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LE TIGRE BLANC

Un film de Ramin Bahrani

Slumdog entrepreneur

Apprenant que le Premier ministre chinois va rencontrer des entrepreneurs indiens lors d’une prochaine visite d’État, Balram décide de lui écrire pour lui raconter son parcours. Car avant de devenir lui-même entrepreneur, il n’a été qu’un pauvre serviteur issu d’une caste inférieure du Rajasthan…

Sortie le 22 janvier 2021 sur Netflix

Il y a une douzaine d’années, le "Slumdog Millionaire" du Britannique Danny Boyle avait permis de donner un coup de projecteur sur le cinéma indien, jusque-là peu connu du public occidental. "Le Tigre blanc" s’inscrit dans ce même entre-deux : pas tout à fait un film indien mais un film indien quand même ! Il s’agit ainsi d’une coproduction indo-américaine, d’une adaptation du roman homonyme de l’écrivain indien Aravind Adiga, d’un casting pleinement indien et d’une réalisation de l’Américain d’origine iranienne Ramin Bahrani ("99 Homes"…) – qui cumule aussi les postes de scénariste, monteur et producteur.

La comparaison avec "Slumdog Millionaire" n’est toutefois que partiellement pertinente. Les deux films partagent une structure similaire : le héros raconte son histoire sous forme de flashbacks pour expliquer son parcours, mais la mise en scène préserve une part de mystère sur sa destinée. Les deux longs métrages ont aussi en commun un personnage issu d’une caste inférieure qui connaît une ascension hors du commun. Mais la comparaison s’arrête là car "Le Tigre blanc" n’emprunte pas son style au cinéma clinquant et musical de Bollywood : il propose certes un montage souvent énergique et une bande-son dynamique (dont Gorillaz et Panjabi MC), mais l’univers est à la fois plus réaliste et plus pessimiste.

La réalisation a l’intelligence d’offrir une narration teintée d’ironie mordante, qui feint d’encenser la grandeur de l’Inde pour mieux critiquer les anomalies de « la plus grande démocratie du monde » (l’expression est reprise plusieurs fois). Ainsi, "Le Tigre blanc" s’affirme comme une condamnation des dérives de la société indienne, empoisonnée par la corruption, les inégalités, les discriminations et la perpétuation d’un système de castes anachronique.

Évitant le manichéisme, le métrage présente certes des « méchants » qui sont de vraies ordures (le riche propriétaire et son fils aîné) mais aussi des protagonistes plus complexes, qui ont leurs parts d’ombre et de lumière. La plus constante du côté lumineux est Pinky (incarnée comme par hasard par Priyanka Chopra Jonas qui coproduit le film !) mais elle est loin d’être totalement exemplaire. Quant au héros, incarné par l’excellent Adarsh Gourav, il passe son temps à hésiter entre le respect des normes sociales et la volonté de s’en affranchir. À travers des répliques souvent pertinentes, et notamment une excellente analogie entre serviteurs et poulets, le film livre une analyse tranchante de la société indienne.

Si certaines scènes peuvent laisser perplexe et si la fin a le potentiel de décevoir légèrement (mais tout dépend des attentes que l’on aura), "Le Tigre blanc" brosse donc le portrait d’une Inde quasi schizophrénique qui se modernise en partie, sans parvenir à se débarrasser de ses oripeaux féodaux, plus représentatifs d’un pays sous-développé dictatorial que d’un pays émergent démocratique.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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