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LES JOUEUSES

Un film de Stéphanie Gillard

Pour une meilleure reconnaissance du foot féminin

Une plongée au cœur de l’équipe féminine de l’Olympique Lyonnais lors de la saison 2018-2019. Des joueuses au palmarès magistral et pourtant trop peu connues…

Il y avait deux risques majeurs pour le documentaire "Les Joueuses" : être un « simple » reportage long de type "Stade 2" (ce qui ne serait toutefois pas une tare car il y en a de très bons dans cette émission) ou virer à la longue publicité faisant l’apologie de l’OL sous le patronage de son président Jean-Michel Aulas (dont la présence est judicieusement très discrète à l’écran). Si le film n’échappe pas entièrement à ces deux tendances, il s’en écarte fort heureusement pour proposer bien plus que cela.

L’absence de commentaire en voix-off est l’un des principaux aspects qui différencie ce documentaire du reportage purement informatif : la réalisatrice nous laisse observer les joueuses sans commentaire superflu, nous plongeant dans leur quotidien sportif un peu à la manière d’un "Les Yeux dans les Bleus". De même, Stéphanie Gillard a la bonne idée d’éviter les interviews statiques face caméra, préférant généralement mettre ces sons-là en off, en accompagnement d’images bien plus dynamiques et plus pertinentes (à une exception près lors d’une séquence avec l’enthousiasmante Amel Majri).

Dans les premières minutes, le film manifeste ses qualités techniques et artistiques dans sa façon de filmer les joueuses en plein match, privilégiant les gros plans, jouant habilement avec le flou et proposant un impressionnant traitement du son qui met de temps en temps l’ambiance du stade en sourdine pour mieux faire entendre ce que les joueuses se disent sur le terrain. Dans ce qui est en partie un hommage à "Zidane, un portrait du XXIe siècle", Stéphanie Gillard pose alors les jalons de ses "Joueuses" : montrer la beauté du geste pour transcender le foot, au-delà des questions de sexe, et faire donc des joueuses de l’OL des égales de leurs homologues masculins.

D’inégalité femmes-hommes, il en est évidemment question et il n’y a pas besoin d’être docteur-e ès féminisme pour cerner le caractère égalitariste et progressiste de ce film, qui est un éclatant appel à considérer le foot féminin à sa juste valeur. La séquence filmée dans un magasin de sport est révélatrice de cet inique manque de notoriété (le vendeur ne connaît pas les joueuses) et, malgré les sourires, il y a une vraie gêne à observer un tel contraste par rapport aux nombreuses séquences qui mettent en avant l’immense réussite sportive de cette équipe qui surpasse son équivalent masculin.

Le sous-titre du film, « #PasLàPourDanser », n’est pas innocent : c’est une référence ironique à la question déplacée de Martin Solveig à Ada Hegerberg lorsque l’attaquante norvégienne de l’OL a reçu le premier Ballon d’or féminin de l’histoire en 2018 (« est-ce que tu sais twerker ? »), à la tribune écrite par la suite par la joueuse, et au hashtag qui a ensuite émergé sur Twitter en reprenant le titre de cette même tribune. La réalisatrice et les protagonistes du film clament ainsi ouvertement une exigence : que les sportives soient prises avec autant de sérieux que leurs homologues masculins et non considérées comme des objets de curiosité ou de désir !

Au-delà de l’aspect purement sportif, cette égalité est en partie effective quand on constate que certains stéréotypes du foot ne sont pas réservés aux mecs : le vocabulaire un peu prémâché des interviews d’après-match, le côté fashion victim quelquefois extravagant ou bling-bling (tatouages, coupes de cheveux originales, chaussures qui brillent…), le rap dans les vestiaires ou les écouteurs vissés aux oreilles… En revanche, les footballeuses semblent avoir plus les pieds sur terre et moins d’égo disproportionné, sans doute parce qu’elles savent bien mieux les efforts supplémentaires qu’elles doivent fournir (pour une reconnaissance bien trop limitée). Elles semblent aussi savoir faire preuve de plus de respect et de proximité – la scène où la gardienne Sarah Bouhaddi rend visite à une école primaire est à ce titre exemplaire et on aimerait voir autant de simplicité et d’ouverture chez les stars masculines du football.

À travers leurs propos et leurs comportements, les joueuses font état d’une grande lucidité sur le chemin parcouru et concernant les pentes qui doivent encore être gravies pour accéder à une légitimité amplement méritée. Le documentaire filme donc souvent l’équipe comme une sororité où les aînées comme Wendie Renard ou Jessica Fishlock sont conscientes de leurs responsabilités, celles de transmettre aux plus jeunes comme Selma Bacha. Transmettre l’histoire (féminine) de leur sport, de leurs clubs ou sélections nationales, pour que toutes se souviennent des sacrifices comme des progrès. Transmettre des valeurs de respect, d’égalité et d’effort collectif, même si ce n’est pas toujours formulé de façon aussi explicite. Transmettre aussi le côté bon enfant de leur sport ainsi que la recherche d’une sérénité nécessaire à la réussite et à l’épanouissement. Transmettre finalement tous les ingrédients d’un accomplissement à la fois sportif et humain.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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