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PARADIS : AMOUR

Un film de Ulrich Seidl

Exploitation à double sens

Une femme mûre part séjourner au soleil, dans un village vacances de la côte du Kenya. Sur les conseils d’autres pensionnaires autrichiennes, elle décide de se laisser aller et d’avoir une liaison avec l’un des nombreux jeunes hommes noirs qui gravitent autour de l’hôtel…

L'auteur autrichien Ulrich Seidl est un cinéaste singulier qui sait prendre son temps pour composer des plans signifiants et créer chez le spectateur un certain malaise, renvoyant ce dernier à ses propres attitudes ou comportements, même les plus indignes en termes de traitement de ses semblables. Après « Import - Export », Seidl traite à nouveau de sexualité et plus particulièrement de prostitution. « Amour » est, en outre, le premier volet d'une trilogie sur les paradis (les thèmes suivants seront consacrés à la foi et à l'espoir).

Avant de plonger son héroïne dans un village-vacances de la côte du Kenya, il commence par poser sommairement, en quelques plans, les bases des frustrations de celle-ci : un boulot dédié aux autres (des handicapés), une adolescente scotchée à son portable qui communique à peine avec elle et un surpoids évident. La voilà donc prête à plonger dans un monde contrasté, au soleil accablant et à la chaleur potentiellement libératrice.

Avec les quelques scènes d'installation dans l'hôtel, Seidl, en fin observateur, se joue des clichés (la photo ratée des singes sur le balcon, que le gardien tire au fusil...), mais pose les contradictions entre attitude en apparence ouverte et respectueuse, et méfiance pleine d'a priori. Ainsi son personnage principal désinfecte le moindre recoin de sa chambre avant de rejoindre une autre cliente opulente au bar, permettant à l'auteur de capter au passage quelques conversations sur les noirs qui sentent la noix de coco, se ressemblent tous et en ont forcément « une » très grande. Les fantasmes sont donc savamment entretenus entre touristes argentés décrits comme une bande d'européens racistes envers un peuple dépendant entièrement du tourisme.

Certains reprocheront à l'auteur d'en faire parfois trop dans la signifiance, comme avec sa scène d'ouverture, ballet d'auto-tamponneuses conduites par des déficients mentaux, qui comme tous êtres humains sont donc voués à se prendre des coups. Mais il faut bien avouer qu'Ulrich Seidl sait composer ses plans et générer un rire amusé (les touristes ressemblent à des bancs de sardines séchant au soleil...) tout en délivrant un message sous-jacent des plus justes.

Dans leur hôtel d'Afrique, les clients constituent une bande de désœuvrés qui sont là pour « n'avoir aucun effort à faire », s'adonnent à des jeux idiots avec leurs sandales, parlent de choses fondamentales comme la chirurgie esthétique, laissant leurs frustrations s'exprimer (« Si j'avais ton look, j'oserais divorcer ») et devenant progressivement odieux. Ils profitent ainsi de la différence linguistique pour traiter les employés comme des moins que rien (voir la comparaison du barman avec la figure de la marque « Banania »).

Progressivement, l'auteur dresse un constat sans appel sur l'apartheid qui règne dans le pays, entre riches blancs oisifs et noirs miséreux, prêts à vendre n'importe quoi, même leur corps, pour quelques pièces. Il compose ainsi quelques tableaux saisissants, comme celui montrant des vacanciers alignés sur leurs transats, séparés d'indigènes immobiles, debout sur la plage, par une corde que suit un policier chargé de faire respecter cette ségrégation économique et sociale.

La deuxième partie du film, plus répétitive, suit notre héroïne dans ses mésaventures avec des locaux forcément plus intéressés par l'argent que par son cœur. Laissant le temps à ces scènes de distiller un certain malaise, qu'il s'agisse de décrire la pression des marchandages incessants, ou l’hypocrisie de sessions d'apprentissage du sexe devenant peu à peu dirigistes, il n'épargne personne et épingle le comportement des deux camps. D'un côté il y a un système africain totalement vicié par les écarts de revenus, où la mendicité a appris à cacher son nom. De l'autre, il y a des hordes de touristes frustrés et partisans du moindre effort, qui ne croient pas un seul instant à leur propre discours sur l'amour, mais ressentent une indéniable culpabilité face à la pauvreté.

Les faux-semblants et les discours faciles prennent alors le dessus, masquant les comportements les plus indignes sous un vernis de générosité ou de charité. Brillamment, le scénario réussira à montrer comment des clientes en quête d'une prétendue relation, peuvent basculer elles-mêmes dans une forme de harcèlement et traiter en objet le premier homme venu. Dénonçant ainsi l'empoisonnement de toute rencontre par l'argent, Ulrich Seidl nous confirme avec douleur et force humour noir que ce dernier ne fait pas le bonheur... mais que le sexe non plus.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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