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SHIKUN

Un film de Amos Gitai

Une société qui ne dialogue plus

Dans les étages d’un immeuble, le Shikun, en Israël, une femme parcourant une coursive desservant les appartements, s’agace et réfléchit au fait de se sentir préoccupée, sans pour autant cesser de vivre. Elle croise trois hommes qui parlent d’un futur chantier pour le quartier environnant, et notamment de l’endroit où ils pourraient positionner la synagogue…

Cela fait bien longtemps que le metteur en scène israélien Amos Gitaï a délaissé ses efficaces œuvres de fictions, teintées de politique ("Kadosh", "Kippour", "Free Zone") pour des documentaires ("Lullaby to My Father") ou des œuvres plus expérimentales ("Carmel"). "Shikun" entre dans cette dernière catégorie, forcément difficile à appréhender, si l’on ignore notamment qu’il s’agit là d’une adaptation libre de la pièce d'Eugène Ionesco, "Rhinocéros", qui aborde la montée du totalitarisme, avec des personnages qui se transforment peu à peu à rhinocéros, rejoignant ainsi le troupeau, alors qu'un seul résiste.

Celui qui résiste ici, est interprété par Irène Jacob (impressionnante lors des scènes de colère), qui incarne ici aussi de multiples autres personnages, se parlant ainsi à elle-même, dans une sorte de schizophrénie difficile à saisir par moments. Là où le film marque quelques points c'est dans la représentation d'individus qui se croisent mais ne parviennent plus à dialoguer ou même à s'acouter. Si l'on peut sans doute voir là une parabole sur la société israélienne, elle propose aussi quelques situations où même la différence de langue n'empêche pas l'affection. Quant au dispositif de mise en scène il apparaît comme à la fois ponctuellement intéressant et régulièrement abscons.

Se succèdent ainsi d'efficaces plans séquences dans la coursive, qui mènent à un palier d'escalier qui se transforme selon les moments (en classe pour accueillir les migrants juifs, en café avec des tables qui ne communiquent pas entre elles...), un passage dans une bibliothèque dont le délabrement annonce l'obscurantisme, et des décors au sens moins évident : galerie marchande désertées, espaces de circulation... Si la transformation en rhinocéros, par une simple corne bandée sur le front et dans une tenue aussi noire que l'extrémisme, est symboliquement efficace, l'utilisation facile de la nuit pour éviter de les montrer, comme le défilé d'une fanfare, tiennent tout de même le spectateur à distance. D'autant que ressort de l'ensemble, la sensation que tout le monde est finalement mis dans le même panier, sans rendre réellement concrets les faits évoqués, même en termes de parabole : soldats qui obéissaient aux ordres, supposés colons qui construisent, hommes de savoir ou de religion, migrants, citoyens lambda, amoureux d'origines différentes… On ressort du film avec plus de questions que de certitudes.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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