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LOVE IT WAS NOT

Un film de Maya Sarfaty

Amour interdit

Helena Citron fut l’une des mille premières femmes à avoir été envoyées au camp d’Auschwitz, et l’une des vingt-deux à avoir survécu. Durant sa captivité, elle attira aussi l’attention de l’officier SS autrichien Franz Wunsch qui, en plus de tomber éperdument amoureux d’elle, lui permit à elle et à sa sœur d’échapper au pire. Une trentaine d’années plus tard, une lettre parvient à Helena, rédigée par la femme de Wunsch et lui demandant de témoigner en faveur de ce dernier lors de son procès à Vienne pour crimes de guerre…

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À la lecture du synopsis, ceux qui s’attendent déjà à un ersatz documentaire de "Portier de nuit" se trompent. Car ce serait plutôt à d’autres œuvres de cinéma, en particulier celles qui explorent le brouillage de la frontière bien/mal en plein contexte concentrationnaire (par exemple le récent "The Reader"), que l’on songe davantage. Entre la question du pardon à accorder à un criminel de guerre et celle d’un amour tabou au sein d’un camp de concentration, "Love It Was Not" manie une matière assez délicate pour provoquer le débat, mais qui, en raison d’un angle très réfléchi, fait montre d’une objectivité en béton armé. Le seul reproche que l’on pourrait légitimement faire au documentaire de Maya Sarfaty réside d’ailleurs ici : user d’un séduisant parti pris de mise en scène pour le reléguer au rang de détail illustratif au sein d’un montage identique à celui d’une soirée Thema pour la chaîne Arte. À l’image de ce que l’on reprochait déjà au cinéma de Claude Lanzmann, une base documentaire considérable a toujours besoin de la symbolique propre au langage du 7ème Art pour obtenir relief et impact, alors que s’en tenir à des interviews filmées platement et à des zooms sur des photos d’archive ne fait que rabaisser l’œuvre de cinéma au rang de document télévisuel. Mais est-ce vraiment le cas ici ? En partie.

L’audace de "Love It Was Not" fait son apparition très tôt, le temps d’un travelling latéral sur une forêt enneigée… dont on perçoit très clairement qu’il s’agit d’une maquette en papier ! Il en sera de même sur le reste du film : au lieu de zoomer sur les photos en y superposant les témoignages en off, la réalisatrice opte pour une reconstitution des faits sous forme de petites photos découpées sur un décor à échelle réduite, le tout parsemé d’effets sonores – dont un épais et angoissant bourdonnement – et d’incrustations visuelles qui confondent les effets de mémoire et d’immersion. Procédé fort de photomontage qui, comme suggéré plus haut, perd de sa puissance au fil du métrage sous l’effet de la répétition, Maya Sarfaty se reposant en majorité sur la complexité de cette histoire vraie et des témoignages – acquis au terme d’un long travail de recherches – pour amplifier le débat. Et en l’état, il y a de quoi : cet amour interdit entre un geôlier au cœur sensible et une jeune déportée juive souriante (en tout cas sur certaines photos prises à l’intérieur du camp) charrie en fin de compte les mêmes sentiments que dans "La Liste de Schindler" de Spielberg, où la reconnaissance soudaine de la valeur de la vie humaine au cœur de la pire machine de mort qui soit faisait dévier le monstre nazi de sa routine, comme si un salut était encore possible. Tout repose donc ici sur la quête d’humanité de deux personnages en plein fantasme d’une hypothétique vie sentimentale, quand bien même la terreur et la mort les entourent en continu.

Le terrible dilemme d’Helena, jalousée par les autres détenues mais aussi jugée a posteriori par ses pairs, a ici valeur de malédiction. Même chose pour celui qui travaille ce jeune officier SS, sur lequel les témoignages – tous contradictoires – dessinent un comportement on ne peut plus ambigu (cruel avec certaines, bienveillant avec d’autres). Jusqu’au moment-clé du procès – meilleur passage du film – où la question du statut de Wunsch (est-il vraiment un « juste » ?) restera ouverte bien au-delà du verdict final. Maya Sarfaty ne prétend ainsi pas glaner une vérité sur qui ou quoi que ce soit, celle-ci étant sans doute bloquée à jamais dans le hors-champ ultime (celui de l’intime), mais préfère chercher la nuance et entretenir le doute, à l’image de cette troublante et ultime déclaration d’Helena juste avant le générique de fin : « Cela n’a jamais été de l’amour. C’était une amourette passagère ». Avec un parti pris de mise en scène qui se serait amplifié en parallèle d’une base documentaire aussi impactante, "Love It Was Not" aurait pu trôner très haut dans le genre. En l’état, il n’est que solide sur la forme et audacieux sur le fond. C’est déjà pas mal.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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