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LES GRAINES QUE L’ON SÈME

De la propagande packaging

Arrêtée après avoir tagué « Macron démission » sur le mur de son lycée, Chiara a trouvé la mort pendant les trente heures de sa garde à vue. Bouleversés autant que révoltés, ses camarades de classe décident alors de prendre la parole…

Les graines que l'on sème film

Est-ce du cinéma ou de la propagande ? La question se pose d’entrée vis-à-vis d’une fiction qui, bien que rattachée à une actualité plus brûlante que jamais, semble plus désireuse de dire les choses au lieu de les faire ressentir, d’imposer un point de vue au lieu d’installer un espace de réflexion. Il faut dire que la découverte de ce film en pleine programmation de l’ACID 2020 tombe particulièrement mal : la sortie quasi simultanée du dévastateur "Un pays qui se tient sage" de David Dufresne devient à son corps défendant le point de comparaison fatal pour le film de Nathan Nicholovitch.

Là où Dufresne utilisait l’image vidéo comme base de débat et de réflexion sur la violence d’État et la notion même de démocratie à l’ère des gilets jaunes, Nicholovitch choisit d’entrée son camp et accouche moins d’un essai filmique que d’un tract politico-didactique. Son ambition ne tient ici que dans un fond anti-Macron primaire, irréfléchi, qui plus est entretenu par l’outil émotionnel le plus facile qui soit : le pathos. Car pour ce qui est d’évoquer l’injustice d’une mort dans la fleur de l’âge à cause d’une simple expression d’opinion, "Les graines que l’on sème" y va à fond dans la captation de visages tristes et de larmes qui coulent, d’abord à l’église, puis au cimetière, puis en plein discours de la directrice de lycée, puis face à une femme énigmatique (journaliste ou conseillère d’orientation, on ne sait pas).

Il y a ici une terrible contradiction entre l’intention et l’action. Le travail effectué par le réalisateur avec les élèves d’une classe de 1ère L d’un lycée d’Ivry-sur-Seine ne vise pas tant à réactiver la prise de parole de la jeunesse qu’à structurer un propos orienté par le biais de la scénographie et de la mise en scène (point de documentaire ici, car on nage en pleine fiction). Passe encore que le découpage du réalisateur frise le degré zéro de l’audace (l’interminable plan fixe d’ouverture n’est qu’un décalque du plan central mémorable d’"Hunger" de Steve McQueen) ou même que les « acteurs » aient trop souvent l’air de réciter un texte (l’hypothèse d’une improvisation n’est jamais prégnante ici). Mais par contre, que cet éveil supposé d’une conscience politique et citoyenne n’aboutisse qu’à un banal appel à la révolte sur fond de Marseillaise, où les mots les plus consensuels font œuvre de dictature sur les échanges les plus réfléchis, nous donne l’impression d’avoir atterri au beau milieu d’un prêche politicien déguisée en film.

Le cinéma n’en sort clairement pas gagnant. Dans la dernière scène, on verra même ce groupe de jeunes dialoguer en huis clos dans un brouhaha inaudible, et ce juste avant leur représentation d’une pièce ridicule avec un fantôme. Une parole qui se noie dans le bruit, un propos qui se dilue dans la performance grotesque : ce n’est pas avec ces deux graines de mise en scène – raccourcis involontaires de son propre film – que Nathan Nicholovitch peut espérer toucher les esprits.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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