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PALERME

Un film de Emma Dante

Vision satirique des travers de la Sicile

En visite dans sa ville de Palerme, en Sicile, une femme et sa petite amie, en pleine crise de couple, cherchent à prendre un raccourci en empruntant des ruelles tortueuses. Au détour d’un croisement, elles se retrouvent face à face avec un autre véhicule, dans lequel une famille qui rentre de la plage a laissé le volant à la grand-mère. Aucune des deux conductrices ne veut faire marche arrière. Les véhicules restent immobilisés, et peu à peu la situation s’enlise, impliquant progressivement les voisins…

Présenté en compétition au Festival de Venise 2013, le film italien "Via Castellana bandiera" (désormais intitulé "Palerme" pour le marché français, du nom de la ville de Sicile où se déroule l'action) a fait sensation par son originalité et aura finalement permis à Elena Cotta (celle qui joue la grand mère bornée et silencieuse) de remporter la Coupe Volpi de la meilleure actrice. Il faut dire que l'idée de base du scénario, tout comme le principe de mise en scène, méritaient certainement une distinction, tant le fait de tenir 1h30 sur la base d'un tel parti-pris relève de la gageure. Un pari osé, remporté haut la main par l'actrice Emma Dante (surtout connue au théâtre de l'autre côté des Alpes), dont c'est le premier film de réalisatrice.

Le point de départ réside ainsi en la rencontre de deux voitures, dans une rue étroite de Palerme, tournant au face à face, chacune des deux conductrices refusant de céder la priorité à l'autre en faisant marche arrière de quelques mètres. Et rapidement, derrière ce qui paraît être une comédie, et au travers d'une série de micro-portraits du voisinage, c'est à une critique acerbe de ses concitoyens que se livre Emma Dante, ainsi qu'une radiographie de la situation en impasse dans laquelle se trouve la Sicile (et peut-être plus généralement l'Italie). Dynamisant la situation de blocage en donnant à voir un symbolique élargissement d'une voie au départ bien étriquée, la réalisatrice prouve par l'absurde que sans un changement des mentalités, les habitants, à l'image de tous ceux qui dévalent la rue vers la fin, courent tous à leur propre perte.

Au delà de ses subtiles rouages, "Palerme" est une charge violente dénonçant la xénophobie (la famille est « de là », pas « elles »...), la domination de certaines familles, l'importance superflue de la réputation (la grand mère fait l'objet de toute une légende locale, mise en scène en image lors d'un passage émouvant...), la violence facile, l'influence de l'argent (le blocage devient l'objet de paris concernant celle qui cédera la première...), l'admiration et la confiance irrationnelles pour les escrocs (l'arnaqueur du coin est la figure la plus respectée), l'achat du silence (certains viennent tout à coup laver la voiture, espérant acheter le secret...), l'absence de pouvoir des institutions publiques (chacun dans la rue a choisi son numéro, quitte à en avoir en double...) et l'incapacité au moindre changement.

Aussi efficace que ses ressorts semblent un instant absurde, le film est une vraie réussite, réussissant sans cesse à surprendre, malgré une issue qui semble claire depuis les premières minutes. Doté de plusieurs lectures possibles, il s'avère captivant jusqu'au bout et édifiant dans sa conclusion. À ne pas manquer.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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