE

Un film de Roy Andersson

Un aboutissement poétique et politique

Un homme dans un musée observe des animaux empaillés posés dans des vitrines. Trois morts se succèdent : un homme dans son salon alors qu’il débouche une bouteille, une vieille femme à l’hôpital dont le cadavre s’accroche à son sac empli de bijoux, et un homme dans une cafétéria…

Le réalisateur suédois Roy Andersson clôt donc avec « Un pigeon perché sur une branche réfléchissait à l'existence », une trilogie sur l'être humain entamée à Cannes, avec "Chansons du deuxième étage" (en compétition en 2010 et récompensé du Prix du jury) et "Nous les vivants" (Un certain regard en 2007). Cet ovni aux images caractéristiques de son cinéma, faisant paraître chaque plan à la manière d'une vieille photographie défraîchit, lui a valu un mérité Lion d'or au Festival de Venise 2014.

Le film, qui s'ouvre sur 3 scènes de décès rocambolesques, quelques excès usuels de l'homme (ou la femme) - la boisson, les bijoux et la nourriture - , étant reliées de manière saugrenue aux décès des personnages, propose par la suite une histoire décousue, tournant principalement autour de deux démarcheurs logeant dans une sorte de foyer, et tentant de vendre autour d'eux des farces et attrapes sensées aider les gens à retrouver le sourire. Le problème c'est que comme dans tous les films d'Andersson, les personnages dont il expose les rites quotidiens ou les anecdotes de vie, sont tous tragiques en soi.

Habitué d'un humour très graphique et pince sans rire, le réalisateur embauche donc deux vendeurs à l'image du Dracula dont ils vendent les fausses dents, à la fois pâles et dépressifs, et donc peu à même à apportée la joie forcée autour d'eux. Usant de compositions des plans et d'organisations techniques impressionnantes (les scènes collectives dans la taverne, le défilé de l'armée de Charles XII en arrière plan d'une autre scène de bar...), l'auteur n'en aborde pas moins une fois de plus l'isolement de chacun, l'attraction et le rejet (le prof de danse et sa grosse élève...), les abus de pouvoir, l'exploitation des peuples (magnifiques et intrigantes scènes finales autour d'une horrible machine...), la colonisation et l'esclavage, mais aussi les différences de richesse et la déliquescence des élites (voir la scène finale).

Avec une philosophie savamment calculée, le film traite en toile de fond du bonheur comme idéal forcé, insistant au passage sur une société du divertissement, où dire que l'on va mal est toujours suspect (scènes récurrentes ou des personnages disent au téléphone « j'espère que tu vas bien » et où l'on entend pas la réponse) et où chacun trouve des excuses dans ses obligations quotidiennes pour ne pas aborder ce genre de sujet. Se focalisant ainsi sur le manque de communication et le déficit d'écoute entre les hommes, mais aussi sur l'indifférence à la souffrance d'autrui, le scénario fustige aussi le manque d'argent comme unique moteur ou régulateur, mais aussi la prise de plaisir aux dépends des autres. Un film envoûtant, picturalement fascinant et philosophiquement troublant. En bref, un digne aboutissement pour cette trilogie entamée en 2000.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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